Leçon XIV 13 mars 1963, l'angoisse

Leçon XIV 13 mars 1963, l'angoisse

Plusieurs ont bien voulu combler ma plainte de la dernière fois, à savoir de n'avoir pas encore pu connaître le terme russe qui correspondait à ce morceau de Tchekhov dont, je le dis en passant, je dois la connaissance à Monsieur Kaufman, j'y reviendrai d'ailleurs. C'est M. Kaufman lui-même qui, quoiqu'il ne soit pas russophone, m'a amené aujourd'hui le texte exact que j'ai demandé à Smirnof, par exemple, comme russophone, de bien vouloir rapidement commenter. Je veux dire - enfin, j'ose à peine articuler ces vocables, je n'ai pas la phonologie, - alors énoncer qu'il s'agit donc, dans le titre de CTPAXW qui est le pluriel de CTPAXA, lequel CTPAXA qui donne les mots concernant la crainte, la peur, l'angoisse, la terreur, les affres, nous pose de très difficiles problèmes de traduction. C'est un petit peu, j'y pense, en improvisation, j'y pense à l'instant, comme ce qu'on a pu soule­ver à propos du problème des couleurs, dont sûrement la connotation ne se recouvre pas d'une langue à l'autre. La difficulté, je vous l'ai déjà signalée, que nous avons à saisir le terme qui pourrait répondre à l'angoisse précisé­ment - puisque c'est de là que partent tous nos soucis - en russe, le montre bien. Quoi qu'il en soit, si j'ai bien dû comprendre à travers les débats, entre les russophones qui sont ici, qu'a soulevés ce mot, il apparaît  que, d’une façon, ce que j’avançais la dernière fois était correct, à savoir que Tchekhov n'avait pas entendu, par là, parler de l'angoisse.

Là-dessus, j'en reviens а ce que je désirai rendre а Kaufman, c'est très exactement ceci donc, je me suis servi de cet exemple la dernière fois pour éclairer, si je puis dire, d'une façon latérale, ce dont je désirai opérer devant vous le renversement, а savoir que pour introduire la question, je disais qu'il serait tout aussi légitime de dire, en somme, que la peur n'a pas d'objet et, comme moi d'ailleurs j'allais annoncer, comme je l'avais déjà fait aupara­vant, que l'angoisse, elle, n'est pas sans objet, cela avait un certain intérêt pour moi. Mais il est évident que ça n'épuise absolument pas la question de ce que sont ces peurs ou frayeurs ou affres, ou tout ce que vous voudrez, qui sont désignées dans les exemples de Tchekhov. Or, comme - je ne pense pas que ce soit le trahir - М. Kaufman а le souci d'articuler quelque chose de tout а fait précis et centré justement sur ces frayeurs tchékoviennes, je crois qu'il importe de souligner que je n'en ai fait donc, qu'un usage latéral et, en quelque sorte, dépendant, par rapport а celui qu'il sera amené, lui-même, dans un travail, а faire plus tard.

Et là-dessus, je crois qu'avant de commencer encore, je vais vous faire bénéficier d'une petite trouvaille, toujours due d'ailleurs а М. Kaufman qui n'est pas russophone, c'est qu'au cours de cette recherche, il а trouvé un autre terme, le terme le plus commun pour je crains, qui est 50ЮСЬ paraît-­il. C'est le premier mot que vous voyez la écrit dans ces deux phrases et alors, а ce propos, il s'est amusé à s'apercevoir que, si je ne me trompe, en russe comme en français, la négation dite explétive, celle sur laquelle j'ai mis tellement d'accent, puisque j'y trouve rien moins que la trace signifiante dans la phrase de ce que j'appelle le sujet de l'énonciation, distincte du sujet de l'énoncé, qu'en russe aussi, il у а dans la phrase affirmative, je veux dire la phrase qui désigne, а l'affirmative, l'objet de ma crainte, ce que je crains, ce n'est pas qu'il ne vienne, c'est qu'il vienne, et je dis qu'il ne vienne, en quoi je me trouve confirmé par le russe, а dire qu'il ne suffit pas de quali­fier ce ne explétif, de discordantiel, c'est-à-dire de marquer la discordance qu'il у а entre ma crainte puisque je crains qu'il vienne, j'espère qu'il ne viendra pas. Eh ! bien, il semble d'après le russe que nous voyons qu'il faut accorder encore plus de spécificité, et ça va bien dans le sens de la valeur que je lui donne а ce ne explétif, а savoir que c'est bien le sujet de l'énonciation comme tel qu'il représente, et non pas simplement son sentiment car si, comme toujours, j’ai bien entendu tout à l’heure, la discordance en russe est déjà indiquée par une nuance spéciale, а savoir que le VТ05 qui serait la, est déjà en lui-même un que ne, mais marqué par une autre nuance. Si j'ai bien entendu Smirnoff, le que, qui distingue ce l{ТОБ du que simple du l(ТО qui est dans la seconde phrase, ouvre, indique une nuance de verbe, une sorte d'aspect conditionnel, de sorte que cette discordance est déjà marquée au niveau de la lettre 6 que vous voyez ici. Ceci n'empêche pas que le ne de la négation, encore plus-explétive donc, du simple point de vue du signifié, fonctionne quand même en russe comme en français, laissant donc ouverte la question de son interprétation, dont je viens de dire comment je la résous. Voilà.

Et maintenant, comment vais-je entrer en matière aujourd'hui? Je dirais que ce matin, assez remarquablement, en pensant à ce que j'allais ici pro­duire, je me suis mis tout d'un coup а évoquer le temps où l'un de mes ana­lysés les plus intelligents, il у en а toujours de cette espèce, me posait avec insistance la question : « Qu'est-ce qui peut vous pousser а vous donner tout ce mal pour leur raconter ça ? » C'était dans les années arides où la linguis­tique, voire le calcul des probabilités, tenaient ici quelque place. En d'autres termes, je me suis dit, qu'après tout, ce n'était pas non plus un mauvais biais pour introduire le désir de l'analyste que de rappeler qu'il у а une question du désir de l'enseignant. Je ne vous donnerai pas, et pour cause, ici, le mot. Mais il est frappant que quand, par une ébauche de culpabilité que j'éprou­ve au niveau de ce qu'on peut appeler la tendresse humaine, quand il m'ar­rive de penser aux tranquillités auxquelles j'attente, j'avance volontiers l'ex­cuse, vous l'avez vu pointer plusieurs fois, que, par exemple, je n'enseigne­rais pas s'il n'y avait pas eu la scission. Ce n'est pas vrai. Mais, enfin, évi­demment, j'aurais aimé me consacrer а des travaux plus limités, voire plus intermittents, mais pour le fond, ça ne change rien.

En somme, qu'on puisse poser la question du désir de l'enseignant а quelqu'un, je dirai que c'est le signe, comme dirait Monsieur de La Palisse, que la question existe; c'est aussi le signe qu'il у а un enseignement. Et ceci nous introduit, en fin de compte, а cette curieuse remarque que, là où on ne se pose pas la question, c'est qu'il у а le professeur. Le professeur existe chaque fois que la réponse а cette question est, si je puis dire, écrite, écrite sur son aspect, ou dans son comportement, dans cette sorte de condition­nement qu'on peut situer au niveau de, en somme, de ce qu'en analyse nous appelons le préconscient, c’est-à-dire qu’on peut sortir, d’où que ça vienne, des institutions ou même ce qu'on appelle de ses pen­chants.

Ce n'est pas, а ce niveau, inutile de s'apercevoir qu'alors, le professeur se définit comme celui qui enseigne sur les enseignements; autrement dit, il découpe dans les enseignements. Si cette vérité était mieux connue, qu'il s'agit, en somme, au niveau du professeur, de quelque chose d'analogue au collage, si cette vérité était mieux connue, ça leur permettrait d'y mettre un art plus consommé, dont justement le collage, qui а pris son sens par l’œuvre d'art, nous montre la voie. C'est а savoir que s'ils faisaient leurs col­lages d'une façon moins soucieuse du raccord, moins tempérée, ils auraient quelque chance d'aboutir au résultat même а quoi vise le collage, d'évoquer proprement ce manque qui fait toute la valeur de l’œuvre figurative elle-même, quand elle est réussie bien entendu. Par cette voie donc, ils arrive­raient а rejoindre l'effet propre de ce qu'est justement un enseignement.

Voilà. Ceci donc pour situer, voire rendre hommage à ceux qui veulent bien prendre la peine de voir, par leur présence, ce qui s'enseigne ici, non seulement leur rendre hommage, mais les remercier de prendre cette peine.

Là-dessus, moi-même, je vais - puisque aussi bien j'ai quelquefois affai­re а des auditeurs qui ne viennent ici que de façon intermittente - tâcher de bien me faire, pour un instant, le professeur de mon propre enseigne­ment, et puisque la dernière fois je vous ai apporté des éléments que je crois assez massifs, rappeler ce point majeur de ce que j'ai apporté la dernière fois.

Partant donc de la distinction de l'angoisse et de la peur, j'ai, comme je venais de vous le rappeler а l'instant, tenté, au moins comme premier pas, de renverser l'opposition où s'est arrêtée la dernière élaboration de leur dis­tinction, actuellement par tout le monde reçue. Ce n'est certainement pas dans le sens de la transition de l'une а l'autre que va le mouvement. S'il en reste des traces dans Freud, ce ne peut être que par erreur qu'on lui attri­buerait l'idée de cette réduction de l'une а l'autre, une erreur fondée sur ce que je vous ai rappelé, qu'il у а chez lui justement l'amorce de ce qui est en réalité ce renversement de position, en ce sens que s'il dit justement - mal­gré qu'à tel détour de phrases le terme objektlos puisse revenir - et il dit que l'angoisse est Angst vor etwas, angoisse devant quelque chose, ce n'est certes pas pour la réduire а être une autre forme de la peur, puisque ce qu'il 

souligne, c'est la distinction essentielle de la provenance de ce qui provoque l'une et l'autre. C'est donc bien du côté du refus de toute accentuation pour isoler la peur de l'entgegenstehen, de ce qui se pose devant, de la peur comme réponse, entgegen précisément, que ce que j'ai dit au passage, concernant la peur, а а être retenu.Par contre, c'est bien а rappeler d'abord que dans l'angoisse, le sujet est, je dirais, étreint, concerné, intéressé au plus intime de lui-même, que nous voyons simplement sur le plan phénoménologique déjà l'amorce de ce que j'ai essayé plus loin d'articuler d'une façon précise. J'ai rappelé а ce propos le rapport étroit de l'angoisse avec tout l'appareil de ce que nous appelons défenses. Et sur cette voie, j'ai repointé, non sans l'avoir déjà articulé, pré­paré de toutes les façons, que c'est bien du côté du réel, en première approximation, que nous avons а chercher l'angoisse comme ce qui ne trompe pas.

Ce n'est pas dire que le réel épuise la notion de ce que vise l'angoisse. Ce que vise l'angoisse dans le réel, ce par rapport а quoi elle se présente comme signal, c'est ce dont j'ai essayé de vous montrer la position dans le tableau dit, si je puis dire, de la division signifiante du sujet, où 1'Х d'un sujet pri­mitif va vers son avènement, c'est-à-dire son avènement comme sujet, ce rapport А sur S, s selon la figure d'une division, d'un sujet S par rapport au А de l'Autre, en ceci que c'est par cette voie de l'Autre que le sujet а а se réaliser. C'est ce sujet - je vous l'ai laissé indéterminé quant а sa dénomi­nation, les premiers termes de ces colonnes de la division dont les autres termes se sont trouvés posés selon les formes que j'ai déjà commentées - que j'inscris ici S.

La fin de mon discours, je pense, vous а suffisamment permis de recon­naître comment pourrait être - а ce niveau mythique, préalable, а tout ce jeu de l'opération - être dénommé le sujet, pour autant que ce terme ait un sens et justement pour celle des raisons sur laquelle nous reviendrons, qu'on ne peut, d'aucune façon, l'isoler comme sujet, et, mythiquement, nous l'appellerons, aujourd'hui, sujet de la jouissance. Car, comme vous le savez - je l'ai écrit ici la dernière fois, je crois - les trois étages auxquels répondent les trois temps de cette opération sont respectivement la jouis­sance, l'angoisse et le désir. C'est dans cet étagement que je vais aujourd'hui m'avancer pour montrer la fonction, non pas médiatrice, mais médiane, de l'angoisse, entre la jouissance et le désir. Comment pourrions-nous encore commenter ce temps important de notre exposé, sinon а dire ceci - dont je vous prie de prendre les divers termes avec le sens le plus plein а leur donner-que la jouissance ne connaî­tra pas l'Autre, А, sinon par ce reste а, que, dès lors, pour autant que je vous ai dit qu'il n'y а aucune façon d'opérer avec ce reste, et donc que ce qui vient а l'étage inférieur, c'est l'avènement, а la fin de l'opération, du sujet barré, le sujet en tant qu'impliqué dans le fantasme, en tant donc qu'il est un des termes qui constituent le support du désir. Je dis seulement un des termes car le fantasme, c'est $ dans un certain rapport d'opposition а а, rapport dont la polyvalence et la multiplicité sont suffisamment définies par le caractère composé du losange, qui est aussi bien la disjonction v que la conjonction Ù, qui est aussi bien le plus grand que le plus petit, $ en tant que terme de cette opération а forme de division puisque а est irréductible, $ ne peut dans cette façon de l'imager dans les formes mathématiques, ne peut représenter que le rappel que si la division se faisait, ce serait plus loin, ce serait le rapport de а а S qui serait, dans le $ intéressés a/S.

Qu'est-ce а dire ? Que pour ébaucher la traduction de ce que je désigne ainsi, je pourrais suggérer que а vient а prendre une sorte de fonction de métaphore du sujet de la jouissance. Çа ne serait juste que dans la mesure même où а est assimilable а un signifiant; mais, justement, c'est ce qui résis­te а cette assimilation а la fonction du signifiant. C'est bien pour cela que а symbolise ce qui, dans la sphère du signifiant, est toujours ce qui se présen­te toujours comme perdu, comme ce qui se perd а la significantisation. Or, c'est justement ce déchet, cette chute, ce qui résiste à la significantisation, qui vient а se trouver constituer le fondement comme tel du sujet désirant, non plus le sujet de la jouissance, mais le sujet en tant que sur la voie de sa recherche, en tant qu'il jouit, qui n'est pas recherche de sa jouissance, mais c'est de vouloir faire entrer cette jouissance au lieu de l'Autre, comme lieu du signifiant, c'est la, sur cette voie, que le sujet se précipite, s'anticipe comme désirant.

Or, s'il у а ici précipitation, anticipation, ce n'est pas dans le sens que cette démarche sauterait, irait plus vite que ses propres étapes, c'est dans le sens qu'il aborde, en deçà de sa réalisation, cette béance du désir а la jouis­sance; c'est la que se situe l'angoisse. Et ceci est si sûr que le temps de l'an­goisse n'est pas absent, comme le marque cette façon d'ordonner les termes dans la constitution du désir, même si ce temps est élidé, non repérable dans   le concret, il est essentiel. Je vous prie, pour ceux а qui j'ai besoin ici de sug­gérer une autorité pour qu'ils se fient а ce que je ne fasse point d'erreur, de se souvenir а ce propos de ce que dans l'analyse de Ein Kind wird geschla­gen, dans la première analyse, non seulement structurale mais finaliste du fantasme donnée par Freud, Freud dit justement lui aussi, d'un second temps toujours élidé dans sa constitution, tellement élidé que même l'ana­lyse ne peut que le reconstruire. Ce n'est pas dire qu'il soit toujours aussi inaccessible, ce temps de l'angoisse, а bien des niveaux phénoménologique­ment repérables. J'ai dit de l'angoisse en tant que terme intermédiaire entre la jouissance et le désir, en tant que c'est, franchie l'angoisse, fondé sur le temps de l'angoisse que le désir se constitue.

Il reste que la suite de mon discours а été faite pour illustrer ceci dont on s'était aperçu depuis longtemps, qu'au cœur de - nous ne savons pas plei­nement faire notre profit quand il s'agit pour nous de comprendre а quoi répond ce qui prend dans notre expérience d'analyste une autre valeur, le complexe de castration - qu'au cœur, dis-je, de l'expérience du désir, il у а ce qui reste quand le désir est satisfait, ce qui reste si l'on peut dire, а la fin du désir, fin qui est toujours une fausse fin, fin qui est toujours le résultat d'une méprise. La valeur que prend - ce que vous me permettrez de téles­coper dans ce que j'ai, la dernière fois, suffisamment articulé а propos de la détumescence - c'est а savoir ce que manifeste, ce que représente de cette fonction de reste le phallus а l'état flapi. Et cet élément synchronique tout bête comme chou, même comme la tige d'un chou, comme s'exprime Pétrone, est la pour nous rappeler que l'objet choit du sujet essentiellement dans sa relation au désir. Que l'objet choit dans cette chute, c'est là une dimension qu'il convient essentiellement d'accentuer, pour franchir ce petit pas de plus auquel je désire vous amener aujourd'hui, c'est-à-dire ce qui pouvait, avec un peu d'attention, déjà vous apparaître la dernière fois dans mon discours а partir du moment où j'ai essayé de montrer sous quelle forme s'incarne cet objet а du fantasme, support du désir.

Est-ce qu'il ne vous а pas frappé que je vous ai parlé du sein et des yeux, en les faisant partir de Zurbaran, de Lucie et d'Agathe, ces objets а se pré­sentant sous une forme, si je puis dire, positive ? Ces seins et ces yeux que je vous ai montrés la sur le plat où les supportent les deux dignes saintes, voire sur le sol amer où se portent les pas d'Œdipe, ils apparaissent ici avec un signe différent de ce que je vous ai montré ensuite dans le phallus,  comme spécifié par le fait qu'à un certain niveau de l'ordre animal la jouis­sance coïncide avec la détumescence, vous faisant remarquer qu'il n'y а la rien de nécessaire, de nécessaire ni de lié а la Wesenheit, l'esseпce de l'orga­nisme au sens goldsteinien.

Au niveau du а, c'est parce que le phallus, le phallus en tant qu'il est, dans la copulation, non pas seulement instrument du désir, mais instrument fonctionnant d'une certaine façon, а un certain niveau animal, c'est pour ceci que lui se présente en position de а avec le signe moins.

Ceci est essentiel а bien articuler, а différencier, ce qui est important, de l'angoisse de castration, de ce qui fonctionne chez le sujet а la fin d'une ana­lyse, quand ce que Freud désigne comme menace de castration s'y main­tient. S'il у а quelque chose qui nous fasse toucher du doigt que c'est là un point dépassaЫe, qu'il n'est pas absolument nécessaire que le sujet reste suspendu, quand il est mâle, а la menace de castration, suspendu, quand il est de l'autre sexe, au penisneid, c'est justement cette distinction. Pour savoir comment nous pourrions franchir ce point limite, ce qu'il faut savoir, c'est pourquoi l'analyse menée dans une certaine direction aboutit а cette impasse, par quoi le négatif qui marque dans le fonctionnement physiolo­gique de la copulation de l'être humain le phallus se trouve promu, au niveau du sujet, sous la forme d'un manque irréductible. C'est ce qui est a retrouver comme question, comme direction de notre voie par la suite, et je crois ici important de l'avoir marqué.

Ce que j'ai apporté, ensuite, lors de notre dernière rencontre, c'est l'ar­ticulation de deux points très importants concernant le sadisme et le maso­chisme, dont je vous résume ici l'essentiel, l'essentiel, tout а fait capital а maintenir, soutenir, pour autant qu'à vous у tenir, vous pouvez donner leur plein sens а ce qui s'est dit de plus élaboré dans l'état actuel des choses concernant ce dont il s'agit, а savoir le sadisme et le masochisme. Ce qu'il у а а retenir dans ce que j'ai la énoncé, concerne d'abord le masochisme dont vous pourrez voir que, si les auteurs ont vraiment beaucoup peiné au point de mener très loin, si loin, qu'une lecture que j'ai faite, récente, ici, а pu moi-même me surprendre, je dirai tout а l'heure cet auteur qui а mené les choses а ma surprise, je dois dire, et а ma joie, aussi près que possible du point où j'essaierai cette année, concernant le masochisme, sous cet angle qui est le nôtre ici, de vous mener. Il reste que cet article même, dont je vous donnerai tout а l'heure le titre, reste, comme tous les autres, strictement  incompréhensible pour la seule raison que, déjà au départ, у est en quelque sorte comme élidé, parce que la, enfin, absolument sous le nez, si l'on peut dire, de l'évidence, ceci que je vais énoncer а l'instant, qu'on essaie, on arri­ve а se déprendre de mettre l'accent sur ce qui, au premier abord, porte, heurte le plus notre finalisme, а savoir l'intervention de la fonction de la douleur. Ceci, on est arrivé à comprendre que ce n'est pas la l'essentiel.

Aussi est-on arrivé, Dieu merci, dans une expérience comme celle de l'analyse, а savoir que l'Autre est visé, que, dans le transfert, on peut s'aper­cevoir que ces manœuvres masochistes se situent а un niveau qui n'est pas sans rapport avec l'Autre.

Naturellement, beaucoup d'autres auteurs en profitent, а s'en tenir la, pour tomber dans un insight dont le caractère superficiel saute aux yeux; quelque maniable qu'elle se soit révélée, dans certains cas, а n'être parvenue qu'à ce niveau, on ne peut pas dire que la fonction du narcissisme, sur laquelle а mis l'accent un auteur, non sans un certain talent d'exposition, Ludwig Heidelberg, puisse être quelque chose qui nous suffise. C'est ce que, sans du tout vous avoir fait pénétrer pour autant dans la structure, comme nous serons amenés а le faire, du fonctionnement masochiste, ce que, simplement, j'ai voulu accentuer la dernière fois, par ce que la lumière qui éclairera les détails du tableau d'un tout autre jour, c'est de vous rappe­ler ce qui se donne apparemment tout de suite - c'est pour cela que ce n'est pas vu dans la visée du masochiste, dans l'accès le plus banal de ces visées - c'est que le masochiste vise la jouissance de l'Autre, et ce que j'ai accentué la dernière fois comme autre terme de ce pour quoi j'entends tendre tout ce qui permettra de déjouer, si l'on peut dire, la manœuvre, c'est que, ce qu'il veut, - ceci, bien sûr, étant le terme éventuel de notre recherche, dont il ne pourra, si vous voulez, se justifier pleinement que d'une vérification des temps qui prouvent que c'est la le dernier terme -le dernier terme est ceci, que ce qu'il vise, c'est l'angoisse de l'Autre. J'ai dit d'autres choses que j'en­tends vous rappeler aujourd'hui, c'est l'essentiel de ce qu'il у a là-dedans d'irréductible, а quoi il faut vous tenir, au moins jusqu'au moment où vous pourrez de ce que j'ai autour de cela ordonné, vous pourrez en juger.

Du côté du sadisme, par une remarque entièrement analogue, а savoir que le premier terme est élidé et qu'il а pourtant la même évidence que du côté du masochisme, c'est que ce qui est visé dans le sadisme, c'est, sous toutes ses formes, а tous ses niveaux, quelque chose aussi qui promeut la  fonction de l'Autre et que, justement la, ce qui est patent, c'est que ce qui est cherché, c'est l'angoisse de l'Autre de même que dans le masochisme, ce qui est par là masqué, c'est non pas, par un processus inverse de renverse­ment, la jouissance de l'Autre -le sadisme n'est pas l'envers du masochis­me pour une simple raison, c'est que ce n'est pas un couple de réversibilité, la structure est plus complexe, j'y insiste, quoique aujourd’hui je n'isole dans chacun que deux termes; pour illustrer, si vous voulez, ce que je veux dire, je dirai que, comme vous pouvez le présumer d'après maints de mes sché­mas essentiels, ce sont des fonctions а quatre termes, ce sont, si vous vou­lez, des fonctions carrées et que le passage de l'un а l'autre se fait par une rotation au quart de tour et non par aucune symétrie ou inversion, ceci, vous ne le voyez pas apparaître au niveau que maintenant je vous désigne, - ce que je vous ai indiqué la dernière fois, qui se cache derrière cette recherche de l'angoisse de l'Autre, c'est, dans le sadisme, la recherche de l'objet а. C'est а quoi j'ai amené, comme référence, un terme expressif pris dans les fantasmes sadiens, « la peau du con ». Ce texte de l’œuvre de Sade, je ne vous le rappelle pas maintenant.

Nous nous trouvons donc, entre sadisme et masochisme, en présence de ce qui, au niveau second, au niveau voilé, au niveau caché de la visée de cha­cune de ces deux tendances, se présente comme l'alternance, en réalité l'oc­cultation réciproque de l'angoisse dans le premier cas, de l'objet а dans l'autre.

le termine par un bref rappel qui revient en arrière sur ce que j'ai dit, jus­tement, de ce а de cet objet, а savoir l'accentuation de ce que je pourrais appeler le caractère manifeste essentiellement, que nous connaissons bien, encore que nous ne nous apercevions pas de son importance, le caractère manifeste dont est marqué quoi? le mode sous lequel entre cette anatomie, dont Freud а tort de dire qu'elle est, sans autre précision, le destin. C'est la conjonction d'une certaine anatomie, celle que j'ai essayé de vous caractéri­ser la dernière fois au niveau des objets а par l'existence de ce que j'ai appe­lé les caduques, а savoir justement ce qui n'existe qu'à un certain niveau, le niveau mammifère parmi les organismes, la conjonction de ces caduques avec quelque chose qui est effectivement le destin, à savoir anagce par quoi la jouissance а а se confronter avec le signifiant, c'est là le ressort de la limi­tation chez l'homme, а quoi est soumise la destinée du désir, c'est а savoir cette rencontre avec l'objet dans une certaine fonction, pour autant que cette

fonction le localise, le précipite а ce niveau que j'ai appelé de l'existence des caduques et de tout ce qui peut servir comme ces caduques, terme qui nous servira entre autres à mieux explorer, je veux dire а espérer donner un cata­logue exhaustif et limité des frontières, des moments de coupure où l'an­goisse peut être attendue, et de confirmer que c'est bien la qu'elle émerge.

Enfin, j'ai terminé, je vous le rappelle, par un exemple clinique des plus connus sur le rappel de la connexion étroite, sur laquelle nous aurons а revenir, et qui est beaucoup moins, de ce fait, accidentelle qu'on ne le croit, la conjonction, dis-je, de l'orgasme et de l'angoisse en tant que l'un et l'autre ensemble peuvent être définis par une situation exemplaire, celle que j'ai définie sous la forme d'une certaine attente de l'autre, et d'une attente qui n'est pas n'importe laquelle, celle qui, sous la forme de la copie blanche ou pas, que doit remettre а un moment le candidat, est un exemple absolument saisissant de ce que peut être pour un instant pour lui le а.

Nous allons, après tous ces rappels, essayer de nous avancer un peu plus loin. Je le ferai par une voie qui n'est peut-être pas, je l'ai dit, tout а fait celle а laquelle je me serais de moi-même résolu. Vous verrez ensuite ce que, par la, j'entends dire. Il у а quelque chose que je vous ai fait remarquer а pro­pos du contre-transfert, c'est а savoir combien les femmes semblaient s'y déplacer plus а l'aise. N'en doutez pas, si elles s'y déplacent plus а l'aise dans leurs écrits théoriquement, c'est que je présume qu'elles ne s'y dépla­cent pas mal non plus dans la pratique, même si elles n'en voient, n'en arti­culent - car là-dessus, après tout, pourquoi ne pas leur faire le crédit d'un petit peu de restriction mentale - si elles n'en articulent pas d'une façon tout а fait évidente et tout а fait claire, le ressort.

Il s'agit bien évidemment, ici, d'attaquer quelque chose qui est de l'ordre du ressort du désir а la jouissance. Notons d'abord ceci, qu'il semble, а nous référer а de tels travaux, que la femme comprenne très bien ce qu'est le désir de l'analyste. Comment cela se fait-il ? Il est certain qu'il nous faut ici reprendre les choses au point où je les ai laissées par ce tableau, en vous disant que l'angoisse fait le médium du désir а la jouissance. J'apporterai ici quelques formules où je laisse а chacun de se retrouver par son expérience; elles seront aphoristiques. Il est facile de comprendre pourquoi. Sur un sujet aussi délicat que celui, toujours pendant, des rapports de l'homme et de la femme, articuler tout ce qui peut rendre licite, justifier, la permanence d'un malentendu obligé, ne peut qu'avoir l'effet, tout а fait ravalant, de permettre  а chacun de mes auditeurs de noyer ses difficultés personnelles, qui sont très en deçà de ce que je vais ici viser, dans l'assurance que ce malentendu est structural.

Or, comme vous le verrez si vous savez m'entendre, parler de malenten­du, ici, n'équivaut nullement а parler d'échec nécessaire. On ne voit pas pourquoi, si le réel est toujours sous-entendu, la jouissance la plus efficace ne pourrait pas être atteinte par les voies mêmes du malentendu.

De ces aphorismes, donc, je choisirai, je dirai fortement - c'est la seule chose qui distingue l'aphorisme du développement doctrinal, c'est qu'il renonce а l'ordre préconçu - j'avancerai ici quelques formes. Par exemple celle-ci, qui peut vous parler d'une façon, si l'on peut dire, moins sujette а ce que vous vous rouliez dans le ricanement, cette formule que seul l'amour permet а la jouissance de condescendre au désir. Nous en avancerons aussi quelques autres qui se déduisent de notre petit tableau où se montre que а comme tel, et rien d'autre, c'est l'accès, non pas а la jouissance, mais а l'Autre, que c'est tout ce qui reste, à partir du moment où le sujet veut у faire, dans cet Autre, son entrée. Ceci, enfin, pour dissiper, il semble, au der­nier terme, ce terme, ce fantôme empoisonnant depuis l'an 1927 de l'oblati­vité, inventée par le grammairien Pichon - Dieu sait que j'en reconnais le mérite dans la grammaire - dont on ne saurait que trop regretter qu'une analyse, si l'on peut dire absente, l'ait entièrement livré dans l'exposé de la théorie psychanalytique, l'ai entièrement laissé capturé dans les idées qu'il avait préalablement, qui n'étaient autres que les idées maurassiennes. Quand S ressort de cet accès а l'Autre, il est l'inconscient, c'est-à-dire ça, l'Autre barré, А comme je vous l'ai dit tout а l'heure; il ne lui reste qu'à faire de А quelque chose dont c'est moins la fonction métaphorique qui importe que le rapport de chute où il va se trouver par rapport à ce а.

Désirer, donc, l'Autre А, ce n'est jamais désirer que а. Il reste, puisque c'est de l'amour d'où je suis parti dans mon premier aphorisme, que pour traiter de l'amour, comme pour traiter de la sublimation, il faut se souvenir de ce que les moralistes qui étaient déjà avant Freud - je parle de ceux de la bonne tradition, et nommément de la tradition française, celle qui passe, dans ce que je vous ai appelé sa scansion, dans l'homme du plaisir- ce que les moralistes ont déjà pleinement articulé, et dont il convient que nous ne considérions pas l'acquis comme dépassé, que l'amour est la sublimation du désir. Il en résulte que nous ne pouvons pas du tout nous servir de l'amour  comme premier ni comme dernier terme. Tout primordial qu'il se présente dans notre théorisation l'amour est un fait culturel et, comme l'a fort bien articulé La Rochefoucauld, ce n'est pas seulement « combien de gens n'au­raient jamais aimé s'ils n'en avaient entendu parler », c'est il ne serait pas question d'amour s'il n'y avait pas la culture.

Ceci doit nous inciter а poser ailleurs les arches de ce que nous avons а dire concernant - puisque c'est de cela dont il s'agit, à ce point où le dit Freud même, soulignant que ce détour aurait pu se produire ailleurs, et je reviendrai sur ce pourquoi je le fais maintenant - donc, ce sujet de la conjonction de l'homme et de la femme, nous avons а en poser autrement les arches. Je continue par ma voie aphoristique.

Si c'est au désir et а la jouissance qu'il nous faut nous référer, nous dirons que me proposer comme désirant, éros c'est me proposer comme manque de а » et que ce qu'il s'agit de soutenir, dans notre propos, est ceci, c'est que c'est par cette voie que j'ouvre la porte а la jouissance de mon être. Le carac­tère aporique de cette position, je pense, ne peut manquer de vous арра­raître, ne peut vous échapper. Mais il у а quelques pas de plus а faire. Le caractère aporique, ai-je besoin même de le souligner au passage, j'y revien­drai. Car je pense que vous avez déjà saisi, parce que je vous l'ai dit depuis longtemps, que si c'est au niveau de l'éros que je suis, que j'ouvre la porte а la jouissance de mon être, il est bien clair que le plus proche déclin qui s'offre а cette entreprise, c'est que je sois apprécié comme eromenos c'est­-à-dire comme aimable, ce qui, sans fatuité, ne manque pas d'arriver, mais où se lit déjà que quelque chose est loupé dans l'affaire. Ceci n'est pas aphoris­tique, mais déjà un commentaire. J'ai cru devoir le faire pour deux raisons, d'abord parce que j'ai eu une espèce de petit lapsus а double négation, ce qui devrait m'avertir de quelque chose, et deuxièmement, que j'ai cru entre­voir le miracle de l'incompréhension briller sur certaines figures.

Je continue. Toute exigence de а sur la voie de cette entreprise, disons, puisque j'ai pris la perspective androcentrique de rencontrer la femme, ne peut que déclencher l'angoisse de l'autre, justement en ceci que je ne le fais plus que а, que mon désir le a-ise, si je puis dire. Et, ici, mon petit circuit d'aphorisme se mord la queue; c'est bien pour ça que l'amour-sublimation permet а la jouissance, pour me répéter, de condescendre au désir.

Que voilà de nobles propos! Vous voyez que je ne crains pas le ridicu­le. Çа vous а un petit air de prêche dont, évidemment, chaque fois qu'on avance sur ce terrain, on ne manque pas de courir le risque. Mais il m'a sem­blé que tout de même, pour bien rire, vous preniez votre temps. Je ne sau­rais que vous en remercier, et je repars.

Je ne repartirai aujourd'hui que pour un court instant. Mais laissez moi encore faire quelques petits pas, car c'est sur cette même voie que je viens de parcourir sur un air qui vous а, comme ça, un petit air d'héroïsme, que nous pourrons nous avancer dans le sens contraire, en constatant très curieusement, une fois de plus, confirmant la non-réversibilité de ces par­cours, que nous allons voir surgir quelque chose qui vous apparaîtra, peut-être, d'un ton moins conquérant.

Ce que l'Autre veut nécessairement, sur cette voie qui condescend а mon désir, ce qu'il veut, même s'il ne sait pas du tout ce qu'il veut, c'est pourtant nécessairement mon angoisse. Car il ne suffit pas de dire que la femme, pour la nommer, surmonte la sienne par amour. Nous у reviendrons, c'est а voir. Procédons par la voie que j'ai choisie aujourd'hui. Je laisse encore de côté - ce sera pour la prochaine fois - comment se définissent les partenaires au départ. L'ordre des choses dans lesquelles nous nous déplaçons implique toujours que ce soit ainsi, que nous prenions les choses en route et même quelquefois а l'arrivée; nous ne pouvons pas les prendre au départ. Quoi qu'il en soit, c'est en tant qu'elle veut ma jouissance, c'est-à-dire jouir de moi - ça ne peut pas avoir d'autre sens - que la femme suscite mon angoisse, et ceci pour la raison très simple, inscrite depuis longtemps dans notre théorie, c'est qu'il n'y а de désir réalisable, sur la voie où nous le situons, qu'impliquant la castration. C'est dans la mesure où il s'agit de jouissance, c'est-à-dire où c'est а mon être qu'elle en veut, que la femme ne peut l'atteindre qu'à me châtrer. Que ceci ne vous conduise - je parle de la partie masculine de mon auditoire - а nulle résignation quant aux effets toujours manifestes de cette vérité première dans ce qu'on appelle d'un terme classificatoire, la vie conjugale. Car la définition d'une première n'a absolument rien а faire avec ses incidences accidentelles. Il n'en reste pas moins qu'on clarifie beaucoup les choses а l'articuler proprement. Or, l'articuler comme je viens de le faire, encore que ce soit recouvrir l'expérience de la façon la plus manifeste, est justement ce qui frise le danger que je viens de signaler а plusieurs reprises, а savoir qu'on у voie ce qu'on appelle dans le langage courant, une fatalité, ce qui voudrait dire que c'est écrit. Ce n'est pas parce que je le dis qu'il faut penser que ce soit écrit. Aussi bien si je l'écrivais, у mettrais-je plus de formes, et ces formes consistent justement а entrer dans le détail, c'est-à-dire а dire le pourquoi.

Supposons, ce qui saute aux yeux, qu'en référence а ce qui fait la clé de cette fonction de l'objet du désir, la femme, ce qui est bien évident, ne manque de rien. Parce qu'on aurait tout а fait tort de considérer que le Penisneid soit un dernier terme. Je vous ai déjà annoncé que ce serait la l'originalité sur ce point de ce que j'essaie cette année d'avancer devant vous. Le fait qu'elle n'ait, sur ce point, rien а désirer - et peut-être essaie­rais-je d'articuler très très précisément anatomiquement pourquoi, car cette affaire de l'analogie clitoris-pénis est loin d'être absolument fondée, un cli­toris n'est pas simplement un plus petit pénis, c'est une part du pénis, ça correspond aux corps caverneux et а rien d'autre; or, un pénis, que je sache, sauf chez 1'hypospadias, ne se limite pas aux corps caverneux, ceci est une parenthèse - le fait de n'avoir rien а désirer sur le chemin de la jouissance ne règle pas absolument pour elle la question du désir, justement, dans la mesure où la fonction du а, pour elle comme pour nous, joue tout son rôle. Mais, quand même, cette question du désir ça la simplifie beaucoup, je dis, pour elle, pas pour nous, en présence de leur désir. Mais enfin de s'intéres­ser а l'objet comme objet de notre désir, ça leur fait beaucoup moins de complications.

L'heure s'avance. Je laisse les choses au point où j'ai pu les mener. Je pense que ce point est suffisamment alléchant pour que beaucoup de mes auditeurs désirent en connaître la suite. Pour vous en donner quelques pré­misses, je vous annoncerai le fait que j'entends ramener les choses au niveau de la fonction de la femme, en tant qu'elle peut nous permettre de voir plus loin, а un certain niveau dans l'expérience de l'analyse, je vous dirai que, si on peut donner un titre à ce que j'énoncerai la prochaine fois, ce serait quelque chose comme Des rapports de la femme comme psychanalyste avec la position de Don Juan.




Leçon XIII б mars 1963

Leçon XIII б mars 1963

Nous allons donc continuer а cheminer dans notre approche de l'angois­se, laquelle elle-même je vous fais entendre pour être de l'ordre de l'ap­proche. Bien sûr, vous êtes déjà suffisamment avisés par ce que je vous pro­duis ici que je veux vous apprendre que l'angoisse n'est pas ce qu'un vain peuple pense. Néanmoins, vous verrez, en relisant par après les textes sur ce point, majeurs, que ce que je vous aurai appris est loin d'en être absent; sim­plement, il est masqué et voilé а la fois; il est masqué par des formules qui sont des modes d'abord peut-être trop précautionneux sous leur revête­ment, si on peut dire, leur carapace. Les meilleurs auteurs laissent apparaître ce sur quoi j'ai déjà pour vous mis l'accent, qu'elle n'est pas objektlos, qu'el­le n'est pas sans objet. La phrase qui précède dans Hemmung, Symptom und Angst, dans l'ap­pendice В, Ergänzung zur Angst, complément au sujet de l'angoisse, la phrase même qui précède la référence que donne Freud, suivant en cela la tradition а l'indétermination, а 1'Objektlosigkeit de l'angoisse - et après tout je n'aurai besoin que de vous rappeler la masse même de l'article pour dire que cette caractéristique d'être sans objet ne peut être retenue - mais la phrase même d'avant, Freud dit, l'angoisse est Angst ist Angst vor etwas, elle est essentiellement angoisse devant quelque chose.

Que nous puissions nous en contenter, de cette formule, bien sûr que non! Je pense que nous devons aller plus loin, en dire plus sur cette struc­ture, cette structure qui, déjà, vous le voyez, s'oppose en contraste, si tant est que l'angoisse, étant le rapport avec cet objet que j'ai approché qui est la cause du désir, s'oppose par contraste avec ce vor, comment cette chose que je vous ai placée promouvant le désir, en arrière du désir, est-elle passée devant? C'est peut-être la un des ressorts du problème.

Quoi qu'il en soit, soulignons bien que nous nous trouvons, avec la tra­dition, devant ce qu'on appelle un thème presque littéraire, un lieu com­mun, celui qui, entre la peur et l'angoisse que tous les auteurs, se référant а la position sémantique, opposent au moins au départ, même si ensuite on tend а les rapprocher ou а les réduire l'une а l'autre, ce qui n'est pas le cas chez les meilleurs. Au départ, assurément, on tend а accentuer cette oppo­sition de la peur et de l'angoisse en, disons, différenciant leur position par rapport а l'objet. Et il est vraiment sensible, paradoxal, significatif de l'er­reur ainsi commise qu'on est amené а accentuer que la peur, elle, en a un d'objet. Franchissant la caractéristique certaine, il у а la danger objectif, Gefahr, dangéité, Gefährdung, situation de danger, entrée du sujet dans le danger, ce qui, après tout, mériterait arrêt. Qu'est-ce qu'un danger? On va dire que la peur est de sa nature, adéquate, correspondante, entsprechend а l'objet d'où part le danger.

L'article de Goldstein sur le problème de l'angoisse, sur lequel nous nous arrêterons, est, а cet égard, très significatif de cette sorte de glissement, d'en­traînement, de capture, si l'on peut dire, de la plume d'un auteur qui, en la matière, а su rapprocher, vous le verrez, des caractéristiques essentielles et très précieuses pour notre sujet, d'entraînement de la plume, par une thèse insistant d'une façon dont on peut dire qu'il n'est nullement sollicité par son sujet а cet endroit, puisqu'il s'agit de l'angoisse, insistant, si l'on peut dire, sur le caractère orienté de la peur. Comme si la peur était déjà toute faite du repérage de l'objet, de l'organisation de la réponse, de l'opposition, de 1'Entgegenstehen, de ce qui est Umwelt et de tout ce qui, dans le sujet, а а у faire face.

Il ne suffit pas d'évoquer! Première référence appelée dans mon souve­nir par de telles propositions, je me souvenais de ce que je crois déjà vous avoir souligné dans une petite, on ne peut pas appeler ça nouvelle, notation, impression de Tchekhov qui а été traduite avec, comme titre, le terme Frayeurs. J'ai vainement essayé de me faire rendre compte du titre de cette nouvelle en russe; car inexplicablement cette notation parfaitement repérée avec son année dans la traduction française, nul de mes auditeurs russophones n'a pu me la retrouver, même avec l'aide de cette date, dans les éditions de Tchekhov, qui sont pourtant faites en général chronologiquement; c'est sin­gulier, c'est déroutant, et je ne peux pas dire que je n'en sois pas déçu. Dans cette notation, sous le terme de Frayeurs, les frayeurs qu'il а éprouvées, lui, Tchekhov, - je vous ai déjà une fois, je crois, signalé de quoi il s'agissait - un jour, avec un jeune garçon qui conduit son traîneau, sa droschki, je crois que ça s'appelle, il s'avance dans une plaine, et au loin, au coucher du soleil, le soleil étant déjà couché а l'horizon, il voit dans un clocher qui apparaît, à une approche raisonnable pour en voir les détails, il voit vaciller par une lucarne, а un étage très élevé du clocher, auquel il sait, parce qu'il connaît l'endroit, qu'on ne peut accéder d'aucune façon, une mystérieuse, inexpli­cable flamme, que rien ne lui permet d'attribuer а aucun effet de reflet. Il у а manifestement le repérage de quelque chose. Il fait un bref compte de ce qui peut motiver ou non l'existence de ce phénomène et, ayant vraiment exclu toute espèce de cause connue, il est saisi tout d'un coup de quelque chose qui, je crois, а lire ce texte, ne peut aucunement s'appeler angoisse, il est saisi de ce qu'il appelle d'ailleurs lui-même, faute évidemment de pou­voir, d'avoir actuellement le terme russe, on а traduit ça par frayeur, je crois que c'est ce qui correspond le mieux au texte, c'est de l'ordre, non de l'an­goisse, mais de la peur. Et ce dont il а peur, ce n'est pas de quoi que ce soit qui le menace, c'est de quelque chose qui а justement ce caractère de se réfé­rer а l'inconnu, de ce qui se manifeste а lui. Les exemples qu'il donnera ensuite dans cette même rubrique, а savoir le fait qu'un jour, il voit passer dans son horizon, sur le rail, une espèce de wagon qui lui donne l'impres­sion, а entendre la description, du wagon-fantôme, puisque rien ne le tire, rien n'explique son mouvement. Un wagon passe а toute vitesse, prenant la courbe du rail qui se trouve а ce moment la devant lui. D'où vient-il ? Où va-t-il ? Cette sorte d'apparition arrachée, en apparence, а tout déterminis­me repérable, voilà encore ce qui le met pour un instant, dans un désordre, une véritable panique, qui est bel et bien de l'ordre de la peur. Il n'y а pas non plus la de menace et la caractéristique de l'angoisse, assurément, manque, en ce sens que le sujet n'est ni étreint, ni intéressé а ce plus intime de lui-même qui est le versant dont l'angoisse se caractérise, ce sur quoi j'in­siste. Le troisième exemple, c'est l'exemple d'un chien de race que rien ne lui permet, étant donné son parfait repérage de tout ce qui l'entoure, dont rien ne lui permet d'expliquer la présence en cette heure, en ce lieu. Il se met а fomenter le mystère du chien de Faust, pense voir la forme sous laquelle l'aborde le diable; c'est bel et bien du côté de l'inconnu que la se dessine la peur, et ce n'est pas d'un objet, ce n'est pas du chien qui est là qu'il а peur, c'est d'autre chose, c'est en arrière du chien.

D'autre part, il est clair que ce sur quoi on insiste, que les effets de la peur ont en quelque sorte un caractère d'adéquation, de principe, а savoir de déclencher la fuite, est suffisamment compromis par ce sur quoi il faut bien mettre l'accent, que, dans bien des cas, la peur paralysante se manifeste en action inhibant, voire pleinement désorganisateur, voire peut jeter le sujet dans le désarroi le moins adapté а la réponse, le moins adapté а la finalité, laquelle serait censée être la forme subjective adéquate.

C'est donc ailleurs qu'il convient de chercher la distinction, la référence par où l'angoisse s'en distingue. Et vous pensez bien que ce n'est pas seule­ment un paradoxe, désir de jouer avec un renversement, si je promeus ici devant vous que l'angoisse n'est pas sans objet, formule dont la forme, assu­rément, dessine ce rapport subjectif qui est celui d'étape, ressort duquel je désire m'avancer plus avant aujourd'hui, car, bien sûr, le terme d'objet est ici, depuis longtemps, par moi, préparé dans un accent qui se distingue de ce que les auteurs ont jusque-là défini comme objet quand ils parlent de l'objet de la peur.

Ce vor etwas de Freud, bien sûr, il est facile de lui donner tout de suite son support, puisque Freud l'articule dans l'article, et de toutes les manières. C'est ce qu'il appelle le danger, Gefahr ou Gefährdung interne, celui qui vient du dedans. Je vous l'ai dit, il s'agit de ne pas vous contenter de cette notion de danger, Gefahr ou Gefährdung. Car si j'ai déjà signalé tout а l'heure son caractère problématique, quand il s'agit du danger exté­rieur, en d'autre termes, qu'est-ce qui avertit le sujet que c'est un danger sinon la peur elle-même, sinon l'angoisse, le sens que peut avoir le terme de danger intérieur est si lié а la fonction de toute une structure а conserver, de tout l'ordre de ce que nous appelons défense, que nous ne voyons pas que dans le terme même de défense la fonction du danger est elle-même impli­quée, mais qu'elle n'est pas pour autant éclaircie.

Essayons donc de suivre plus pas а pas la structure, et de bien désigner où nous entendons fixer, repérer ce trait de signal sur lequel enfin Freud s'est arrêté, comme а celui qui est le plus propre а nous indiquer, а nous autres analystes, l'usage que nous pouvons faire de la fonction de l'angois­se. C'est ce que je vise а atteindre dans le chemin où j'essaie de vous mener. Seule la notion de réel, dans la fonction opaque qui est celle dont vous savez que je pars pour lui opposer celle du signifiant, nous permet de nous orienter; et déjà dire que cet etwas devant quoi l'angoisse opère comme signal, avec c'est quelque chose qui est, disons, pour l'homme, avec l'entre­ guillemets, nécessaire, de l'ordre de l'irréductible de ce réel, c'est en ce sens-­ci que j'ai osé devant vous la formule, que l'angoisse, de tous les signaux, est celui qui ne trompe pas. Du réel donc, et, je vous l'ai dit, d'un mode irré­ductible sous lequel ce réel se présente dans l'expérience, tel est ce dont l'angoisse est le signal; tel est à l'instant, au point où nous en sommes, le guide, le fil conducteur auquel je vous demande de vous tenir pour voir où il nous mène. Ce réel et sa place, c'est exactement celui dont, avec le sup­port du signe, de la barre, peut s'inscrire l'opération qu'on appelle arithmétiquement de la division.

Je vous ai déjà appris à situer le procès de la subjectivation pour autant que c'est au lieu de l'Autre, sous les espèces primaires du signi­fiant, que le sujet a à se constituer, au lieu de l'Autre et sur le donné de ce trésor du signifiant déjà constitué 

dans l'Autre et aussi essentiel à tout avènement de la vie humaine que tout ce que nous pouvons concevoir de l'Umwelt naturel. C'est par rapport au trésor du signifiant qui, d'ores et déjà, l'attend, constitue l'écart où il a à se situer, que le sujet, le sujet à ce niveau mythique qui n'existe pas encore, qui n'existe que partant du signifiant qui lui est antérieur, qui est par rapport à lui constituant, que le sujet fait cette première opération interrogative, dans A, si vous voulez, combien de fois S ? Et l'opération étant ici posée d'une certaine façon qui est ici dans le A marqué de cette interrogation, ici appa­raît, différence entre ce A réponse et le A donné, quelque chose qui est le reste, l'irréductible du sujet, c'est a; a est ce qui reste d'irréductible dans cette opération totale d'avènement du sujet au lieu de l'Autre, et c'est de là qu'il va prendre sa fonction. Le rapport de ce à l'S, le a en tant qu'il est jus­tement ce qui représente le S de façon réelle et irréductible, ce sur S, a/S, c'est cela qui boucle l'opération de la division, ce qui, en effet, puisque A, si l'on peut dire, c'est quelque chose qui n'a pas de commun dénominateur, qui est hors du commun dénominateur, entre le a et le S. Si nous voulons, 211-conventionnellement, boucler l'opération quand même, qu'est-ce que nous faisons ? Nous mettons au numérateur le reste, а, au dénominateur le divi­seur, le S. C'est équivalent au а sur S : S

Ce reste, donc, en tant qu'il est la chute, si l'on peut dire, de l'opération subjective, ce reste, nous у reconnaissons, ici, structuralement, dans une analyse calculatrice, l'objet perdu; c'est ça а quoi nous avons affaire, d'une part dans le désir, d'autre part dans l'angoisse. Nous у avons affaire dans l'angoisse, si l'on peut dire, logiquement, antérieurement au moment où nous у avons affaire dans le désir. Et, si vous voulez, pour connoter ces trois étages de cette opération, nous dirons qu'il у а ici un Х que nous ne pou­vons nommer que rétroactivement, qui est а proprement parler l'abord de l'Autre, la visée essentielle où le sujet а а se poser et dont je dirai le nom par après. Nous avons ici le niveau de l'angoisse, pour autant qu'il est constitu­tif de l'apparition de la fonction а, et c'est au troisième terme qu'apparaît le $ comme sujet du désir.

Pour illustrer maintenant, faire vivre cette abstraction sans doute extrê­me que je viens d'articuler, je vais vous ramener а l'évidence de l'image et ceci, bien sûr, d'autant plus légitimement que c'est d'image qu'il s'agit, que cet irréductible du а est de l'ordre de l'image. Celui qui а possédé l'objet du désir et de la loi, celui qui а joui de sa mère, Œdipe pour le nommer, fait ce pas de plus, il voit ce qu'il а fait. Vous savez ce qui alors arrive. Quel mot choisir, comment dire ce qui est de l'ordre de l'indicible, ce dont, pourtant, je veux pour vous, faire surgir l'image. Qu'il voie ce qu'il а fait а pour conséquence qu'il voit, voilà le mot devant lequel je bute, l'instant d'après ses propres yeux boursouflés de leur tumeur vitreuse, au sol, un confus amas d'ordures puisque - comment le dire ainsi ? - puisque pour les avoir arrachés de ses orbites, ses yeux, il а bien évidemment perdu la vue. Et pourtant, il n'est pas sans les voir, les voir comme tels, comme l'objet-cause enfin dévoilé de la dernière, l'ultime, non plus coupable, mais hors des limites, concupiscence, celle d'avoir voulu savoir. La tradition dit même que c'est а partir de ce moment qu'il devient vraiment voyant. А Colone, il voit aussi loin qu'on peut voir et si loin en avant qu'il voit le futur destin d'Athènes.

Qu'est-ce que le moment de l'angoisse ? Est-ce que c'est le possible de ce geste par où Oedipe peut s'arracher les yeux, en faire ce sacrifice, cette offre, rançon de l'aveuglement où s'est accompli son destin? Est-ce cela l'angoisse, la possibilité, disons, qu'a l'homme de se mutiler? Non, c'est proprement ce que, par cette image, je m'efforce de vous désigner, c'est qu'une impossible vue vous menace de vos propres yeux par terre. C'est là, je crois, la clé la plus sûre que vous pourrez toujours retrouver, sous quelque mode d'abord que se présente pour vous le phénomène de l'an­goisse.

Et puis, si expressive, si provocante que soit, si l'on peut dire, l'étroites­se de la localité que je vous désigne comme étant ce qui est cerné par l'an­goisse, apercevez-vous bien que cette image, ce n'est pas par quelque pré­ciosité de son choix qu'elle se trouve la comme hors des limites, ce n'est pas un choix excentrique; il est, une fois que je vous le désigne, bel et bien cou­rant de le rencontrer. Allez dans la première exposition actuellement ouver­te au public, au Musée des Arts Décoratifs, et vous verrez deux Zurbaran, l'un de Montpellier, l'autre d'ailleurs, qui représentent, je crois, Lucie et Agathe, avec chacune qui, ses yeux dans un plat, qui, la paire de ses seins. Martyr, ce qui veut dire témoin de ce qu'on voit ici; d'ailleurs, ce n'est pas, comme je vous le disais, le possible, а savoir que ces yeux soient dénucléés, que ces seins soit arrachés, qui est l'angoisse. Car, а la vérité, chose qui méri­te aussi d'être remarquée, ces images chrétiennes ne sont pas spécialement mal tolérées, malgré que certains, pour des raisons qui ne sont pas toujours les meilleures, fassent а leur endroit la petite bouche, - Stendhal, parlant de San Stefano il Rotondo, а Rome -, trouvent que ces images qui sont sur les murs sont dégoûtantes. Assurément, elles sont а l'endroit donné, assez dépourvues d'art, pour qu'on soit introduit, je dois dire, un peu plus vive­ment а leur signification. Mais ces charmantes personnes que nous présen­te Zurbaran, elles, а nous présenter sur un plat ces objets, ne nous présen­tent rien d'autre que ce qui peut faire а l'occasion, et nous ne nous en pri­vons pas, l'objet de notre désir. D'aucune façon ces images ne nous intro­duisent, je pense, pour ce qui est commun d'entre nous, а l'ordre de l'an­goisse.

Pour ceci, il conviendrait qu'il у fût concerné plus personnellement, qu'il fût sadique ou masochiste, par exemple, а partir du moment où il s'agirait d'un vrai masochiste, d'un vrai sadique, ce qui ne veut pas dire quelqu'un qui peut avoir des fantasmes que nous épinglons sadiques ou masochistes, pour peu qu'ils reproduisent la position fondamentale du sadique ou du masochiste, le vrai sadique, pour autant que nous pouvons 213 repérer, coordonner, construire sa condition essentielle, le vrai masochiste, pour autant que nous nous trouvons, par repérage, élimination successive, nécessité de pousser plus loin le plan de sa position que de ce qui nous est donné par d'autres comme Erlebnis, Erlebnis plus homogène elle-même, Erlebnis du névrosé, mais Erlebnis qui n'est que référence, dépendance, image de quelque chose au-delà qui fait la spécificité de la position perver­se et où le névrosé prend en quelque sorte référence et appui pour des fins sur lesquelles nous reviendrons.

Essayons donc de dire ce que nous pouvons présumer de ce qu'est cette position sadique ou masochiste, ce que les images de Lucie et Agathe peu­vent vraiment intéresser; la clé en est l'angoisse. Mais il faut la chercher, savoir pourquoi. Le masochiste - je vous l'ai dit la dernière fois - quelle est sa position ? Qu'est-ce que masque, а lui, son fantasme ? d'être objet d'une jouissance de l'Autre qui est sa propre volonté de jouissance, car après tout, le masochiste ne rencontre pas, comme un apologue humoris­tique déjà cité ici vous le rappelle, forcément son partenaire. Qu'est-ce que cette position d'objet masque, si ce n'est de rejoindre lui-même, de se poser dans la fonction de la loque humaine, de ce pauvre déchet de corps, séparé, qui nous est ici présenté ? Et c'est pourquoi je dis que la visée de la jouis­sance de l'Autre, c'est une visée fantasmatique. Ce qui est cherché, c'est chez l'Autre la réponse а cette chute essentielle du sujet dans sa misère der­nière et qui est l'angoisse. Où est cet autre dont il s'agit? C'est bien la pour­quoi а été produit dans ce cercle le troisième terme, toujours présent dans la jouissance perverse; l'ambiguïté profonde où se situe une relation en apparence sexuelleе, se retrouve ici. Car aussi bien cette angoisse, il faut vous faire sentir où j'entends vous l'indiquer. Nous pourrions dire - et la chose est suffisamment mise en relief par toutes sortes de traits de l'histoire - qui, cette angoisse qui est la visée aveugle du masochiste, car son fantasme la lui masque, elle n'en est pas moins, réellement, ce que nous pourrions appeler l'angoisse de Dieu.

Est-ce que j'ai besoin de faire appel au mythe chrétien le plus fondamen­tal pour donner corps а tout ce qu'ici j'avance, а savoir, que si toute l'aven­ture chrétienne n'est pas engagée sur cette tentative centrale, inaugurale, incarnée par un homme dont toutes les paroles sont encore а réentendre, d'être celui qui а poussé les choses jusqu'au dernier terme d'une angoisse qui ne trouve son véritable cycle qu'au niveau de celui pour lequel est instauré le sacrifice, c'est-à-dire au niveau du père. Dieu n'a pas d'âme. Ça, c'est bien évident. Aucun théologien n'a encore songé а lui en attribuer une. Pourtant, le changement total, radical, de la perspective du rapport а Dieu а com­mencé avec un drame, une passion, où quelqu'un s'est fait l'âme de Dieu. Car c'est, pour situer aussi la place de l'âme а ce niveau а, de résidu d'objet chu, dont il s'agit essentiellement, qu'il n'y а pas de conception vivante de l'âme, avec tout le cortège dramatique où cette notion apparaît et fonction­ne dans notre aire culturelle, sinon accompagnée, justement de la façon la plus essentielle de cette image de la chute.

Tout ce qu'articule Kierkegaard n'est rien que référence а ces grands repères structuraux. Alors, maintenant, observez que j'ai commencé par le masochiste, c'était le plus difficile, mais aussi bien c'était celui qui évitait les confusions. Car on peut mieux comprendre ce que c'est que le sadique; le piège qu'il у а là а n'en faire que le retournement, l'envers, la position inversée de celle du masochiste, а moins qu'on procède, c'est ce qui se fait d'habitude, en sens contraire. Chez le sadique, l'angoisse est moins cachée. Elle l'est même si peu qu'elle vient en avant dans le fantasme, lequel, si on l'analyse, fait de l'angoisse de la victime une condition tout а fait exigée. Seulement, c'est cela même qui doit nous mettre en méfiance. Ce que le sadique cherche dans l'Autre - car il est bien clair que, pour lui, l'Autre existe, et que ce n'est pas parce qu'il le prend pour objet que nous devons dire qu'il у а la je ne sais quelle relation que nous appelle­rions immature, ou encore, comme on s'exprime, prégénitale, l'Autre est absolument essentiel et c'est bien ce que j'ai voulu articuler quand je vous ai fait mon séminaire sur l'Éthique en rapprochant Sade de Kant, l'essen­tielle mise а la question de l'Autre qui va jusqu'à simuler, et non par hasard, les exigences de la loi morale, qui sont bien la pour nous montrer que la référence а l'Autre, comme tel, fait partie de sa visée, - qu'est-ce qu'il у cherche ? C'est ici que les textes, les textes que nous pouvons rete­nir, je veux dire ceux qui donnent quelques prises а une suffisante critique, prennent leur prix,. bien sûr, leur prix signalé par l'étrangeté de tels moments, de tels détours qui, en quelque sorte, se détachent, détonnent par rapport au fil suivi. Je vous laisse а rechercher dans Juliette, voire dans Les 120 journées, ces quelques passages où les personnages, tout occupés а assouvir sur ces victimes choisies leur avidité de tourments, entrent dans cette bizarre, singulière et curieuse transe, je vous le répète, plusieurs fois  indiquée dans le texte de Sade, et qui s'exprime en ces mots étranges en effet qu'il me faut bien ici articuler : « J'ai eu, s'écrie le tourmenteur, j'ai eu la peau du con ».

Ce n'est pas là trait qui va de soi dans le sillon de l'imaginable, et le carac­tère privilégié, le moment d'enthousiasme, le caractère de trophée suprême, brandi au sommet du chapitre, est quelque chose qui, je crois, est suffisam­ment indicatif de ceci, c'est que quelque chose est cherché qui est en sorte l'envers du sujet, ce qui prend ici sa signification de ce trait de gant retour­né que souligne l'essence féminine de la victime. C'est du passage а l'exté­rieur de ce qui est le plus caché qu'il s'agit; mais observons, en même temps, que ce moment est en quelque sorte indiqué dans le texte lui-même comme étant totalement impénétré par le sujet, laissant justement ici, masqué, le trait de sa propre angoisse. Pour tout dire, s'il у а quelque chose qui évoque aussi bien ce peu de lumière que nous pouvons avoir sur la relation vérita­blement sadique, que la forme des textes explicatifs où s'en déplore le fan­tasme, s'il у а quelque chose qu'il nous suggère, c'est en quelque sorte le caractère instrumental а quoi se réduit la fonction de l'agent. Ce qui, en quelque sorte dérobe, sauf en éclair, la visée de son action, c'est le caractère de travail de son opération. Lui aussi а rapport а Dieu, c'est ce qui s'étale partout dans le texte de Sade. Il ne peut avancer d'un pas sans cette référen­ce а l'être suprême en méchanceté, dont il est aussi clair pour lui que pour celui qui parle, que c'est de Dieu dont il s'agit. Il se donne, lui, un mal fou, considérable, épuisant, jusqu'à manquer son but, pour réaliser ce que - Dieu merci, c'est le cas de le dire, Sade nous épargne d'avoir а reconstruire, car il l'articule comme tel - pour réaliser la jouissance de Dieu.

Je pense vous avoir montré, ici, le jeu d'occultation par quoi angoisse et objet, chez l'un et chez l'autre, sont amenés а passer au premier plan, l'un aux dépens de l'autre terme, mais en quoi aussi, dans ces structures, se désigne, se dénonce, le lien radical de l'angoisse а cet objet en tant qu'il choit. Par la même, sa fonction essentielle est approchée, sa fonction décisi­ve de reste du sujet, le sujet comme réel. Assurément ceci nous invite а revoir, а mettre plus d'accent sur la réalité de ces objets. Et en passant à ce chapitre suivant, je ne peux manquer de remarquer а quel point ce statut réel des objets, déjà pourtant par nous repérés, а été laissé de côté, mal défi­ni par des gens qui se veulent pourtant, pour vous, des références ou des repères biologisants de la psychanalyse.  Est-ce que ce n'est pas l'occasion de s'apercevoir d'un certain nombre de traits qui ont leur relief, et où je voudrais, comme je le peux et en poussant ma charrue devant moi, vous introduire. Car les seins, puisque nous les avons là par exemple sur le plat de la Sainte Agathe, est-ce que ce n'est pas une occasion de réfléchir, puisque - déjà on l'a dit depuis longtemps - l'angoisse apparaît dans la séparation, mais alors, nous le voyons bien, si ce sont des objets séparables, ils ne sont pas séparables par hasard comme là patte d'une sauterelle, ils sont séparables parce qu'ils ont déjà, si je puis dire, très suffisamment, anatomiquement un certain caractère plaqué, ils sont la, accrochés. Ce caractère très particulier de certaines parties anatomiques qui spécifient tout а fait un secteur de l'échelle animale, celui qu'on appelle pré­cisément, non sans raison, les mammifères. C'est même assez curieux qu'on se soit aperçu du caractère tout а fait essentiel, signifiant а proprement par­ler, de ce trait, car enfin il semble qu'il у а des choses plus structurales que les mammes pour désigner un certain groupe d'animal qui а bien d'autres traits d'homogénéité par où on pourrait le désigner. On а choisi ce trait, sans doute n'a-t-on pas eu tort. Mais c'est bien un des cas où l'on voit le fait que l'esprit d'objectivation n'est pas lui-même sans être influencé par la pré­gnance des fonctions psychologiques, je dirais, pour me faire entendre de ceux qui n'auraient pas encore compris, certain trait de la prégnance qui n'est pas simplement significatif, qui induit en nous certaines significations où nous sommes les plus engagés. Vivipare - ovipare, division vraiment faite pour embrouiller, car tous les animaux sont vivipares puisqu'ils engendrent des veufs dans lesquels il у а un vivant, et tous les animaux sont ovipares puisqu'il n'y а pas de vivipare qui n'ait viviparé а l'intérieur d'un oeuf.

Mais pourquoi ne pas donner vraiment toute son importance а ce fait tout а fait analogique par rapport а ce sein dont je vous parlais tout а l'heu­re, que, pour les neufs qui ont un certain temps de vie intra-utérine, il у а cet élément irréductible а la division de l’œuf en lui-même, qui s'appelle le pla­centa, qu'il у а la aussi quelque chose de plaqué, et que, pour tout dire, ce n'est pas tellement l'enfant qui pompe la mère de son lait, c'est le sein, de même que c'est l'existence du placenta qui donne а la position de l'enfant а l'intérieur du corps de la mère, ses caractères, parfois manifestes sur le plan de la pathologie, de nidation parasitaire; vous voyez où j'entends mettre l'accent, sur le privilège, а un certain niveau, d'éléments que nous pouvons qualifier d'ambocepteurs.217  De quel côté est ce sein ? Du côté de ce qui suce ou du côté de ce qui est sucé ? Et, après tout, je ne fais rien la que de vous rappeler ce а quoi effec­tivement la théorie analytique а été amenée, c'est-à-dire а parler, je ne dirai pas indifféremment, mais avec ambiguïté dans certaines phrases, du sein ou de la mère, bien sûr en soulignant que ce n'est pas la même chose. Mais est ce bien tout dire que de qualifier le sein d'objet partiel ? Quand je dis ambo­cepteur, je souligne qu'il est aussi nécessaire d'articuler le rapport du sujet maternel au sein, que le rapport du nourrisson au sein. La coupure ne passe pas, pour les deux, au même endroit; il у а deux coupures si distantes qu'elles laissent même pour les deux des déchets différents, car la coupure du cordon pour l'enfant laisse séparée de lui une chute qui s'appelle les enveloppes. Cela est homogène а lui et continue avec son ectoderme et son endoderme. Le placenta n'est pas tellement intéressé а l'affaire. Pour la mère, la coupure se place au niveau de la chute du placenta, c'est même pour ça qu'on appelle ça des caduques, et la caducité de cet objet а est la ce qui fait sa fonction. Eh! bien, tout ceci n'est pas fait tout de suite pour vous amener а réviser certaines des relations déduites, déduites imprudemment d'un brossage hâtif, de ce que j'appelle une ligne de séparation où se pro­duit la chute, le niederfallen typique de l'approche d'un а, pourtant plus essentiel au sujet que toute autre part de lui-même.

Mais, pour l'instant, pour vous faire naviguer tout droit sur ce qui est essentiel, а savoir vous apercevoir ou cette interrogation se transporte, au niveau de la castration - car la castration, là aussi nous avons affaire а un organe - avant de nous en tenir а la menace de castration, c'est-à-dire ce que j'ai appelé le geste possible, est-ce que nous ne pouvons pas, analogi­quement а l'image que j'ai produite aujourd'hui devant vous, chercher si déjà nous n'avons pas l'indication que l'angoisse est а placer ailleurs ? Car un phallus, puisqu'on se gargarise toujours de biologie, avec un caractère d'incroyable légèreté dans l'abord, un phallus n'est pas limité а ce champ des mammifères. Il у а des tas d'insectes diversement répugnants de la blat­te au cafard, qui ont quoi ? des dards. Ça va très loin, en effet, chez l'animal, le dard. Le dard, c'est un instrument, et dans beaucoup de cas - je ne vou­drais pas faire un cours d'anatomie comparée aujourd'hui, je vous prie de vous référer aux auteurs, а l'occasion) e vous les indiquerai - le dard, c'est un instrument, ça sert а accrocher. Nous ne connaissons rien des jouissances amoureuses de la blatte et du cafard. Rien n'indique pourtant qu'ils en  soient privés. I1 est même assez probable que jouissance et conjonction sexuelle sont toujours dans le rapport le plus étroit.

Et qu'importe! Notre expérience, à nous hommes, et l'expérience que nous pouvons présumer être celle des mammifères qui nous ressemblent le plus, conjoignent le lieu de la jouissance et l'instrument, le dard. Alors que nous prenons la chose pour allant de soi, rien n'indique que même là où l'instrument copulatoire est un dard ou une griffe, un objet d'accrochage, en tout cas un objet, ni tumescent, ni détumesciЫe, la jouissance soit liée а la fonction de l'objet.

Que la jouissance, l'orgasme chez nous, pour nous limiter а nous, coïn­cide avec, si je puis dire, la mise hors du combat ou la mise hors du jeu de l'instrument par la détumescence, est quelque chose qui mérite tout а fait que nous ne la tenions pas pour quelque chose, si je puis dire, qui est, comme s'exprime Goldstein, dans la Wesenheit, dans 1'essentialité de l'or­ganisme. Cette coïncidence d'abord n'a rien de rigoureux а partir du moment où on у songe; ensuite, elle n'est pas, si je puis dire, dans la natu­re des choses de l'homme. En fait, qu'est-ce que nous voyons avec là pre­mière intuition de Freud sur une certaine source de l'angoisse ? le coïtus interruptus. C'est justement le cas où, par la nature même des opérations en cours, l'instrument est mis au jour dans sa fonction soudain déchue de l'ac­compagnement de l'orgasme, en tant que l'orgasme est supposé signifier une satisfaction commune.Je laisse cette question en suspens. Je dis simplement que l'angoisse est promue par Freud dans sa fonction essentielle, là justement où l'accompa­gnement de la montée orgastique avec ce qu'on appelle la mise en exercice de l'instrument, est justement disjoint. Le sujet peut en venir а l'éjaculation, mais c'est une éjaculation au dehors et l'angoisse est justement provoquée par ce fait qui est mis en valeur, par ceci que j'ai appelé tout а l'heure la mise hors du jeu de l'appareil, de l'instrument de la jouissance. La subjectivité, si vous voulez, est focalisée sur la chute du phallus. Cette chute du phallus, elle existe aussi bien dans l'orgasme accompli normalement. C'est justement là-dessus que mérite d'être retenue l'attention, pour mettre en valeur une des dimensions de la castration.

Comment est vécue la copulation entre homme et femme? C'est là ce qui permet а la fonction de la castration, а savoir au fait que le phallus est plus significatif dans le vécu humain par sa chute, par sa possibilité d'être objet  chu que par sa présence, c'est la ce qui désigne la possibilité de la place de la castration dans l'histoire du désir. Ceci, il est essentiel de le mettre en valeur. Car sur quoi ai-je terminé la dernière fois, sinon à vous dire, tant que le désir n'est pas situé structuralement, n'est pas distingué de la dimension de la jouissance, tant que la question n'est pas de savoir quel est le rapport et s'il у а un rapport pour chaque partenaire entre le désir, nommément le désir de l'Autre, et la jouissance, toute l'affaire est condamnée а l'obscurité.

Le plan de clivage, grâce а Freud, nous l'avons. Cela seul est miraculeux. Dans la perception ultra-précoce que Freud а eue de son caractère essen­tiel, nous avons la fonction de la castration comme intimement liée aux traits de l'objet caduc, de la caducité comme la caractérisant essentielle­ment. C'est seulement а partir de cet objet caduc que nous pourrons voir ce que veut dire qu'on ait parlé d'objet partiel. En fait, je vous le dis tout de suite, l'objet partiel, c'est une invention du névrosé, c'est un fantasme. C'est lui qui en fait un objet partiel. Pour ce qui est de l'orgasme et de son rapport essentiel avec la fonction que nous définissons de la chute, du plus réel du sujet, est-ce que vous n'en avez pas eu, ceux qui ont ici une expé­rience d'analyste, plus d'une fois le témoignage? Combien de fois vous aura-t-il été dit qu'un sujet aura eu, je ne dis pas son premier, mais un de ses premiers orgasmes au moment où il fallait rendre en toute hâte la copie d'une composition ou d'un dessin qu'il fallait rapidement terminer, et ou l'on ramassait quoi ? son oeuvre, ce sur quoi il était absolument attendu а ce moment-là, quelque chose а arracher de lui, - ramassage des copies, а ce moment-là, il éjacule, - il éjacule au sommet de l'angoisse bien sûr.

Quand on nous parle de la fameuse érotisation de l'angoisse, est-ce qu'il n'est pas d'abord nécessaire de savoir quels rapports а, d'ores et déjà, l'an­goisse avec l'Éros ? Quels sont les versants respectifs de cette angoisse du côté de la jouissance et du côté du désir. C'est ce que nous essaierons de dégager la prochaine fois.

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Seminaire l' angoisse, lecon XII, Lacan

Leçon XII 27 février 1963

Bon. Ме voilà de retour des sports d'hiver. La plus grande part de mes réflexions у était bien sûr, comme d'habitude, tournée а votre service. Non pas exclusivement pourtant. С'est pourquoi les sports d'hiver cette année, outre qu'ils m'ont réussi, се qui n'est pas toujours le cas, m'ont frappé par je ne sais quoi qui m'est apparu et qui m'a ramené а un problème dont ils те semblent une incarnation évidente, une matérialisation vive, с'est celui contemporain de la fonction du camp de concentration pour 1a vieillesse aisée, dont chacun sait qu'еlle deviendra de plus en plus un problème dans l'avancement de notre civilisation, vu l'avancement de l'âge moyen avec le temps; ça m'а rappelé qu'évidemment се problème du camp de concentra­tion, et de sa fonction а cette époque de notre histoire, a vraiment été jus­qu'ici intégralement 1оире, complètement masqué, par l'ère de moralisation crétinisante qui a suivi immédiatement 1a sortie de la guerre, et l'idée absur­de qu'on allait pouvoir en finir aussi vite avec ça, je parle toujours des camps de concentration. Enfin, je n'épiloguerai pas plus longtemps sur les divers commis voyageurs qui se sont faits une spécialité d'étouffer l'affaire, au pre­mier rang desquels il у en a eu un, соmme vous le savez, un qui a récolté le prix Nobel. On а vu а quel point il était а la hauteur de son héroïsme de l'absurde au moment où il s'est agi de prendre, sur une question actuelle, sérieusement parti.

Enfin tout ça pour nous rappeler, puisque aussi bien parallèlement а ces réflexions, je relisais, а votre service, mon séminaire sur l'Éthique d'il у a quelques années, et се1а pour renouveler lе bien-fondé de се que je crois у  avoir articulé de plus essentiel après notre maître Freud, ce que je crois у avoir accentué d'une façon digne de la vérité dont il s'agit, que toute mora­le est а chercher dans son principe, dans sa provenance, du côté du Réel. Encore faut-il savoir bien sûr ce qu'on entend par lа. Je pense que pour ceux qui ont entendu plus précisément ce séminaire, la morale est а chercher du côté du réel et plus spécialement en politique. Ce n'est pas pour cela que ça doit vous inciter а lа chercher du côté du Marché Commun!

Alors maintenant, je vais remettre, non seulement la parole, mais la pré­sidence, comme on dit, ou plus exactement la position de chairman, а celui qui l'a occupée la dernière fois, Granoff, qui va venir ici, puisqu'il faudra bien qu'il réponde, puisqu'il а fait une introduction générale, aux trois par­ties, qu'il donne au moins un petit mot de réponse а Madame Aulagnier qui va finir aujourd'hui la boucle de ce qui avait été amorcé la dernière fois.

Donc, Granoff, ici, Aulagnier, ici. Aulagnier va nous dire ce qu'elle a extrait de son travail sur l'article de Margaret Little.

Aulagnier - Je rappellerai simplement que, quand Monsieur Granoff, dans le dernier séminaire, nous а donné un aperçu sur la façon dont, dans les dernières vingt ou trente années, а été traité par les analystes, le problè­me du contre-transfert, il nous а dit, si j'ai bonne mémoire, qu'à partir des différentes tendances, nous aurions pu voir une sorte de compas, une ouver­ture de 180 degrés, c'est ce que vous avez dit, je crois, et que les deux ten­dances extrêmes, qui devaient donc former, dans un certain sens, les deux pointes de ce compas, étaient ce qu'on pouvait retirer de l'article de Thomas Szasz, qui vous а été exposé par М. Perrier, et d'autre part, le point de vue opposé, l'article de Margaret Little dont je vais vous parler а mon tour. Dans cet article, il у а une partie théorique, une partie clinique. J'ajoute qu'il ne s'agit pas, bien sûr, d'en faire une analyse comme il le mériterait sans doute, c'est un article très riche, ce n'est pas ce que j'ai l'intention de faire mais, je dirai, de vous communiquer simplement les réflexions que certains points de cet article m'ont suggérées.

Et d'abord, quel en est le titre ? Dans le titre, Margaret Little se réfère а un premier article paru en 1951 où déjà il était question de ce R, ce symbole qui signifie pour elle ce que, je crois, on pourrait dire en français la totalité de la réponse de l'analyste aux besoins de ses patients. On est déjà intéressé ou alerté par le terme de besoin. C'est que, normalement, le mot réponse en  français suggère comme vis à vis, comme répondant, le mot question ou demande. Rien de tel ici. Il s'agit bien de besoin et il est bien difficile de dire ce qu'elle entend par ce terme de besoin, que ce terme est assez vague, je crois que, dans tout 1'árticle, ce qui se dégage, c'est vraiment, on а envie de dire, le côté corporéité pour elle. Cette espèce, non pas de manque avec ce sens que nous а appris Monsieur Lacan а l'entendre, de vide, de gouffre au niveau du sujet, gouffre dans lequel s'engouffre ce que, dans cet article, nous pourrons définir comme le don en tant que dévoilement de ce qui apparaît, et qui en fait l'intérêt, c'est-à-dire le désir de l'analyste.

Ceci dit, si nous reprenons quelques-uns des points qui m'ont paru, à raison ou а tort, les plus importants, je commencerai par m'arrêter sur la définition qu'elle nous donne sur le terme de contre-transfert. Elle com­mence bien sûr par nous dire combien il est regrettable - et après tout c'est un regret que nous comprenons et que nous pouvons même а la rigueur partager - que très souvent dans notre éthique, dans notre domaine, cer­tains termes soient employés par les différents auteurs, que les mêmes termes servent а définir des concepts assez différents, que cela risque de créer un dialogue de sourds. Tout ceci, nous le savons, mais, ce qui semble plus important, je vais vous lire la définition qu'elle nous donne de ce qu'est pour elle le contre-transfert. Voilà ce qu'il représente pour Margaret Little

«... des éléments refoulés, donc non analysés jusqu'à ce moment dans l'ana­lyste, qui les relie а son patient de la même façon ...» - je m'excuse, ce n'est peut-être pas un français très correct, je traduis - «... que le patient trans­fère sur l'analyste des affects... etc... qui appartenaient а ses parents ou а des objets de son enfance, c'est-à-dire que l'analyste considère le patient d'une façon temporaire et variée comme il considérait ses propres parents ». Voilà ce que représente pour Margaret Little le contre-transfert. Donc le contre-transfert est quelque chose qui représente ce qui n'a pas été analysé, et dont en définitive l'analyse, c'est-à-dire les réactions qu'il provoquera, ne pour­ront être analysées par l'analyste que rétroactivement et devront être inter­prétées, je dirai, de façon rétroactive par l'analyste s'il en comprend le sens après-coup. Il s'agira, nous le verrons tout а l'heure, de façon simpliste, d'avoir une réaction qui parle de ça, de ces éléments non analysés, de cette partie donc qui а échappé а l'analyse personnelle de l'analyste, et ce n'est qu'ensuite que, parce qu'analyste, elle pourra ou ne pourra pas interpréter, en comprendre le sens. On peut у ajouter, qu'à partir de la, ce qui se dessine,  est que par moment dans la cure nous nous trouverions face а nos patients exactement dans la même position qu'ils se trouvent face а nous, c'est-à­-dire qu'ils prendraient dans un certain sens le rôle qu'a eu notre analyste, lors de notre propre analyse. C'est en tant que personnage, représentant les parents, qu'il provoquerait en nous certaines réponses. Nous verrons tout а l'heure ce qu'on doit en penser de ces réponses, le rôle que leur accorde Margaret Little, et les applications, ou plutôt qu'est-ce que cela donne dans la pratique, dans la clinique.

Ensuite, Margaret Little va nous parler de ce qu'elle définira en tant que réponse totale, c'est-à-dire quelque chose qui implique tout aussi bien, bien sûr, l'interprétation que ce qu'on peut appeler, d'un sens général, le com­portement, que les sentiments... etc. Ce n'est pas sur ça que je vais m'arrê­ter. Je vais m'arrêter sur deux points dans cette partie théorique, d'une part, ce qu'elle nous dit а propos de la responsabilité, et d'autre part - c'est dans le dernier paragraphe qui est peut-être le plus important -, ce qu'elle nous dit, а propos de ce qu'elle appelle la manifestation de l'analyste en tant que personne réelle, en tant que personne.

Voyons ce qu'elle nous dit de la responsabilité. Tout cet article est, com­ment pourrait-on dire,, dédié а un certain type de patients, ceux qu'elle appelle les patients borderline, personnalités psychopathiques et qui, en fait, sont ceux que, je crois, nous aurions intérêt а appeler des structures psy­chotiques. J'ajoute qu'on voit là l'intérêt qu'il у aurait а faire une différen­ce entre structure psychotique et psychose clinique ou psychose sympto­matique; mais ceci... peu importe. Au moment où elle aborde le problème de la responsabilité, Margaret Little nous dit que, d'abord, il est bien enten­du que personne ne nous oblige à être analyste, qu'ayant choisi de l'être, personne ne nous oblige а accepter un certain type de patients. Mais qu'à partir du moment où nous les avons acceptés, notre responsabilité vis-à-vis d'eux est complètement engagée; il у а un engagement а cent pour cent où, bien sûr, il faut connaître ses limites, quand même ces limites on ne pour­rait pas les respecter, etc... Mais, en définitive, avec une très grande honnê­teté et un sentiment de voir les choses aussi près qu'elle le peut, ce sur quoi elle insiste, c'est ce qu'on pourrait appeler notre responsabilité vis-à-vis en particulier de ce type de patients.

Jusque là, il n'y а rien que nous ne puissions partager, complètement accepter. Par contre, ce qui m'a particulièrement intéressée ou alertée, c'est  quand elle nous dit qu'il est utile que nous rendions conscient l'analysé de cette responsabilité, de la responsabilité que nous prenons. Là, je dois dire que, si j'ai bien compris ce que dit Margaret Little - vraiment je me suis arrêtée en le lisant - parce que, qu'est-ce que nous dit Margaret Little ? Elle nous dit: « En général, ce type de patients ne se rend pas du tout compte de la responsabilité qui est la nôtre. Il faut donc que nous leur en fassions prendre conscience ». Bien sûr, là raison de tout ceci, elle nous l'explique en invoquant tout le mythe du Moi auxiliaire, de l'identification а l'analyste. Et, dans l'esprit de Margaret Little, devrait précéder avec le psychotique une autre période de la cure, celle dans laquelle on pourrait faire des inter­prétations transférentielles.

Je laisse de côté, ici, si vous voulez, tout ce que théoriquement, on pour­rait dire а ce propos pour reposer la question que je me suis posée, qui est celle-ci: est-ce que nous pouvons, est-ce que nous devons, rendre le patient conscient de notre responsabilité ? Qu'elle existe, bien sûr, et qu'elle nous pèse lourdement sur les épaules, parfois, c'est tout aussi sûr. Mais je dirai qu'en lisant Margaret Little, j'ai eu l'impression, je me suis dit que j'aime­rais bien quelquefois comme ça, j'aimerais, moi, parfois, pouvoir rendre le patient conscient de la responsabilité qui est la mienne, non pas qu'on ne puisse pas, qu'il ne soit pas capable de le comprendre, mais il me semble que ce n'est pas... Et ce poids qui est justement le nôtre, est justement ce que nous ne pouvons pas partager avec le patient. Dans tout ce que dit Margaret Little, il у а quelque chose de l'ordre de la séduction et de la gratification vis-à-vis du patient, qui me semble justement quelque chose а éviter, tout aussi bien avec le névrosé qu'avec le psychotique. Et je dirai que c'est un point qui m'a, bien sûr, intéressée, mais dans lequel je suis très loin de Margaret Little. Et je crois que tout а l'heure, nous verrons où ça la mène.

Et je voudrais, pour finir, vous décrire ce qui me semble être vraiment le condensé de tout l'article, c'est-à-dire comment Margaret Little définit la rencontre analyste-analysé. J'avoue que les tirets ne sont pas de moi, ils sont а Margaret Little person-with-something-to-spare meets person-with-needs.

Ça veut dire exactement, une personne ayant quelque chose а donner, mais to spare en anglais, а une signification très particulière, c'est-à-dire quelque chose dont il puisse disposer, quelque chose qu'il а en plus, dans le sens, si vous voulez, je pense aller au théâtre et je suis seule, tout а coup quelqu'un me donne deux billets, il est évident que j'ai un billet а donner. C'est ça le sens de to spare en anglais. Rencontrer une personne avec des besoins . Voilà la façon dont Margaret Little définit la rencontre analytique. Je crois que simplement а partir de la, toute sa façon de concevoir l'analy­se, et tout ce qui est de l'ordre de cette espèce de pivot, tellement toujours important, et qui est toujours difficile а saisir, qui est le désir de l'analyste, apparaît dans toute sa splendeur.

Avant de revenir là-dessus, nous allons voir ce que nous dit Margaret Little au niveau de la manifestation de l'analyste en tant que personne. Et la, je me disais, en le lisant, qu'entre les différentes choses - il у en а beau­coup -, que Monsieur Lacan nous apportait, il у en а une qui vraiment me semble précieuse en tant qu'analyste, c'est ce qu'il nous а appris sur ce que, entre nous, nous appellerons, il appellerait, je pense, la réalité. Mais, par hasard, il en а parlé, je crois, juste avant mon exposé, mon résumé plutôt. Qu'est-ce que la manifestation de l'analyste en tant que personne ? « Eh bien, nous dit Margaret Little, avec ce type de malades qui ne sont pas capables de symboliser, qui sont des structures psychotiques, etc... il est néces­saire que l'analyste soit capable de se manifester en tant que personne ». Il s'agit de deux choses : la première, c'est dans le domaine de ce qu'on peut appeler en général l'affectivité : « Il faut que l'analyste soit capable », nous dit-elle, « de montrer ses sentiments aux patients ». Mais il у а quelque chose qui va plus loin. Vous vous souvenez que, tout а l'heure, je vous ai défini ce qu'est, pour Margaret Little, le contre-transfert, ce noyau non analysé est juste а ce moment-là ce qui provoque un certain type, bien sûr, justement un certain type de paroles, qu'elles soient verbales ou gestuelles, peu impor­te, chez l'individu. Ce type de réponses, font-elles, pour Margaret Little, appel au reacting-impulse, c'est-à-dire aux réactions impulsives ? Ces réac­tions impulsives, nous dit-elle, elles existent toujours mais, surtout, enfin, elles sont absolument bénéfiques pour le patient, dans certains cas, bien sûr, ajoute-t-elle. Là, je dois dire que j'étais vraiment étonnée de lire cela.

Mais enfin, revenons а la première partie. Ce que nous dit Margaret Little sur la manifestation de l'analyste en tant que personne réelle, а quoi devrait, dans son esprit, servir cela? Ça doit servir а une autre définition que nous trouvons et qui, je ne vous la reproduis pas, mais enfin, je crois m'en souvenir assez bien, qui va dans le sens de permettre au sujet une absorption, une incorporation et je crois une digestion - tous les termes у sont - normative, qui va vers une normalisation de l'analyste au milieu d'une introjection magique. Moi, j'ajoute que cela se passe avec le psychotique. Que nous devenions tour а tour, pour le psychotique, le lieu de cette intro­jection, bien sûr aussi. Que cela soit nécessaire pour que nous puissions l'analyser, c'est encore bien sûr. Mais que nous devions dire que le fait qu'il nous introjecte, en tant que personne réelle, est différent de l'introjection magique, qui est son mode de relation d'objet, là, je dois dire qu'il у а une nuance qui m'échappe complètement, et je ne pense pas qu'elle existe.

Quoi qu'il en soit, on en revient а ce que Margaret Little nous dit sur la manifestation de l'analyste comme une personne. Une première question peut se poser : en quoi le fait de montrer à nos patients nos sentiments, qu'elle appelle notre affectivité, - et tout а l'heure nous parlerons d'une façon plus précise - en quoi cela introduirait-il une dimension de réalité dans la cure ? Et ceci pour deux raisons :la première - et la, alors, je m'ex­cuse de me référer а moi-même mais en tant qu'analyste, je suis le seul dont je peux parler, je ne vois pas comment je pourrais parler d'un autre analys­te que moi - c'est qu'il me semble que, pour tout analyste, la réalité n'est jamais aussi réelle qu'à partir du moment où il parle, justement, de sa place d'analyste et que plus cette place d'analyste sera correcte, plus elle sera loin des reacting-impulse, plus il me semble qu'il sera lui-même réel.

Si maintenant, nous laissons de côté la réalité par rapport а l'analyste, et que nous nous plaçons au niveau du sujet, de l'analysé, la même question se pose. Car, si vous vous rappelez ce que nous а dit M. Perrier par exemple, sur la position de М. Szasz avec ce qu'il у а д'absolument rigide et de luci­de aussi dans sa façon de concevoir l'analyste, croyez-vous vraiment que ce type d'analyste puisse être pour le patient une sorte de machine qui dirait comme ça: « Hum... hum...» toutes les vingt minutes, ou quoi que ce soit. Je pense que l'analyste est toujours dans un certain sens, réel, et que dans un autre sens, il ne l'est jamais. Je veux dire que, que vous interprétiez ou que vous éternuiez, de toute façon, l'analysé l'entendra en fonction de sa rela­tion transférentielle. Il ne peut у avoir dans l'analyse aucune autre réalité que celle-là. C'est la seule dimension où s'inscrit la cure, et c'est quelque chose, je crois, qu'il ne faut jamais oublier. Quant а cette espèce de désir présent chez Margaret Little, ce qui fait qu'on pourrait passer sur une autre scène, justement, mais qui, cette fois, serait la scène de quoi ? La scène d'une réalité qui serait réalité pour autant justement qu'elle va au-delà, qu'elle est extérieure au paramètre de la situa­tion analytique. Je crois que la, il у а vraiment quelque chose qui n'est pas acceptable, tout au moins dans notre optique. Je ne dis pas, qu'après tout, on ne puisse pas voir les choses comme ça, mais je crois que, dans ce qui est notre propre optique, cela semble pour le moins contenir, renfermer, un paradoxe.

Et alors j'en viens au dernier point dont je vais parler avant de passer au cas clinique. C'est, ceci va exactement dans la ligne de tout ce que j'ai dit jus­qu'à maintenant, c'est ce que Margaret Little appelle les réactions impulsives. Les réactions impulsives, comme je l'ai dit, sont quoi? Eh bien, ce sont les réactions qui sont motivées, qui viennent en ligne directe, non pas simple­ment du ça de l'analyste, mais je dirai de cette partie de son inconscient qu'il n'a jamais pu analyser. Là, je crois que ce n'est pas tellement au niveau théo­rique que nous allons essayer de voir ce que ça implique, mais au niveau de l'exemple qu'elle cite, qu'elle donne et où, en effet, on voit ce que peut déter­miner, ce que peut provoquer ce type de comportement dans la pratique.

Le matériel clinique - C'est un cas, non, je ne vous parlerai pas du cas, simplement vous dire que c'est ce qu'on appelle, je crois, sans aucune équi­voque possible, une structure psychotique. C'est une analyse qui dure depuis dix ans. Pendant les sept premières années, nous dit Margaret Little, il а été absolument impossible de lui faire admettre d'analyser de quelque façon que ce soit le transfert. Et pourtant ce n'est pas faute d'avoir parlé en tant que personne réelle.

Je dirai même qu'elle nous en donne de très beaux exemples. Ce sont les deux auxquels s'est référé Monsieur Lacan la dernière fois où il а parlé ici. Nous avions la fois où le sujet était venu et, étant le dernier d'une longue série qui continuait а critiquer le bureau de l'analyste, Margaret Little lui dit qu'en définitive, ça lui est bien égal, ce qu'elle peut en penser ou non; et une autre fois, ceci se situe toujours pendant ces sept premières années, la fois où au fond le sujet lui racontant pour la énième fois des histoires avec sa mère et avec l'argent, Margaret Little lui dit qu'après tout, elle pense que tout ça c'est du bla-bla-bla, et qu'elle, l'analyste, est en train de faire un grand effort pour ne pas s'endormir. Réactions impulsives s'il у en а, réac­tions qui, peut-être, ne sont pas tellement, comme semble le croire Margaret Little, des manifestations de cette espèce de réalité réelle, vraie, de l'analys­te, en tous les cas, interventions qui laissent exactement les choses dans leur statu quo, c'est-à-dire que, bien sûr, l'analysée est choquée, elle dit : « Ah bon, d'accord, excusez-moi, je ne le dirai plus ». Mais, en fait, les choses continuent exactement comme avant. Elles continuent tellement comme avant, qu'après sept ans d'analyse, Margaret Little et l'analysée pensent qu'elles feraient bien d'interrompre le traitement, tout en sachant bien, toutes les deux, qu'en fait le problème n'a jamais pu être abordé. C'est là que va se situer l'épisode de la mort de Ilse. Ce n'est pas l'analyse du cas dont je vais parler, parce qu'on pourrait dire que c'est le deuil, c'est le per­sonnage qui est mort, puisque c'est simplement au niveau du contre-trans­fert que j'ai essayé de définir ou de parler aujourd'hui.

Je vais retourner un petit peu en arrière pour, а partir de la où nous verrons une certaine interprétation, pour revenir sur cette formule qui, dans l'esprit de Margaret Little, définit la rencontre. Est-ce qu'on peut - c'est une question que je pose, puisqu'en définitive, la réponse pour tous serait négative, sans même besoin de long discours là-dedans - est-ce qu'on peut vraiment définir l'analyste comme un être humain, un sujet qui aurait quelque chose de plus que les autres ? Je crois qu'il n'y а qu'à écouter par­ler Monsieur Lacan, et simplement qu'à se référer а notre propre expérien­ce d'analyste, pour voir combien cette solution est absolument impensable.

Quant aux besoins de l'analysé, je ne sais pas s'il est besoin ici de rappe­ler tout le décalage, tout ce qu'on peut dire au niveau du besoin et de la demande. Mais ce qu'ils ne savent pas, c'est que, dans cette simple formulé, ce qui est inscrit, ce n'est pas seulement la façon dont Margaret Little voit la rencontre, mais c'est vraiment le désir de l'analyste, le désir de Margaret Little, c'est-à-dire d'être cette espèce de sujet qui а quelque chose en plus, quelque chose avec quoi elle peut nourrir - ce n'est pas par hasard si j'em­ploie ce qui appartient au vocabulaire oral - elle peut combler un vide, une sorte de béance réelle, qu'elle voit comme telle, au niveau du sujet qui vient en analyse.

Nous allons alors, а partir de la, revenir non pas а ces deux interpréta­tions dont je vous ai parlé, mais revenir а cette première interprétation qui, en effet, est la première, je ne dirai pas qui fait aller l'analyse vers cette chose de positif qui pourrait, а la fin, déterminer la vraie guérison, mais qui fait aller l'analysé, le fait bouger, c'est ce qui vient au moment de la mort d'Ilse.  lise est un personnage, un substitut parental de l’âge de ses parents de la mala­de, qu'elle а connue étant enfant et qui est morte, qui vient de mourir en Allemagne; le sujet vient de l'apprendre. Elle arrive chez l'analyste dans un état de détresse, de désespoir, état de désespoir qui dure, séance après séan­ce, finit par affoler littéralement Margaret Little, qui nous dit

« J avais l'impression que si je n'arrivais pas, d'une façon ou d'une autre, "to break through", а faire irruption là-dedans, ma malade allait mourir, ma malade allait me manquer. Mourir pourquoi? dit-elle. Pour deux rai­sons : ou bien parce qu'elle se serait suicidée, ou bien parce qu'elle serait morte d'épuisement, parce qu'elle ne pouvait plus manger, elle ne pouvait plus rien faire ». Donc, а un certain moment, au cours du traitement, Margaret Little, а ce moment précis, est absolument affolée par ce qui se passe. C'est là, je crois, qu'il faut se rappeler ce que nous а dit М. Lacan quand il а parlé de ça; c'est-à-dire qu'à ce moment précis, un développe­ment s'est produit, et l'analyste est devenue quoi ? Le lieu de l'angoisse, c'est-à-dire que, non seulement il est le lieu de l'angoisse, mais que l'objet de son angoisse, c'est justement la patiente qui le représente. C'est à ce moment-1à que Margaret Little va intervenir, non pas du tout, comme elle le croit, pour montrer son affectivité, mais va intervenir vraiment а partir de son ça, résidu inconscient même pour elle, elle va lui dire qu'elle est vrai­ment, elle l'analyste, terriblement affectée par ce qui se passe, qu'elle ne sait plus quoi faire, qu'elle а l'impression du reste que personne ne pourrait supporter de la voir dans cet état-là, qu'elle souffre pour elle, enfin, vous n'aurez qu'à lire et vous verrez que, ce qu'elle fait, c'est vraiment l'instau­rer, le sujet, elle, Frieda, en tant qu'objet de son angoisse.

Et qu'est-ce qui va se passer? Il va se passer que le sujet entend les choses, comme exactement, cette fois-ci, comme l'analyste; l'analyste, je ne dirai pas les comprend, mais les vit : « Je suis l'objet de ton angoisse ». « Eh bien, c'est très bien » se dit-elle, « c'est très bien, parce qu'en définitive, cet objet d'angoisse, j'ai essayé de l'être vis-à-vis de mon père; mais ce n'était pas possible, puisqu'il était enfermé dans une espèce d'armure », c'était un mégalomaniaque, quelqu'un, dirait М. Lacan, а qui il n'est pas question qu'il puisse manquer quoi que ce soit. « Cet objet d'angoisse, j'ai bien essayé de l'être avec ma mère, et maintenant, je suis bien heureuse de l'être en effet, de pouvoir l'être pour vous ».

Et, а partir de la, qu'est-ce que nous allons voir? Nous allons voir que le  sujet, l'analysée, répond exactement de cette place, c'est-à-dire que vont se succéder toute une série de réponses, de réactions qui ont pour but, et comme seul but, de provoquer l'angoisse de l'analyste, afin qu'à chaque fois, l'analyste la rassure et lui dise qu'elle, l'analysée, est l'objet de son angoisse. En effet, c'est а partir de ce moment-là que vont surgir des crises d'hystérie, des réactions suicidaires extrêmement graves puisque l'analyste elle-même est très étonnée qu'à la suite d'un accident que la malade a eu, elle n'en soit pas morte, puisque par deux fois, des voisins vont lui dire : « Vous savez, la malade qui sort de chez vous, va certainement se faire tuer, parce qu'elle traverse la rue d'une façon absolument folle ». Et puis, non seule­ment elle va reprendre ses vols, mais va s'arranger pour voler alors qu'un détective est présent, et obliger l'analyste non seulement а lui faire un cer­tificat - bon, des certificats, on peut être amené а en faire pour certains types de patients - mais un certificat dans lequel elle ne se contente pas de dire « Médicalement, elle n'est pas responsable », elle ajoute « car ce sujet est quelqu'un d'absolument digne de confiance et de profondément honnête ». Qu'est-ce que cela vient faire dans le certificat? Ça, je me le demande enco­re. Peu importe. C'est peut-être au niveau du contre-transfert qu'on trou­verait une réponse. Quoi qu'il en soit, les choses continuent comme ça. Et, en fait, si nous n'avions pas affaire а Margaret Little, c'est-à-dire а quel­qu'un qui est un analyste, et probablement un bon analyste, elles auraient pu continuer comme ça, c'est-à-dire que la relation que l'analysée vivait avec la mère, elle la vit avec l'analyste et que, cette fois encore, elle refuse de façon totale, toute interprétation.

Alors, quand est-ce que les choses changent vraiment? Les choses chan­gent а partir du moment où Margaret Little est amenée а reconnaître ses propres limites. А ce moment-là, elle va parler, bien sûr, mais ce n'est pas du tout le reacting-impulse, mais ce n'est pas du tout une réaction affective elle va parler de sa place d'analyste. Dans un discours d'interprétation par­faitement conscient pour elle, et qui va amener la réponse que nous sommes en droit d'attendre ou d'espérer quand nous faisons ce type d'interpréta­tion, c'est-à-dire que le sujet va lui faire cadeau, pourrait-on dire, car c'est plutôt de leur côté que du nôtre, de toute façon, va lui faire cadeau de son fantasme fondamental. Quelle est cette interprétation? C'est le moment où l'analyste lui dit que, si les choses devaient continuer comme ça, elle serait, elle, l'analyste, amenée а interrompre le traitement.  le crois que c'est la qu'il faut voir cette introduction de la fonction de la coupure, qui devrait toujours être présente en analyse, qui est le but même, et le pivot sur lequel tourne tout notre traitement, et qui, en fait, amène, comme je vous le disais, immédiatement en réponse, quoi ? c'est-à-dire que le sujet dit finalement а l'analyste ce qu'est son fantasme fondamental, c'est celui de la capsule ronde, sphérique, parfaite qu'elle а construite justement parce qu'incapable d'accepter une castration, un manque que personne n'avait jamais pu symboliser pour elle. C'est а partir de ce moment que nous pouvons espérer avec Margaret Little - et peut-être avec raison - que ce traitement aboutisse а cette dernière séance qui, que ce soit pour un névrotique, pour un futur analyste ou un psychotique, peu importe, est toujours la même, est celle où l'analyste répète pour la énième fois, et c'est en ça que, non pas l'analyse, mais l'auto-analyse n'est jamais finie et que le patient expérimente pour la première fois quelque chose, qui est la seule chose pour laquelle il а fait ce long chemin, la seule chose, le point auquel nous ayons а l'amener, qu'il est le sujet d'un manque, qu'il est marqué du sceau de la castration comme nous tous, et que c'est la séparation qu'il faut pouvoir assumer. Lacan - Vous voulez faire ce petit mot conclusif que je suggérai, que vous vous étiez mis en place d'émettre parce que j'ai 1u - je dirai tout а l'heure dans quelles conditions j'ai eu connaissance de ce qui s'est dit la der­nière fois - mais enfin, j'en sais assez pour savoir que vous avez annoncé, donc que vous deviez clore.

Granoff - le ne pensais pas avoir annoncé que je devais clore. Mais enfin, sans même parler de clore, on peut effectivement dire quelques mots. Évidemment, ma position, telle qu'elle se définit, est différente de la vôtre, en ce sens que je n'ai pas а faire la critique d'un article, а fortiori, pas en somme la critique du procédé ou des résultats de l'analyse de Margaret Little, mais plutôt а tenter une interprétation du cours général, tel que Margaret Little et Szasz en représentent des formes particulières d'aboutis­sement.

Certes, entre Little et Szasz, on peut voir, et je l'ai vu - je suis а l'origi­ne de cette image, de ce secteur de 180 degrés - mais il faudrait ajouter que l'un et l'autre sont des auteurs contemporains, enfin qu'ils sont l'un et  l'autre de la même période et qu'à ce titre, ils doivent, l'un et l'autre, être opposés а ce qui situe une fausse origine de cette méditation, relativement de ce contre-transfert, origine qui évidemment remonte а Freud, et а tous les auteurs de sa verve, pourrait-on dire. Très brièvement, une sorte de réflexion sur ce que vous venez de nous dire pourrait nous mener а deux sortes de considérations tout а fait générales; d'une part, concernant l'en­semble de l'évolution, et plus particulièrement telle que Margaret Little en rend compte а sa façon, а sa façon qui, évidemment, а tout son prix car, assurément, vous n'avez pas été sans remarquer ce qu'elle laissait transpa­raître, on peut dire, de redoutable candeur... Aulagnier -... а opposer aux pédants. Granoff - ... C'est bien ce que je veux dire du même coup. Car si cette candeur redoutable pouvait s'opposer а quelque chose, c'est assurément au pédantisme. Et, en ce sens, il est manifeste, je pense, pour vous, que cette candeur, elle la tient de celle qui l'a introduite а sa propre méditation, c'est-­à-dire Mélanie Klein. Bien propre а épouvanter le pédant, dont nous aurions trouvé, dans le même journal, d'autres représentants qui, assuré­ment ne se seraient pas présentés ou n'auraient pas présenté leur oeuvre dans un pareil désarmement théorique, mais nous auraient donné а lire une litté­rature, disons а priori plus ennuyeuse, que ce que Margaret Little nous pro­pose. Comme Barbara Low déjà а cette époque, c'est-à-dire vers les années trente, le soulignait, il у а des auteurs qui ne lui semblent pas pédants, au premier rang desquels elle situe Freud d'abord et Ferenczi ensuite.

Après cette petite parenthèse, on peut dire que l'ensemble de l'évolution, en tirant un petit peu les choses, et en prenant un peu le langage de Szasz et qui n'est pas, dirons-nous en anglais irrelevant, tout au moins а l'époque, on peut dire qu'il s'est passé la chose suivante : si Margaret Little, si certains analystes dont elle est, peuvent tout а fait présenter légitimement la situa­tion analytique en mettant la rencontre de quelqu'un qui а des besoins, avec quelqu'un qui а something to spare que vous traduisez par ? Aulagnier -... quelque chose dont il dispose. Granoff -... Quelque chose dont il dispose, il faut peut-être compléter  la, la notion du quelque chose dont il dispose. C'est assurément quelque chose en trop, mais а une nuance près tout de même assez particulière, c'est qu'à la limite, ce sont des pièces de rechange. Je veux dire que l'en-trop est tout de même marqué du signe de l'interchangeable, non pas tant parce que la pièce de rechange la plus courante est une roue de rechange, qui s'appel­le en anglais а spare-wheel, mais parce que l'en-trop est là véritablement, comme l'on dit pour les billets de théâtre dont vous parliez vous-même, quelque chose dont, après tout, une inadvertance au guichet aurait pu faire venir dix, vingt, а la limite la salle toute entière, c'est-à-dire qu'au niveau de ce something to spare, se traduit un effet que Szasz, sans le nommer, mais nous le traduisons par ce que nous pourrions appeler un effet de politisa­tion de l'analyse, ou encore comme les effets а distance de quelque chose comme la naissance dans la cité de l'analyse avec ses effets de politisation et, je dirai, de descente dans une certaine dimension économique qui est pré­sente au niveau de la pièce de rechange.

Du même coup, surgit évidemment, on peut dire, une nouvelle éthique de cette cité analytique, mais cette nouvelle éthique, on peut dire qu'elle se caractérise essentiellement par, je dirai, le surgissement d'une dimension nouvelle de la délinquance. Car, c'est la notion d'une délinquance analy­tique dont il serait trop rapide de la référer purement et simplement а l'ana­lyse sauvage -l'analyse sauvage n'en est même pas le premier aperçu, ce n'est pas а proprement parler de ça dont il est question - et cet aspect de délinquance est loin de n'être qu'un abord compréhensif de la situation. Il est tout de même ici tout а fait important, parce qu'après tout, la façon dont Margaret Little se sort de cette atmosphère de civisme analytique est quelque chose de l'ordre littéralement de l'acceptation du délit, pour autant que, dans toute la réfutation de Margaret Little, de la littérature antécéden­te sur le contre-transfert, littérature où la dénégation est finalement tout aussi tangible et tout aussi touchante que chez des auteurs comme celle qui j'ai citée la dernière fois, c'est-à-dire Lucy Tower, tout de même, la dimen­sion du délit est tout de même particulièrement sensible. Ainsi, elle nous dit donc, en sollicitant les termes dans un sens szaszien, si on peut tolérer ce néologisme, que c'est accepter le délit, et de cette acceptation du délit ainsi assumée, que proviendra le renouvellement de l'éthique qui est prévalente dans le civisme analytique au moment où elle écrit.

En prenant les choses par un autre côté, c'est-à-dire celui de l'article,  vous avez chiffonné plus qu'elle ne le mérite, je dirai sa formulation « L'analyste a-t-il quelque chose en plus ? » Certainement, encore que cet en plus n'est tout de même pas aussi révoltant qu'il pourrait le paraître, mais même si ce n'est pas quelque chose en plus, c'est une question qu'on peut se poser, le tout est de savoir quoi précisément. Et la, de nouveau, se situe ce secteur de 180 degrés. Car, en effet, pour les auteurs de la génération contemporaine, qu'est-ce que l'analyste а en plus ? Et la dans toutes les énu­mérations qui sont faites, soit sous la rubrique du contre-transfert, soit sous n'importe laquelle des rubriques techniques que l'on peut trouver dans la littérature, vous trouverez les têtes du chapitre suivant. Il у а en plus un savoir, ou bien un pouvoir, ou bien un grand cœur, ou une force, ou enco­re, dans une nomenclature plus spécifiquement anglo-saxonne, un skill, c'est-à-dire une aptitude, où alors, évidemment, la frontière devient plus difficile а définir avec le talent.

Chez les auteurs de la génération, non pas précédente mais antécédente, l'en plus serait défini comme chez Barbara Low, d'une autre façon. Qu'a-t-­il en plus ? Chez Barbara Low, par exemple, il а une curiosité en plus, et le problème est de légitimer sa curiosité. Chez Barbara Low, déjà, ou encore, pourrait-on dire, ce qu'il а en plus n'est pas très différent de quelque chose comme une variété spéciale d'un désir de guérir. Mais est-ce un désir de gué­rir ? le ne sais pas.

Ce qui fait qu'entre les exemples choisis, enfin, les expressions les plus révélatrices chez ces auteurs-là, après tout, quand Freud parle de contre-transfert, finalement de quoi parle-t-il comme exemple particulièrement corsé de difficultés ? C'est de la patiente très émouvante, disant des choses très émouvantes, et belles de préférence. Barbara Low, elle, de quoi parle-t­elle quand elle parle de la position de l'analyste ? D'un de ces problèmes que j'ai essayé de souligner l'année dernière, est-ce que l'analyste ne doit pas essayer d'être le lover, c'est-à-dire l'amant du matériel du patient ? Quant а l'autre auteur auquel elle se réfère, c'est-à-dire Ferenczi, son oeuvre est maintenant trop connue pour qu'on revienne sur quelque chose qui est en passe de devenir un bateau. C'est chez Ferenczi, certainement, que la ques­tion sur le désir de l'analyste est peut-être articulée de la façon la plus pathé­tique. Donc, entre la présence chez l'analyste de quelque chose de particu­lier, est-ce en plus, est-ce une différence, est-ce une spécialité d'un désir? Dans la génération contemporaine, une définition de l'en plus, indissociable  de ce que l'on peut appeler, ainsi que j'ai tenté de le faire, une politisation de l'analyste, c'est une des façons dont, pour conclure en sept minutes, on pourrait tenter de rendre compte de l'évolution de la méditation а l'inté­rieur du milieu analytique, sur les problèmes dits du contre-transfert, et du même coup, et corrélativement, du maniement de ce qu'on appelle la rela­tion d'objet.

Lacan - Je n'ai pas du tout été mal inspiré de demander а Granoff de conclure, non pas seulement parce qu'il me décharge d'une partie de ma tâche de critique, mais parce que je crois qu'il а bien complété, et du même coup éclairé ce que j'ai cru percevoir а une lecture rapide du discours d'in­troduction qu'il avait fait la dernière fois, et qui - peut-être, pas а juste titre, mais enfin, je dis а une lecture rapide - m'avait laissé un peu sur ma faim.

Je dois vous dire que je l'avais trouvé а l'endroit de la tâche qui lui était réservée, nommément de l'article de Barbara Low, un peu en arrière de la vérité, pour tout dire, n'ayant pas épuisé tout ce qu'on peut tirer de cet article, certainement de beaucoup le plus extraordinaire et le plus remar­quable des trois dont il s'agit. J'y ai vu, un petit peu, le signe d'une évasion dans le fait qu'il nous ait rejeté, renvoyé а la forme la plus moderne d'inter­vention sur ce sujet, sous la forme de cet article de Lucy Tower; je lui en suis, d'autre part, assez reconnaissant puisque le voilà introduit, cet article, je ne l'aurais, pour de multiples raisons, pas fait moi-même cette année, mais nous ne pouvons plus maintenant l'éviter. Il faudra trouver un moyen pour que cet article de Lucy Tower, qu'il n'a pas pu résumer, soit dispo­nible, au moins а la connaissance d'un certain nombre qu'il peut intéresser au plus haut point. Ceci, pour orienter les choses comme je désire les prendre maintenant pendant la demi-heure ou les 35 minutes qui nous res­tent. Je ne vais pas vous en dire beaucoup plus long que ce que je sais qu'a pu apporter chacun, encore que je sois très reconnaissant а Perrier de m'avoir envoyé hier un petit résumé de ce qu'il а apporté de son côté. Je n'ai même pas pu avoir а temps, même un compte rendu tapé de ce qui а été dit la dernière fois. Effet du hasard ou de mauvaise organisation, ce n'est cer­tainement pas de mon fait que les choses se sont produites ainsi; car j'ai, pendant tout ce travail d'intervalle, essayé de prendre toutes les précautions pour qu'un pareil accident ne se produise pas.  Donc, je me laisse le temps. Et peut-être même pour une meilleure infor­mation, pour faire allusion а des points de détail que j'aurai а relever, les auteurs de ces interventions ne perdent donc rien pour attendre un peu. Je pense que, massivement, vous en savez assez de ce que je désirais apporter, par la référence а ces articles qui paraissent d'abord et qui sont effective­ment tous centrés sur le contre-transfert. C'est justement un sujet que je ne prétends même pas vous l'avoir, d'aucune façon, précisé comme il le méri­te, et donc, d'avoir fait ceci dans la perspective de ce que j'ai а vous dire sur l'angoisse, plus exactement de la fonction que doit remplir cette référence а l'angoisse dans la suite générale de mon enseignement.

C'est qu'effectivement ce propos sur l'angoisse ne saurait se tenir plus longtemps éloigné d'une approche plus précise de ce qui vient, d'une façon toujours plus insistante depuis quelque temps dans mon discours, а savoir le problème du désir de l'analyste. Car, en fin de compte, au moins cela ne peut manquer d'échapper aux oreilles les plus dures, c'est que, dans la dif­ficulté de l'abord de ces auteurs concernant le contre-transfert, c'est ce pro­blème du désir de l'analyste qui fait obstacle, qui fait obstacle parce qu'en quelque sorte, prise massivement, c'est-à-dire non élaborée comme ici nous l'avons fait, toute intervention de cet ordre, si surprenant que cela paraisse après 60 ans d'élaboration analytique, semble participer d'une foncière impudence.

Les personnes dont il s'agit, qu'il s'agisse de Szasz, qu'il s'agisse de Barbara Low elle-même, qu'il s'agisse bien plus encore de Margaret Little - et je dirai tout а l'heure en quoi consiste а cet égard l'avancement de la chose, dans les prodigieuses confidences dont Lucy Tower, dernier auteur en date, а parlé très profondément а ce sujet, plus précisément, а fait un aveu très profond de son expérience -, aucun de ces auteurs ne peut éviter de mettre les choses sur le plan du désir. Le terme de contre-transfert, là où il est visé, [est] а savoir en gros, massivement, la participation de l'analyste, mais, n'oublions pas, plus essentielle que l'engagement de l'analyste а pro­pos duquel vous voyez se produire dans ces textes les vacillations les plus extrêmes, depuis la responsabilité cent pour cent jusqu'à la plus complète extraction de l'épingle du jeu.

le crois qu'à cet égard le dernier article, celui dont vous n'avez malheu­reusement qu'une connaissance sous une forme indicative, celui de Lucy Tower, pointe bien, non pas pour la première fois, mais pour la première  fois d'une manière articulée, ce qui dans cet ordre est beaucoup plus sug­gestif, а savoir ce qui, dans la relation analytique, peut survenir du côté de l'analyste, de ce qu'elle appelle un petit changement pour lui, l'analyste. Cette réciprocité de l'action elle а quelque chose dont je ne dis pas du tout que c'est la le terme essentiel, mettons, la seule évocation bien faite pour rétablir la question au niveau où il s'agit qu'elle soit posée. Il ne s'agit pas en effet de définition, même d'une exacte définition du contre-transfert qui pourrait être donnée très simplement définition qui n'est tout simplement que ceci, qui n'a qu'un inconvénient comme définition, c'est de décharger complètement la question qui se pose de sa portée, c'est-à-dire qu'est contre-transfert tout ce que, de ce qu'il reçoit dans l'analyse comme signi­fiant, le psychanalyste refoule. Ce n'est rien d'autre, et c'est pourquoi cette question du contre-transfert n'est pas véritablement la question. C'est dans l'état de confusion où elle nous est apportée qu'elle prend sa signification. Cette signification seule est celle а laquelle aucun auteur ne peut échapper, justement, dans la mesure où il l'aborde et c'est ça qui l'intéresse, c'est le désir de l'analyste. Si cette question n'est non seulement pas résolue, mais finalement pas même commencée d'être résolue, c'est simplement pour ceci qu'il n'y а jusqu'à présent dans la théorie analytique, je veux dire jusqu'à ce séminaire précisément, aucune exacte mise en position de ce que c'est que le désir.

C'est sans doute que le faire n'est pas petite entreprise. Aussi bien pou­vez-vous constater que je n'ai jamais prétendu le faire d'un seul pas. Exemple, la façon dont je l'ai introduit, de distinguer, de vous apprendre а situer dans sa distinction le désir par rapport а la demande. Et nommément, au début de cette année, j'ai introduit ce quelque chose de nouveau, vous le suggérant d'abord pour voir votre réponse, ou vos réactions comme on dit, qui n'ont pas manqué, а savoir l'identité, ai-je dit, du désir et de la loi. Il est assez curieux qu'une pareille évidence - car c'est une évidence, inscrite aux premiers pas de la doctrine analytique elle-même - qu'une pareille éviden­ce ne puisse tout de même être introduite, ou réintroduite si vous voulez, qu'avec de telles précautions.

C'est pourquoi je reviens aujourd'hui sur ce plan pour en montrer quelques aspects, voire implications. Le désir donc, c'est la loi. Ce n'est pas seulement que, dans la doctrine analytique, avec son corps central de l'Œdipe, il est clair que ce qui fait la substance de la loi, c'est ce désir pour la mère, qu'inversement ce qui normative le désir lui-même, ce qui le situe comme désir, c'est la loi dite d'interdiction de l'inceste.

Prenons les choses par le biais, par l'entrée qui définit ce mot qui а un sens présentifié а l'époque même que nous vivons, l'érotisme. On le sait, sa manifestation sadienne disons, si-non sadique, est celle qui est la plus exem­plaire. Le désir s'y présente comme volonté de jouissance par quelque biais qu'il apparaisse, j'ai parlé du biais sadien, je n'ai pas dit sadique, c'est aussi vrai pour ce qu'on appelle masochisme. Il est bien clair que, si quelque chose est révélé par l'expérience analytique, c'est que, même la, dans la per­version où le désir, en somme, apparaîtrait en se donnant pour ce qui fait la loi, c'est-à-dire pour une subversion de loi, il est en fait bel et bien le sup­port d'une loi. S'il у а quelque chose que nous savons maintenant du per­vers, c'est que ce qui apparaît du dehors comme satisfaction sans frein est défense, et bel et bien mise en jeu, en exercice, d'une loi en tant qu'elle frei­ne, qu'elle suspend, qu'elle arrête, précisément sur ce chemin de la jouis­sance. La volonté de jouissance chez le pervers comme chez tout autre, est volonté qui échoue, qui rencontre sa propre limite, son propre freinage, dans l'exercice même comme tel du désir pervers. Pour tout dire, le pervers ne sait pas, comme l'a très bien souligné une des personnes qui а parlé aujourd'hui sur ma demande, il ne sait pas au service de quelle jouissance s'exerce son activité. Ce n'est, en tous les cas, pas au service de la sienne.

C'est ce qui permet de situer ce dont il s'agit au niveau du névrosé. Le névrosé se caractérise en ceci - et c'est pourquoi il а été le lieu de passage, le chemin pour nous mener а cette découverte, qui est un pas décisif en morale - que la véritable nature du désir, en tant que ce pas décisif n'est franchi qu'à partir du moment où, ici l'attention а été pointée sur ce que je suis expressément en train d'articuler devant vous, pour l'instant, le névro­sé а été ce chemin exemplaire en ce sens qu'il nous montre, lui, que c'est dans la recherche, l'institution de la loi elle-même qu'il а besoin de passer pour donner son statut а son désir, pour soutenir son désir. Le névrosé, plus que tout autre, met en valeur ce fait exemplaire qu'il ne peut désirer que selon la loi. Il ne peut, lui, soutenir, donner son statut а son désir que comme insatisfait de lui, ou comme impossible. Il reste que je me fais la par­tie belle en ne vous parlant que de l'hystérique ou de l'obsessionnel, puisque c'est laisser complètement en dehors du champ de la névrose ce dont, а travers tout ce chemin parcouru, nous sommes encore embarrassés,  а savoir la névrose d'angoisse sur laquelle j'espère, cette année, pour ce qui est engagé ici, vous faire faire le pas nécessaire. N'oublions pas que c'est de la que Freud est parti et que, si la mort, sa mort, nous а privés de quelque chose, c'est de ne pas lui avoir pleinement laissé le temps d'y revenir. Nous sommes donc placés, aussi paradoxalement que cela vous paraisse, concer­nant ce sujet de l'angoisse, nous sommes placés, nous sommes ramenés sur ce plan crucial, sur ce point crucial que j'appellerai le mythe de la loi mora­le, а savoir que toute position saine de la loi morale serait а chercher dans le sens d'une autonomie du sujet.

L'accent même de cette recherche, l'accentuation toujours plus grande, au cours de l'histoire, de ces théories éthiques, de cette notion d'autonomie, montre assez ce dont il s'agit, а savoir d'une défense. Ce qu'il s'agit d'ava­ler, c'est cette vérité première et d'évidence que la loi morale est hétérono­me, c'est pourquoi j'insiste sur ceci qu'elle provient de ce que j'appelle le réel en tant qu'il intervient essentiellement, comme Freud nous le dit, en éli­dant le sujet, en déterminant, de par son intervention même, ce qu'on appel­le le refoulement, et qui ne prend son plein sens qu'à partir de cette fonc­tion synchronique, en tant que je l'ai articulée devant vous, en vous faisant remarquer ce qu'est, dans une première approximation, effacer les traces. Ce n'est évidemment qu'une première approximation puisque chacun sait justement que les traces ne s'effacent pas. C'est ce qui fait l'aporie de cette affaire, aporie qui n'en est pas une pour vous, puisque c'est très précisément pour cela qu'est élaborée devant vous la notion de signifiant, que ce dont il s'agit est, non pas l'effacement des traces, mais le retour du signifiant а l'état de traces; l'abolition de ce passage de la trace au signifiant qui est constituée par ce que j'ai essayé de vous faire sentir, de vous décrire par une mise entre parenthèses de la trace, un soulignage, un barrage, une marque de la trace. C'est çà qui saute avec l'intervention du réel. Le réel renvoyant le sujet а la trace, abolit le sujet aussi du même coup, car il n'y а de sujet que par le signifiant, que par ce passage au signifiant, un signifiant est ce qui représen­te le sujet pour un autre signifiant.

Pour saisir le ressort de ce dont il s'agit ici, non pas dans cette perspecti­ve toujours trop facile de l'histoire et du souvenir, parce que l'oubli, ça paraît une chose trop matérielle, trop naturelle pour qu'on ne croie pas que ça va tout seul, encore que ce soit la chose la plus mystérieuse au monde, à partir du moment où la mémoire est posée pour exister. C'est pour ça que  j'essaie de vous introduire dans une dimension qui soit transversale, pas encore autant synchronique que l'autre.

Prenons le masochiste. Le maso - comme on dit, paraît-il, quelque part -, c'est-à-dire le plus énigmatique а mettre en suspens de la perver­sion, lui, allez-vous me dire, il sait bien que c'est l'autre qui jouit. Ce serait donc le pervers venu au jour de sa vérité. Il ferait exception а tout ce que j'ai dit tout а l'heure, que le pervers ne sait pas jouir; bien sûr, c'est toujours l'autre, et le maso le saurait. Eh bien, j'y reviendrai sans doute. Dès mainte­nant, je tiens а accentuer que ce qui échappe au masochiste, et qui le met dans le même cas que tous les pervers, c'est qu'il croit, bien sûr, que ce qu'il cherche, c'est la jouissance de l'autre, mais justement, parce qu'il le croit, ce n'est pas cela qu'il cherche. Ce qui lui échappe а lui, encore que ce soit véri­té sensible, vraiment traînant partout et а la portée de tout le monde, mais pour autant jamais vue а son véritable niveau de fonction, c'est qu'il cherche l'angoisse de l'autre. Ce qui ne veut pas dire qu'il cherche а l'embêter. Car faute de comprendre ce que ça veut dire, chercher l'angoisse de l'autre - naturellement, c'est а son niveau grossier, voire stupide, que les choses sont ramenées par une sorte de sens commun - faute de pouvoir voir la vérité qu'il у а derrière cela, bien sûr, on abandonne cette coquille dans laquelle quelque chose de plus profond est contenu, qui se formule ainsi que je viens de vous le dire.

C'est pourquoi il est nécessaire que nous revenions sur la théorie de l'an­goisse, de l'angoisse-signal, et que nous fassions la différence, ou plus exac­tement, sur ce qu'apporte de nouveau la dimension introduite par l'ensei­gnement de Lacan concernant l'angoisse en tant que ne s'opposant pas а Freud, mais mise pour l'instant sur deux colonnes. Nous dirons que Freud au terme de son élaboration parle d'angoisse-signal se produisant dans le Moi concernant quoi? Un danger interne. C'est un signe, représentant quelque chose pour quelqu'un, le danger interne pour le Moi. La transition, le passage essentiel qui permet d'utiliser cette structure même en lui don­nant son plein sens est de supprimer cette notion d'interne, de danger inter­ne; il n'y а pas de danger interne pour la raison - comme paradoxalement aux yeux d'oreilles distraites, je dis, comme ce fut paradoxalement que je sois revenu là-dessus quand je vous ai fait mon séminaire sur l'Éthique, à savoir sur la topologie de 1'Entwurf - il n'y а pas de danger interne, pour la raison que cette enveloppe de l'appareil neurologique, en tant que c'est  une théorie de cet appareil qui est donnée, cette enveloppe n'a pas d'inté­rieur puisqu'elle n'a qu'une seule surface, que le système V comme Aulbau, comme structure, comme ce qui s'interpose entre perception et conscience, se situe dans une autre dimension, comme Autre en tant que lieu du signi­fiant, que dès lors, l'angoisse est introduite d'abord, comme je l'ai fait avant le séminaire de cette année, dès l'année dernière, comme manifestation spé­cifique а ce niveau du désir de l'Autre comme tel.

Que représente le désir de l'Autre en tant que survenant par ce biais ? C'est la que prend sa valeur le signal, le signal qui, s'il se produit dans un endroit qu'on peut appeler topologiquement le Moi, concerne bien quel­qu'un d'autre. Le Moi est le lieu du signal. Mais ce n'est pas pour le Moi que le signal est donné. C'est bien évident. Si ça s'allume au niveau du Moi, c'est pour que le sujet, on ne peut pas appeler ça autrement, soit averti de quelque chose. Il est averti de ce quelque chose qui est un désir, c'est-à-dire une demande qui ne concerne aucun besoin, ni ne concerne rien d'autre que mon être même, c'est-à-dire qui me met en question, disons qu'il l'annule en principe, ça ne s'adresse pas а moi comme présent; qui s'adresse а moi, si vous voulez comme attendu, qui s'adresse а moi, bien plus encore comme perdu, et qui, pour que l'Autre s'y retrouve, sollicite ma perte. C'est cela qui est l'angoisse, le désir de l'Autre ne me reconnaît pas comme le croit Hegel, ce qui rend la question bien facile. Car s'il me reconnaît, comme il ne me reconnaîtra jamais suffisamment, je n'ai qu'à user de violence. Donc, il ne me reconnaît ni ne me méconnaît. Car ce serait trop facile, je peux tou­jours en sortir par la lutte et la violence. Il me met en cause, m'interroge à la racine même de mon désir а moi comme а, comme cause de ce désir et non comme objet; c'est parce que c'est la qu'il vise, dans un rapport d'an­técédence, dans un rapport temporel, que je ne puis rien faire pour rompre cette prise sauf а m'y engager. C'est cette dimension temporelle qui est l'an­goisse, et c'est cette dimension temporelle qui est celle de l'analyse. C'est parce que le désir de l'analyste suscite en moi cette dimension de l'attente que je suis pris dans ce quelque chose qui est l'efficace de l'analyse. Je vou­drais bien qu'il me vît comme tel ou tel, qu'il fît de moi un objet. Le rap­port а l'autre, hégélien ici, est bien commode, parce qu'alors, en effet, j'ai contre ça toutes les résistances, et contre cette autre dimension, disons une bonne part de la résistance glisse. Seulement, pour cela, il faut savoir ce que c'est que le désir, et voir sa fonction, non pas seulement sur le plan de la  lutte, mais la où Hegel, et pour de bonnes raisons, n'a pas voulu aller le chercher, sur le plan de l'amour.

Or, si vous у allez - et peut-être irez-vous avec moi, parce qu'après tout, plus J'y pense et plus j'en parle et plus je trouve indispensable d'illustrer les choses dont je parle - si vous lisez l'article de Lucy Tower, vous verrez cette histoire, deux bonshommes, pour parler comme on parlait après la guerre, quand on parlait des bonnes femmes dans un certain milieu, vous verrez deux bonshommes avec qui, ce qu'elle raconte, qui est particulière­ment illustratif et efficace, ce sont deux histoires d'amour. Pourquoi la chose a-t-elle réussi ? Dans un cas, où elle а été touchée elle-même, ce n'est pas elle qui а touché l'autre, c'est l'autre qui l'a mise, elle, sur le plan de l'amour; et dans l'autre cas, l'autre n'y est pas arrivé, et ce n'est pas de l'in­terprétation, car c'est écrit et elle dit pourquoi. Et ceci est fait pour nous induire а quelques réflexions sur le fait que, s'il у а quelques personnes qui ont dit sur le contre-transfert quelque chose de sensé, ce sont uniquement des femmes.

Vous me direz, Michael Balint ? Seulement il est assez frappant que s'il а fait son article, c'est avec Alice. Е11а Sharp, Margaret Little, Barbara Low, Lucy Tower, pourquoi est-ce que ce sont des femmes qui, déjà, disons sim­plement, aient osé parlé de la chose avec une majorité écrasante, et qui aient dit des choses intéressantes ? C'est une question qui s'éclairera tout а fait, si nous la prenons sous le biais dont je parle, а savoir la fonction du désir, la fonction du désir dans l'amour, а propos de quoi, je pense, vous êtes mûrs pour entendre ceci - qui d'ailleurs est une vérité depuis toujours bien connue, mais а laquelle on n'a, depuis toujours, jamais donné sa place - c'est que, pour autant que le désir intervient dans l'amour et en est, si je puis dire, un enjeu essentiel, le désir ne concerne pas l'objet aimé. Tant que cette vérité première autour de quoi seulement peut tourner une dialectique valable de l'amour, sera mise pour vous au rang d'un accident, Erniedrigung, de la vie amoureuse, d'un Oedipe qui se prend les pattes, eh! bien, vous ne comprendrez absolument rien а ce dont il s'agit, а la façon dont il convient de poser la question concernant ce que peut être le désir de l'analyste. C'est parce qu'il faut partir de l'expérience de l'amour, comme je l'ai fait l'année de mon séminaire sur Le transfert, pour situer la topologie où ce transfert peut s'inscrire, c'est parce qu'il faut partir de la, qu'aujour­d'hui je vous у ramène.  Mais sans doute mon discours prend-il, du fait que je vais le terminer maintenant, un aspect interrompu. Ce que j'ai produit là, au dernier terme, comme formule, peut ne passer que pour une pause, tête de chapitre ou conclusion, comme vous l'entendrez. Après tout, il vous est loisible de le prendre comme pierre de scandale ou а votre gré pour banalité. Mais c'est la que j'entends que nous reprenions, la prochaine fois, la suite de ce dis­cours, pour у situer exactement la fonction indicative de l'angoisse, et ce а quoi elle nous permettra ensuite d'accéder.

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Leçon XI 20 février 1963, semainaire l 'angoisse

W. Granoff - On s'est un petit peu demandé la façon qu'on allait utili­ser pour vous parler de ces choses-là, d'autant plus qu'on s'est trouvé en présence d'une difficulté pratique, c'est-à-dire, comment couper ça, com­ment séparer ça, en plusieurs articles ou en plusieurs courts numéros; puis, finalement, nous n'avons arrêté aucun plan, c'est-à-dire, comme nous les connaissons en somme, ces articles, relativement inégalement parce que nous avons été également а court de matériel bibliographique, nous nous sommes dit que la seule chose que nous pouvions vraiment faire, c'est d'en parler entre nous devant vous, de vous prendre plus ou moins а témoin.

Quant а la façon de s'y prendre, c'est-à-dire par où les entrevoir, par où les aborder, compte tenu du fait que c'est Lacan qui nous а demandé de faire ça et qu'il nous l'a demandé dans un certain esprit, c'est-à-dire de voir dans ces articles ce qui était, comme on dit en anglais, relevant ou irrelevant а ce qu'il était en train de nous apprendre en ce moment; ça nous а paru finale­ment la voie la plus logique, c'est-à-dire que dans la mesure où ce dont il nous parle, c'est de l'analyse telle qu'il la conçoit, il va de soi qu'à peu près tous les articles qu'on peut trouver dans la bibliographie, pour peu qu'ils soient bien choisis, sont pertinents quant aux questions qu'il traite.

Certains d'entre eux, assurément, contiennent plus d'éléments qui ont alerté sa sensibilité et qui se trouvent avoir alerté la sensibilité de tel ou tel auteur, comme par exemple Margaret Little. Lorsque nous considérons que tel article est bon et tel article moins bon, c'est en dehors, évidemment, de ses qualités évidentes, de ses qualités littéraires et de sa valeur propédeutique, 167- disons, C'est aussi le fait que dans tel article se trouvent précisément les élé­ments sur lesquels notre sensibilité est plus alertée, et plus alertée par la forme. Là, en l'occurrence, nous avons affaire а des articles excellents en prenant ceci comme critère, c'est-à-dire qu'ils sont excellents quant а leur insertion dans les formulations actuelles dominant dans ce séminaire. А considérer ce qui est en cours en ce moment, c'est-à-dire grosso modo, les diverses conceptions que l'on а pu, que l'on peut, ou que l'on se fait enco­re de l'analyse, il est évident que ces conceptions étant des conceptions des analystes, elles se trouveront, au fond, exposées avec une particulière viva­cité dans la littérature, restreinte, il est vrai, qui traite du contre-transfert.

C'est évidemment la une difficulté; parler du contre-transfert, on peut dire que les choses ne sont, comme on dit, pas mûres, et pour diverses rai­sons, on s'y sentirait peu enclin. Or, cependant, quelque acrobatie que l'on fasse, а vouloir éviter de présenter les choses sous la rubrique du contre-­transfert, je me suis aperçu que, finalement, c'était а peu près inévitable de le prendre comme les auteurs l'ont pris eux-mêmes, c'est-à-dire, tout au moins, en le prenant sous ce titre-là.

En matière de contre-transfert, par conséquent, c'est-à-dire, ultimement, des vues sur l'analyse, on peut considérer que dans le cours de l'histoire du mouvement analytique, on а affaire а quelque chose que l'on peut repré­senter comme étant le champ parcouru par un compas déployé sur 180 degrés; et, si des positions initiales que je n'appellerai pas des positions freudiennes parce que celle-là, je l'ai relativement mal explorée, mais enfin au moins des positions initiales chronologiquement parlant, on les considè­re comme particulièrement bien représentées dans l'article de Barbara Low; on peut dire qu'à l'autre bout de cet éventail, se trouve une tentative comme celle de Thomas Szasz, qui offre ceci de particulier qu'elle est, des tentatives contemporaines, je crois sinon la plus, du moins une des plus intéressantes, assurément, par sa rigueur, par les qualités de son exposition, par la recherche et la sévérité de l'auteur vis-à-vis du critère qu'il utilise, ce qui fait qu'elle а culminé dans cette sorte de fleur а la limite monstrueuse, mais dont on а le sentiment qu'au fond, il s'en serait fallu de bien peu pour que, de monstrueuse, cette fleur ne soit tout а fait autre chose.

Le temps pour parcourir cet éventail est évidemment extrêmement limi­té. En prenant donc, dans l'ordre chronologique, l'article de Barbara Low, article qui а été donné par elle au Congrès de Lucerne, si je ne me trompe, 168  - ou au Congrès de Zurich, au septième congrès, qui а été repris dans l'International Journal en 1935, après avoir noté au passage qu'entre le texte allemand du Zeitschrift et le texte anglais, il у а quelques petites divergences, mais que cette fois-ci, je crois, nous devons faire abstraction de notre par­tialité habituelle, parce que l'auteur est de langue anglaise et nous n'avons pas de raisons cette fois de privilégier le texte allemand.

Nous voyons que la position de Low, grosso modo, vise а assimiler l'exercice de l'analyse а celui d'un art. Grosso modo et très précisément, c'est la position qu'elle exprime. Car, dit-elle, l'analyste est dans une posi­tion particulièrement difficile а soutenir sans que dans sa position, il n'ait а faire intervenir des satisfactions, plus exactement ce qu'elle appelle des compensations psychologiques, en allemand Entschädigung, quelque chose de l'ordre du dédommagement а proprement parler. Ces dédommagements qui introduisent évidemment l'idée du dommage qu'il est impossible à l'analyste de ne pas faire intervenir, sont amenés par trois privations essen­tielles. La première est celle qui а trait à l'inhibition du plaisir narcissique, surtout aux niveaux prégénitaux et alors la il faut évidemment remarquer qu'elle écrit а une époque où toutes les questions dites de la prégénitalité avaient encore ce développement moins poussé que plus tard.

Ensuite, point très important, presque central pour elle, l'inhibition de la certitude dogmatique dans la sphère intellectuelle; troisièmement, le plus important sur le plan de ce qui est difficile а supporter, des méditations pénibles au niveau du surmoi de l'analyste. Où se passe ce drame ? Où se joue-t-il ? Eh bien, là, évidemment, on peut dire que l'effort de la génération de l'analyste nous... Du même coup, se retrouve également la sympathie que Lacan peut avoir а l'égard de cet article, c'est que, pour Barbara Low, tout ceci se joue, au fond, sur une deuxième scène, tout au moins, au niveau où elle présente la chose; le fantasme dernier de Barbara Low, quant а la situa­tion analytique, ne passe pas loin d'un fantasme plan, c'est assez probable. Et comme deuxième scène, c'est évidemment а la deuxième scène, c'est-à­-dire la scène sur la scène d'Hamlet, qu'elle se réfère. Car, quelle doit être, d'après elle, là position de l'analyste ? Elle fait une brève citation de Milton dans le Paradis perdu, faisant cas de la tranquillité qu'elle recommanderait а l'analyste, pour en arriver aux conseils qu'Hamlet donne а la troupe d'ac­teurs qui vient jouer. Dans sa manière de citer Hamlet, elle s'y prend d'une façon assez curieuse; car - je n'ai malheureusement pas d'édition française - 169 - d'Hamlet, ce qui fait que je ne sais pas quelle est la traduction habituelle - enfin voilà ce qu'elle cite, elle : ne soyez pas trop tame, je ne sais pas com­ment on pourrait traduire ça, а vrai dire, ne soyez pas trop timide; au fond tame, c'est l'apprivoisement.- quelqu'un, dans la salle : timoré.

Timorés, ne soyez pas trop timorés. Dans le torrent, dans la tempête, même, pourrais-je dire, du tourbillon des passions, vous devez acquérir et obtenir une tempérance. Tempérance, évidemment, nous renvoie а la fois а tempérament et а abstinence aussi; elle nous renvoie surtout а ce qui est le sens premier du mot en anglais, c'est-à-dire а un certain équilibre. Mais, dans la citation qu'elle fait : Be not too Lame, il manque tous les points de suspension. La ligne qui suit, elle procède а une sorte d'inversion parce que Ве not too Lame, c'est ce qui arrive dans le paragraphe qui suit, celui qu'el­le cite en premier. Ceci а un intérêt, qui est un intérêt accessoire, mais qui est quand même assez curieux, parce que - et la, on trouve déjà quelque chose que nous retrouverons développé entièrement chez un auteur dont je vous parlerai tout а fait en dernier, c'est-à-dire Lucy Tower qui est un auteur contemporain alors, lui, une femme également - Hamlet, dans le premier paragraphe, c'est-à-dire, avant que de dire: Ne soyez pas trop timo­rés, lorsqu'il parle du tourbillon des passions, il en parle pourquoi ? Pour dire que l'acteur ne devrait pas exagérer et qu'en particulier, il ne devrait pas dépasser Termagant. Qui est ce personnage ? А vrai dire, je ne le sais pas avec précision. Tout ce que je sais, c'est que c'est une divinité que l'on fai­sait intervenir dans ces sortes de comédies, enfin de jeux de la passion, qui ont commencé par les églises а l'extérieur, qui ont fini par donner au Moyen-âge des troupes d'acteurs professionnels ambulants. On trouve ce personnage dans les Chesterwoodson Plays et dans les Country Plays. Or, quel rôle joue-t-il ? Dans les Chesterwoodson Plays, il parle de lui -même en disant qu'il est celui que le soleil n'ose pas éclairer. Et dans les Country Plays, il se présente comme étant maître de tout homme. C'est-à-dire qu'à cet endroit, Hamlet demande а ses acteurs de ne pas, dans le simulacre, dépasser un personnage qui est un personnage se présentant comme inves­ti d'une toute puissance. Or, que ce soit une toute puissance, ou que ce soit un personnage qui ne contienne aucune lacune d'aucune sorte, ça nous renvoie а quelque chose qui est de l'ordre de la préoccupation du tout, enfin d'une certaine totalité, et qui vient à son apogée dans un article récent justement dont je vous parlerai sous la rubrique des cent pour cent que nous verrons utiliser aussi bien chez Margaret Little que chez Lucy Tower. Évi­demment, chez Margaret Little, il у а... où il n'est question que de cent pour cent, de la responsabilité en l'occurrence. Comment est-ce que Barbara Low termine ce qu'elle а а dire? Eh bien, en assimilant l'exercice analytique а une activité artistique. Pourquoi ? Parce qu'elle est créatrice. En passant, elle nous donne mille signes de son goût pour ce qui n'est pas pédant. Elle parle du rapport de Freud avec son oeuvre, et elle le décrit, elle en parle comme d'une attitude joyeuse, communiquant sa joie au lecteur; elle cite aussi les auteurs qui sont pour elle de là même veine. Évidemment, ce ne sont pas n'importe lesquels, c'est essentiellement Ferenczi, et je crois que nous nous accorderons volontiers avec elle pour dire que c'est bien la façon dont nous sentirions aussi les choses. Elle-même, du reste, écrit un anglais splendide, et lorsqu'elle donne un exemple clinique, il est tout а fait remar­quable que le patient qu'elle cite est un patient qui est, dit-elle, lui-même un auteur de quelque excellence.

Donc, activité créatrice. Qu'est-ce qui rend cette activité créatrice pos­sible ? C'est qu'au fond si, parmi les choses qui se satisfont dans l'activité analytique, il у а regarder, ce qui est propre, bien sûr, а lui donner toutes sortes de difficultés, essentiellement sur le plan de l'inhibition de notre cer­titude dogmatique, il у а, dit-elle, un moyen de transformer les embarras de... regarder, c'est-à-dire si au lieu de regarder notre position, c'est vivre de, (en anglais, living from, et en allemand Leben ги schöpfen). Donc ce living from, qui est une des formes diverses de notre intéressement, est à vrai dire le ressort même de là valeur créatrice de notre activité en tant qu'activité artistique; et la, elle ira rejoindre un des articles de Szasz, un des articles de 1956, lequel faisait allusion aux satisfactions que l'on éprouve dans l'exercice de professions libérales et dans l'analyse en particulier. Elle fait cette remarque que, dans notre contexte culturel - sauf dans les activi­tés artistiques, essentiellement dans l'entertainment, c'est-à-dire le spectacle - il ne se fait pas que l'on éprouve des satisfactions, au sens premier du terme, dans l'exercice même de l'activité en question. Et ceci l'amène, d'une manière qui, а cet endroit-là, peut paraître inat­tendue, а donner une façon imagée dont elle conçoit cette satisfaction, ce vivre de. L'exemple qu'elle donne, plutôt l'illustration qu'elle en donne, 171- c'est prendre un repas. C'est évidemment très frappant, parce que c'est ce que nous retrouverons dans un autre article publié vingt ans plus tard, prendre un repas. En d'autres termes, dit-elle, si manger, а côté de quel­qu'un, son propre repas, c'est une chose, manger en commun avec quel­qu'un, c'en est une autre. Pour elle, а ce niveau-là, l'issue, c'est une sorte de fraternité mystique qui résulte du repas pris en commun. Cette fraternité du bon repas, brotherhood, se retrouve vingt ans plus tard dans un article dont je ne sais pas si c'est le moment de parler maintenant; mais, en tout cas, puisque l'exemple clinique me vient а l'esprit, c'est l'article de Lucy Tower paru dans le Journal de l'Association psychanalytique américaine sous le titre de Contre-transfert dans le numéro d'avril 1956, je redirai, si j'ai le temps, quelques mots de cet article. Toujours est-il que voilà l'exemple cli­nique qu'elle nous donne : c'est une femme extrêmement embêtante, qui l'injurie au-delà de tout ce qu'elle peut endurer. « Un beau matin de prin­temps, je suis sortie de mon bureau vingt minutes avant le rendez-vous avec cette patiente, mon carnet de rendez-vous ouvert sur mon bureau ». Elle prit un repas délicieux, elle insiste sur le fait que c'est un repas délicieux, toute seule dans un restaurant; elle est rentrée, sans se presser; quand elle est ren­trée dans son bureau, c'était pour se faire dire, par la secrétaire très proba­blement, que la patiente, très en colère, était repartie. Passent là-dessus 24 heures de rage fortement vécue. S'attendant а voir la patiente s'en aller, quit­ter le traitement, en tout cas l'injurier plus encore si même elle revenait, de manière а ce qu'elle soit obligée d'y mettre fin, elle а la surprise de voir qu'après avoir essayé effectivement d'entrer dans cette voie, là patiente lui dit : « Franchement, je ne peux pas vous blâmer ». Et la, se situe un de ces virages extraordinaires dont l'article de Margaret Little nous donnera de nombreux exemples; encore que cette dame Tower en donne, elle-même, trois par là suite, de ces virages, а là suite, ainsi d'une découverte consécu­tive а un passage а l'acte, ou а un acting-out, selon le cas, de l'analyste. Ici, il s'agit manifestement d'un acting-out, ce repas délicieux qu'elle prend а la suite véritablement de toutes les vertus empoisonnantes de l'objet que lui propose son patient.

Pour quitter Barbara Low et passer au premier ou au deuxième article de Margaret Little, et а un article de Szasz, qui n'est pas celui que tu as eu en lecture, on s'aperçoit qu'à l'autre bout, chez Szasz par conséquent, les inévi­tables gratifications de l'analyste consistent finalement dans quelque chose qu'il а beaucoup de mal а accepter. Il en cite un certain nombre, et celles-là sont courantes. Ça ne vaudrait pas la peine de gâcher un temps qui va en s'épuisant а les énumérer. Toujours est-il que lui, personnellement, sa contribution а cette énumération, il là conçoit, voilà comment: c'est qu'il у en а une, dit-il, sur laquelle les auteurs n'ont peut-être pas tellement attiré l'attention parce que, pour eux-mêmes, c'est une chose extrêmement diffi­cile. C'est tout ce 'qui dérive de l'application du savoir, c'est-à-dire de là possibilité de se prouver qu'on voit correctement les choses.

La distance d'avec Low est énorme. D'une part, il est évident que l'ap­plication du savoir prend appui sur la satisfaction d'être celui dont on а besoin. La distance d'avec Low, on peut la représenter de la manière sui­vante. Low dit : « Ma position par rapport а l'analysée est que je suis curieu­se, c'est légitime, parce que je suis intéressée ». La position de Szasz, c'est « J'ai le droit de voir parce que vous avez besoin de moi en raison de ce que j'ai, mon savoir ». Et ce qui est le point auquel Szasz aboutit, c'est que, pour lui, là question n'est pas tant celle - ça ne l'émeut pas du tout - du désir de l'analyste, mais, dans la préoccupation ultimement politique qui l'anime, toute la question est du pouvoir de l'analyste avec tout ce que naturellement une pareille position doit au contexte dans lequel il travaille, c'est-à-dire le contexte américain.

La résistance, d'après Szasz, а reconnaître les satisfactions liées а l'exerci­ce d'un certain pouvoir - dont le tout est pour lui de faire que ce pouvoir soit légitime, donc développé dans une rigueur scientifique extrême, et non pas illégitime, comme c'est le cas dans ce qu'il considère comme les inconvé­nients de là formation actuelle, qu'il assimile tout bonnement а de l'espion­nage, ce qui lui vaut d'ailleurs d'être refusé dans toute publication analytique а l'heure actuelle -, là résistance а accepter ceci tient au fait que l'analyste occupe une position parentale; et le parent, il n'est pas question qu'il ait des satisfactions, étant donné qu'il fait une oeuvre en soi. Et, а ce sujet, de façon assez amusante, il parle de l'intérêt de ses concitoyens par rapport а leur pré­sident de l'époque, c'est-à-dire Eisenhower; combien de temps consacre-t-il au travail? Combien de temps consacre-t-il au jeu? car il est évident qu'il faut qu'il joue, cependant pas trop, parce qu'on va dire qu'il у prend du plai­sir, et s'il travaille, il ne faut pas qu'il travaille trop parce qu'après il crèverait et, par conséquent, on le perdrait comme substitut parental.

Si, d'un côté, nous avons cette perspective-là, de l'autre, nous avons tout 173 - ce qui circule dans le cadre présenté par Low. Comment se remplit le champ parcouru par ce compas dont on pourrait peut-être préciser, en prenant la une référence plus freudienne, que si, а un bout, chez Freud, le transfert est, on peut dire, dans une sorte d'équation analogue а l'amour, que c'est bien ce qui est difficile, que c'est la difficulté du contre-transfert, que sur ce qui est de cet ordre-là des choses que nous connaissons sa position sur le deuil d'une part et sur le choix de l'objet pour l'homme contemporain, c'est-à-­dire le Malaise dans la civilisation. А l'autre bout, nous trouvons un certain optimisme dans l'analyse actuelle, particulièrement illustré aux États-Unis, la dégradation corrélative du statut de l'angoisse, là promotion, sur laquel­le Lacan insiste beaucoup, de l'armure génitale et une corrélative oblativité. Naturellement, l'inconscient comme « autre scène » est ce qui ne se retrou­ve plus; car, entre temps, concurremment avec tous les efforts puissants de la collectivité analytique aux États-Unis, intervient, facteur essentiel, vingt ans de ego psychology avec tout ce que nous trouverons après, de la façon la moins pédante, la plus candide, en raison de son appartenance kleinienne, chez Margaret Little, et jusque même dans sa sensibilité а un certain choix de matériel clinique, je pense là а ce dont je vous parlerai, j'espère, c'est-à­-dire la capsule, tous ces fantasmes sphériques qui, а ce moment-là, se met­tent а affleurer comme fantasmes de remplacement du fantasme plan. Je passe vite, mais on s'est donné vraiment très très peu de temps...

La constance des problèmes auxquels а а faire face l'analyste est donc absolue. Qu'est-ce qui change ? Pas là dimension du champ depuis l'origi­ne, mais l'éclairage, parce que ce qui а changé, c'est véritablement là nature du faisceau éclairant. C'est ce que je voulais dire en disant que, 1à, intervient l'ego psychology. C'est donc simultanément, au moment où l'ego-psycholo­gy va prendre tout son essor et donner tous ses fruits que se situe là discus­sion concernant le contre-transfert; c'est а ce moment-là qu'elle prend droit de cité. Là, on ne peut que vous épargner les longues statistiques finalement de thèmes partiels qui, eux également, parcourent un certain secteur de 180 degrés depuis une certaine dignité donnée au contre-transfert, jusqu'à l'op­posé le contre-transfert, pur et simple source de difficultés. Lucy Tower s'en fait le collecteur particulièrement soigneux. On s'aperçoit qu'il у а fina­lement, dans cette collection, dans ce passage des 180 degrés de cet éventail, et dans l'ironie même qui peut se déployer а cet endroit un certain malen-

tendu, parce qu'au fond, le paradoxe de la question du contre-transfert, est il respectable ?, comme c'est finalement la position de Lucy Tower, il est respectable parce qu'il est inévitable. Ou une position а l'extrême, comme celle de Spitz, extrême, pourquoi? Simplement а cause de la sûreté dont il semble faire preuve а cet endroit, en disant que si c'est très regrettable, si c'est très ennuyeux, c'est pas trop ennuyeux parce qu'on s'en tire finale­ment très bien, enfin c'est un petit accident. Je force un peu, je le pousse, mais c'est tout de même un peu de cet ordre-là.

Donc, qu'il soit admis, voire glorifié, ou nié, il semble malgré tout que toute la discussion soit un malentendu. Car je crois qu'il у а une grande vanité а parler de lâcheté ou d'hypocrisie, parce qu'après tout, les analystes ne sont ni plus vains ni plus lâches nécessairement que quantité d'autres types d'auteurs а cet endroit-là, et que si l'on peut dire que sous ce rapport, après tout, apparemment tout au moins, seraient-ils un petit peu moins hypocrites, car lorsqu'il s'agit d'autres personnes, elles semblent se pro­mettre d'aller un petit peu plus loin que les gens qui ne sont pas analystes.

Or, je crois que la, il у а tout de même quelque chose qui joue sur un plan historique. Car s'il у а eu un mouvement sur le plan de l'interprétation et du rôle а donner au contre-transfert, qui est allé jusqu'à faire du contre-transfert cette chose qu'il faut étouffer а tout prix, d'où proviennent les ten­tatives, actuelles, au contraire, de le réhabiliter, c'est que si, au début, ana­lystes et analysés étaient dans des conditions grosso modo analogues, je veux dire, en tout cas, pour ce qui est d'avoir eu un analyste, et la intervient toute la question du surmoi analytique, ils ne se sentiraient pas liés а tant d'obligations, sinon celle de leur allégeance а Freud.

Or, vingt ou trente ans après, il se fait que l'un des partenaires n'est pas encore analysé, alors que l'autre l'a déjà été. Ce qui fait qu'à ce niveau-là, la mise en cause du contre-transfert n'est rien d'autre que la mise en cause de toute l'entreprise dans la mesure où l'un des partenaires est déjà supposé analysé alors que l'autre ne l'est pas. C'est une mise en cause de son action; car une chose est de dire: « Évidemment, les analyses ne réussissent pas; moi, j'en loupe une bonne moitié, tout le monde aussi, on se les échange...» ; une chose est de parler de l'échec de l'entreprise, ce qui se rapporterait essentiel­lement а une dialectique qu'on pourrait rattacher а quelque chose de l'ordre du complexe de castration, et autre chose est pour l'analyste de manquer, lui, а l'être ou а être le parfait analysé. Car la, il у а une différence notable qui se 175 - rapporte а l'angoisse dont nous apprenons qu'elle n'est pas sans objet. Dans cette fermeture, qui est passée а l'état de fermeture quasi complète, les articles de Little, celui de 51 et celui de 56 sont particulièrement remar­quables. Ils sont remarquables parce que, d'une part, Little tourne autour du thème de la totalité, c'est-à-dire de ces cent pour cent qui sont la coincés en travers de sa gorge, et que d'autre part, il ne lui reste plus, pour intro­duire ce qui, en ce moment, se développe ici dans le séminaire de Lacan, sous la rubrique du manque, ce quelque chose qui est très désarmant, en tout cas chez elle, très désarmée, mais qui, assurément, fait intervenir là cou­pure, comme quand elle dit « voilà ». La grosse difficulté dans l'analyse, c'est de laisser les choses dans un état général d'inattendu, unexpectedness, ce n'est pas, dit-elle, une perte de contrôle, mais c'est un état où ça peut arri­ver aussi, la perte de contrôle, mais en tant que contrôlée, tout de même d'une certaine manière, c'est-à-dire en tant qu'acceptée.

Entre l'article de 51 dont j'aurais aimé vous parler, mais dont je ne vous parlerai pas parce que c'est de celui de 56 dont on doit vous parler, et celui de 56, il у а une grande distance qui se franchit rien qu'en six ans. C'est qu'en 51, la position de Margaret Little, son analyse restera incomplète, mais il у а tout de même chez le patient un certain désir du working­through. Si j'avais eu beaucoup plus de temps, je vous aurais, en me citant alors moi-même, renvoyés а une conférence faite en 1958 et qui est parue en 1960 où, dans les dernières pages d'un bref travail sur Ferenczi, je ne parlais de rien d'autre que précisément du désir, du bon vouloir de guérir en le pre­nant chez Ferenczi qui, d'une certaine manière, est tout de même le père spirituel de Margaret Little par le truchement de Mélanie Klein, du fort désir de guérir d'une part, et du désir de l'analyste.

En 1956, au lieu de l'incomplétude de l'analyse, Margaret Little а fait du chemin. Elle préconise - contrairement а Szasz qui insiste dans tout ce dont il parle sur le fait qu'il n'est absolument pas question de se détacher des études classiques - Margaret va très loin; elle préconise, tout а fait ouvertement, l'impulsion, le passage а l'acte, enfin, enfin des choses d'un caractère assurément expérimental. Je pourrais encore dire tout un tas de choses qui sont très intéressantes, très amusantes. Je vais terminer en vous disant que cette infiltration de l'agir dans la procédure n'est pas toujours aussi ouverte et aussi candide que chez Margaret Little. Dans un article tout а fait récent, dans le même journal de l'Association  psychanalytique américaine, de Frederick Krapp, on а là surprise de trouver une technique nouvelle qu'il préconise, qu'il conseille pour l'auto-analyse de l'analyste en action. Cet article n'est pas tellement pire qu'un autre, ce n'est absolument pas une cochonnerie. Tout de même, ça а même cet inté­rêt que la technique qu'il préconise consiste, lorsque le patient raconte un rêve, а stimuler en soi les associations visuelles, suivre le rêve du patient. Il faut а cet endroit une remarque, évidemment : se fouetter ainsi du côté de l'image visuelle, ce n'est pas aller а proprement parler dans le sens de là ver­balisation. C'est assurément quelque chose qui est tout de même plus du côté de l'acting-out mais а tout prendre c'est tout de même plus analysable que l'acting-out.

Voilà donc le point où se trouvent ces deux auteurs qui ne manquent pas de sensibilité, qui certainement ne manquent pas de scrupules, parce qu'ils proposent de manipuler ça dans des conditions de contrôle. Mais le maté­riel clinique qu'ils donnent а l'appui, comme étant celui qui siéra tout par­ticulièrement а cette technique, c'est évidemment lorsque le patient racon­te des rêves et, comme tout le monde sait que c'est plutôt dans les rêves que se trouvent éventuellement des choses un peu scabreuses, voire franche­ment cochonnes, c'est quand même а cet endroit-là, dans tout ce qui а trait а ce qui, chez Barbara Low, recevait encore un tout autre traitement, c'est-­à-dire le désir et le manque, pour parler le langage actuel, que ces auteurs recommandent cette technique tout а fait contemporaine, c'est-à-dire en prenant les choses au niveau de ce que nous pouvons appeler le congrès d'Edimbourg. Et c'est au fond la que vous allez vous situer, que nous nous trouvons au niveau d'une discussion qui, finalement, je crois, est là plus importante du congrès entre deux auteurs, Gitelson et Heimann Paula, qui disent : « Il n'est évidemment pas question de se faire le bon objet de son patient, ce n'est tout de même pas ça, espérons-nous, que Nacht а voulu dire ». L'autre auteur qui entre dans cette série d'articles, Nacht, déclare avec une légitimité absolue : « Eh bien, figurez-vous, si. Si vous ne compre­nez pas ce que je veux dire, je n'y peux rien, mais c'est exactement ce que je préconise ». Si vous réussissez а bien nous raconter ce qu'il у а dans l'article de Margaret Little, а bien nous parler des cent pour cent, et de tout ce qui tourne autour de ces points importants, nous serons tous en état de voir pourquoi, quelle que soit la position des auteurs en question, Gitelson, Heimann Paula ou Nacht, aucune d'entre elles ne nous paraît plus condamnable е, plus erronée que l'autre. Elles me semblent avoir toutes les trois le mérite de présenter les choses dans une espèce de radicalisme qui donne vraiment le sentiment qu'aucun de ces trois auteurs, même si on le pousse très fort, ne pourra aller au-delà de la formulation où il se trouve véritable­ment acculé.

C'était François, je crois, qui, dans notre amorce de planning, devait par­ler de la fleur, c'est-à-dire de l'article de Szasz. Е Perrier - Cette analyse du contrôle se réfère а deux conceptions opposées du champ analytique, celles de Barbara Low et celle de Szasz. Ceci tient au mode de référence а l'ego-thérapie et а l'évolution de la théo­rie analytique. Nous tournons autour de Analyse terminée et interminable. Dans cet article, des vues dépassent ce qu'on voit dans Szasz avec ce roc final, l'instinct de mort, et le désir en filigrane, sur lequel viennent échouer les efforts thérapeutiques. Du jour où les psychanalystes ont été analysés, le problème du contre-transfert pose le problème de la formation de l'analys­te, de la théorie analytique. Dans Analyse terminée..., Freud а vu se profiler а travers l'instinct de mort une structure du désir au-delà du narcissisme. Margaret Little fait la différence entre le névrosé, le psychotique, et le désé­quilibré, le caractériel, qui pose le plus de problèmes а l'analyste. C'est а cela que Lacan se réfère а propos du а dans la théorie de l'angoisse, et au-delà, dans le transfert et le contre-transfert.

Chez Szasz, on retourne а l'analyse de la situation psychanalytique. Cet article est très rigoureusement mené et nous déçoit finalement en retombant dans l'ego psychology. Il fonde la discipline analytique sur des bases scien­tifiques, avoir des termes exacts, à savoir pour définir la situation analy­tique, il ne faut pas s'en tenir а ce qui est dit dans les derniers travaux, mais au contraire il faut en revenir au moment de son invention par Freud, avec la prise de distance par rapport aux thérapeutiques hypnotique et cathar­tique et par rapport а sa formation médicale, comprendre scientifiquement, ne pas être ce médecin qui veut а tout prix aider le patient. Il faut ramener l'analyse а un champ précis, celui du traitement analytique, au sens restric­tif de ce terme. Il conçoit l'analyse comme élément de conquête, sans у annexer tous les problèmes psychiatriques. Il prend le modèle du jeu d'échec; il faut définir les règles qui structurent la situation et la visée de l'analyse. C'est l'ensemble des règles du jeu qui détermine là nature du jeu 178 et qui fonde l'identité même du jeu. Cette restriction des règles se retrouve dans l'analyse; mais le talent des joueurs permet d'inventer un nombre de coups d'autant plus nombreux qu'il sera plus grand. Si les règles structurent la situation, si le but est inhérent а ces règles, а savoir faire échec et mat, prendre le roi, en analyse, cette visée est incluse dans les règles du jeu. А cette occasion, Szasz montre un aspect de sa propre position et de ses propres désirs; pour pouvoir jouer, il faut que les joueurs soient de force а peu près comparable, il faut que l'analysé ait un moi solide, qu'il puisse s'ac­corder sur les règles de l'analyse. Certains sujets sont а rejeter; qu'ils jouent aux dames, c'est-à-dire qu'ils fassent une psychothérapie! Il s'agit d'éviter ainsi un glissement vers la psychothérapie.

De quelle façon cette visée est incluse dans les règles mêmes de l'analyse, en respectant la liberté de choix? Maturation émotionnelle, développement non entravé de la personnalité sont nécessaires. Faut-il une harmonie, une bonne adaptation du sujet а la société ? Quelle est la visée ? Prenons un bon tireur et une cible; la visée peut être la cible, mais aussi la situation elle-même de tenter de faire mouche. En analyse, on peut vouloir guérir le symptôme ou s'intéresser а la situation elle-même. Il critique ainsi la visée médicale de la psychanalyse qui aboutit а un déplacement de la technique et de la discipline. Il met finalement les deux joueurs en position de symétrie. L'objet de l'étude est ce qui se passe dans le champ, définissant ainsi la posi­tion du tiers, analyste; mais il faut qu'il ait un moi aussi solide que celui de l'analysé. La visée de l'analyse sera une attitude scientifique, dans l'étude toujours plus approfondie du sujet par rapport а lui-même; ses objets internes, son passé, son présent et ceci est bien inhérent aux règles. L'analyse n'est pas une méthode d'application d'un savoir, mais une recherche du vrai, définie comme science exacte, vérité objective, а savoir vérité du désir. Il faut démythifier les leurres du transfert, trouver dans sa propre vie une atti­tude scientifique, c'est-à-dire que le sujet bien analysé sera scientifique dans une attitude objectivante par opposition aux leurres du transfert. En ce sens la fin de l'analyse se pose en ces termes :le processus analytique ne se ter­mine jamais, l'analyse est interminable. C'est une recherche toujours plus scientifique, plus objectivante, qui est la clé de l'étude du patient, sinon de sa guérison. Donc, il s'agit d'éviter tout exercice d'un pouvoir envers l'ana­lysé, de ramener l'ensemble а une situation scientifique rigoureuse. Mais c'est, en fait, un énorme fantasme obsessionnel, un des pôles où peut nous  ramener l'analyse. Il se défend contre toutes les pratiques qui pourraient lui donner l'exercice de son pouvoir comme savoir, car la pourrait naître son contre-transfert, d'où une situation typiquement obsessionnelle. En fait, Szasz ne répond pas а la visée de l'analyse; son critère n'est guère satisfai­sant. Ce qui le gêne, c'est sa conception de l'ego. Quand il parle de la fini­tude de la vie par rapport а la science où le mot dernier n'est jamais pro­noncé, il nous laisse sur l'impression que ce qui s'oppose а cette béance, c'est le moi scientifique de l'analysé. Ceci amène а une structure obsession­nelle. C'est au niveau du pouvoir de son propre savoir que se trouve l'ob­sessionnel. Nous sommes au niveau d'un « je pense ». Ce que Szasz propo­se, c'est une promotion d'une structure signifiante en elle-même; c'est un savoir, son moi, qui structure la structure, ce qui est le propre de l'obsédé. Il а besoin d'un analysé en situation, d'un alter ego, ce qui repose le pro­blème du désir.

Il évite la question que pose Freud а propos du roc et de ce refus de fémi­nité de la sexualité féminine. Ceci nous ramène а cet objet а. Pour Lacan, dans Analyse terminée..., l'objet que l'Eromenos l'analyste, est prétendu avoir aux yeux de l'analysé qui en manque est, pour Freud,... Dans cette mesure, ce refus de féminité, cette Spaltung dans laquelle peuvent surgir le sujet de l'inconscient et le а, qui n'existe en tant que perdu qu'au moment où un i(a) crée le réel en raison de l'impossibilité de symbolisation par un objet spéculatrice. La question du désir d'un certain nombre de sujets comme l'Homme aux loups, une patiente hystérectomie qui rechute de façon inanalysable, fait reposer la question de ce manque, de ce vide fémi­nin que Freud ne pouvait pas viser. Que le а puisse se mobiliser, c'est ce que nous propose Lacan.

W. Granoff - Est-ce que l'analyste ne devrait pas se faire l'amoureux éternel de son patient? se demande Barbara Low, а l'opposé de Szasz. S'engager а cent pour cent, recommande Margaret Little. Ceci n'est nulle­ment différent de la position de Nacht, c'est-à-dire renoncer а ses droits et donner quelque chose, а condition que l'analyste ne tombe pas amoureux. Là, elle rejoint Barbara Low. Comment se débloquer si la bipolarité amour-haine joue, passer а l'acte ? Si l'on ne passe pas а l'acte, c'est la posi­tion de Lucy Tower qui, par rapport à son patient homme, finit par dire « le patient m'a pliée а ses besoins, j'ai pu avoir en lui confiance en tant que  femme ». Dans la mesure où elle se situe comme une femme devant un homme, elle rejoint Freud; il n'y а pas de différence entre une situation d'amour vrai et une situation de contre-transfert. L'amour de contre-trans­fert n'est pas moins une situation d'amour pur.

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Psychanlyste nice, lecon X du seminaire l'angoisse de Lacan

Leçon Χ 30 janvier 1963

L'angoisse, nous enseigne-t-on depuis toujours, est une crainte sans objet. Chanson déjà, pourrions-nous dire ici où s'est énoncé un autre dis­cours, chanson qui, pour scientifique qu'elle soit, se rapproche de celle de l'enfant qui se rassure. Car la vérité que j'énonce pour vous, je là formule ainsi : « Elle n'est pas sans objet ». Ce qui n'est pas dire par 1à que cet objet soit accessible par la même vole que les autres. Au moment de la dire, j'ai souligné que ce serait encore une autre façon de se débarrasser de l'angois­se que de dire qu'un discours homologue, semblable à toute autre part du discours scientifique, puisse symboliser cet objet, nous mettre avec lui dans ce rapport du symbole sur lequel, à son propos, nous allons revenir. L'angoisse soutient ce rapport de n'être pas sans objet à condition qu'il soit réservé que ce n'est pas 1à dire, ni pouvoir dire, comme pour un autre, de quel objet il s'agit. Autrement dit, l'angoisse nous introduit, avec l'accent de communicabi­lité maximum, à la fonction du manque, en tant qu'elle est, pour notre champ, radicale. Ce rapport au manque est si foncier à la constitution de toute logique, et d'une certaine façon telle qu'on peut dire que l'histoire de la logique est celle de ses réussites à le masquer, ce par quoi elle apparaît comme parente à une sorte de vaste acte manqué, si nous donnons à ce terme son sens positif. C'est bien pourquoi vous me voyez, par une voie, toujours revenir à ces paradoxes de la logique, destinés à vous suggérer les voies, les portes d'entrée, par où se règle, s'impose à nous, le certain style par où cet acte manqué, nous pourrions, nous, le réussir, ne pas manquer au manque. 149 - C'est pour ça que je pensai introduire une fois de plus mon discours, aujourd'hui, par quelque chose qui, bien sûr, n'est qu'un apologue, et où vous ne pouvez vous fonder sur aucune analogie à proprement parler, pour y trouver ce qui serait le support d'une situation de ce manque mais qui pourtant est utile pour réouvrir en quelque sorte cette dimension que tout discours, tout discours de la littérature, analytique elle-même, vous fait, dans les intervalles je dirai de celui où ici, de huit jours en huit jours, je vous rattrape forcément retrouver l'ornière de quelque chose qui clorait dans notre expérience et de quelque béance qu'elle entende désigner, ce manque y trouverait quelque chose que ce discours pourrait combler.

Donc, petit apologue, le premier qui m'est venu. Ι1 y en aurait d'autres et après tout je ne désire ici qu'aller vite. Je vous ai dit, en somme, qu'il n'y a pas de manque dans le réel; le manque n'est saisissable que par l'intermé­diaire du symbolique. C'est, au niveau de la bibliothèque, ce qui fait qu'on peut dire, ici, le volume tant manque à sa place; cette place est une place désignée déjà par l'introduction, dans le réel, du symbolique. Et ce manque dont je parle, ce manque que le symbole en quelque sorte comble facile­ment, il désigne la place, il désigne l'absence, 1l présentifie ce qui n'est pas là. Mais observez; le volume dont il s'agit porte à la première page - volu­me que j'ai acquis cette semaine, et c'est ça qui m'a inspiré ce petit apologue - à la première page là notation : « les quatre gravures de tant à tant man­quent ». Est-ce à dire pour autant que, selon la fonction de la double néga­tion, parce que le volume manque à sa place, le manque des quatre gravures soit levé, que les gravures y reviennent. Ι1 saute aux yeux qu'il n'en est rien.

Ceci peut bien vous paraître un peu bêta, mais je vous ferai remarquer que c'est là toute la question de là logique, de la logique transposée dans ces termes intuitifs du schéma eulérien, du manque inclus. Quelle est sa posi­tion, de là famille dans le genre, de l'individu dans l'espèce, qu'est-ce qui constitue à l'intérieur d'un cercle planifié, le trou ? Si je vous ai fait faire l'année dernière tant de topologie, c'est bien pour vous suggérer que la fonction du trou n'est pas univoque. Et c'est bien ainsi qu'il faut entendre que toujours s'introduit dans cette voie de là pensée que nous appelons sous des formes diverses métaphoriques, mais toujours se référant à quelque chose, cette planification, cette implication du plan tout simple comme constituant foncièrement le support intuitif de la surface. Or, ce rapport à la surface est infiniment plus complexe et, bien sûr, à simplement vous- 150 - introduire l'anneau, le tore, vous avez pu voir qu'il suffit d'élaborer cette surface, là plus simple en apparence à imaginer, pour voir s'y diversifier, à condition que nous là considérions bien comme elle est, comme surface, de voir s'y diversifier étrangement la fonction du trou.

Je vous fais observer une fois de plus comment il faut l'entendre, car tout ce qu'il s'agit en effet de savoir, c'est comment un trou peut se remplir, peut se combler. Nous verrons que n'importe quel cercle dessiné sur cette surfa­ce du trou ne peut pas, car c'est là le problème, se rétrécir jusqu'à n'être plus que cette limite évanouissante, le point, et disparaître. Car bien sûr, il y a des trous sur lesquels nous pourrons ainsi opérer, et il suffit que nous dessi­nions notre cercle de la façon suivante - si je dessine, c'est pour ne pas autrement m'exprimer - ou de celle-ci, pour voir qu'ils ne peuvent pas venir à zéro. Il y a des structures qui ne comportent pas le comblement du trou. L'essence du cross-cap, tel que je vous l'ai montré l'année dernière, c'est que, quelque coupure que vous dessiniez sur sa surface - je ne m'y étendrai pas plus loin, je vous prie d'en faire vous-même l'épreuve - nous n'aurons pas apparemment cette diversité; que nous dessinions cette coupu­re ainsi est l'homologue, au niveau du cross-cap, de la coupure qui sur le tore se répète ainsi, c'est-à-dire qui participe des deux autres types de cercle, qui les réunit en elle même, les deux premiers que je viens de dessiner, que vous les dessiniez ainsi ici sur le cross-cap, que vous la dessiniez cette coupure, passant par ce point privilégié sur lequel j'ai attiré votre attention l'année dernière, vous aurez toujours quelque chose qui, en apparence, pourra se réduire à la surface minimum mais non sans qu'il ne reste à la fin, je vous le répète, quelle que soit la variété de la coupure, il ne reste à la fin que quelque chose qui se symbolise non pas comme une réduction concentrique, mais

irréductiblement sous cette forme ou sous celle-ci qui est la même, et qu'on ne peut pas, comme telle, ne pas dif­férencier de ce que j'ai appelé tout à l'heure la ponctification concen­trique. C'est en quoi le cross-cap a été pour nous une autre voie d'abord en ce qui concerne la possibilité d'un type irréductible de manque. Le manque est radical. Il est radical à la constitution même de la subjectivité, telle qu'elle nous apparaît par la voie de l'expérience analytique. Ce que, si vous le voulez, j'aimerais énoncer en cette formule : dès que ça se sait, que quelque chose du Réel vient au savoir, il y a quelque chose de perdu et la façon la plus certaine d'approcher ce quelque chose de perdu, c'est de le concevoir comme un morceau du corps.

Voilà la vérité qui, sous cette forme opaque, massive, est celle que l'expé­rience analytique nous donne et qu'elle introduit dans son caractère irré­ductible, dans toute réflexion possible dès lors sur toute forme concevable de notre condition. Ce point, faut-il le dire, comporte assez d'insoutenable pour que nous essayions sans cesse de le contourner, ce qui est sans doute à deux faces, à savoir que dans cet effort même nous faisons plus que d'en dessiner le contour et que nous sommes toujours tentés, à mesure même que nous nous rapprochons de ce contour, de l'oublier, en fonction même de la structure que représente ce manque. D'où il résulte, autre vérité, que nous pourrions dire que le tournant de notre expérience repose sur ceci que le rapport à l'Autre en tant qu'il est ce où se situe toute possibilité de sym­bolisation et le lieu du discours, rejoint un vice de structure et qu'il nous faut, c'est le pas de plus, concevoir que nous touchons là à ce qui rend pos­sible ce rapport à l'Autre, c'est-à-dire que ce point d'où surgit qu'il y a du signifiant, est celui qui, en un sens, ne saurait être signifié. C'est là ce que veut dire, ce que j'appelle le point manque de signifiant.

Et récemment, j'entendai quelqu'un qui ne m'entend vraiment pas mal du tout, me répondre, m'interroger, si ce n'est pas là dire que nous nous référons à ce qui de tout signifiant est en quelque sorte la matière imaginai­re, la forme du mot ou celle du caractère chinois, si vous voulez, ce qu'il y - -152- a d'irréductible à ceci, qu'il faut que tout signifiant ait un support intuitif comme les autres, comme tout le reste. Eh bien! justement non. Car bien sûr, c'est là ce qui s'offre de tentation à ce propos. Ce n'est pas là ce dont il s'agit concernant ce manque. Et pour vous le faire sentir, je me référerai à des définitions que je vous ai déjà données et qui doivent servir. Je vous ai dit: « Rien ne manque qui ne soit de l'ordre symbolique. Mais 1a privation, elle, c'est quelque chose de réel ». Ce dont nous parlons, c'est de quelque chose de réel, ce autour de quoi tourne mon discours, quand j'essaie pour vous de représentifier ce point décisif pourtant que nous oublions toujours, non seulement dans notre théorie, mais dans notre pratique de l'expérience analytique, c'est une privation qui se manifeste tant dans la théorie que dans la pratique, c'est une privation réelle, et qui, comme telle, ne peut être rédui­te. Est-ce qu'il suffit pour là lever de là désigner? Si nous arrivons à la cer­ner scientifiquement, ceci est parfaitement concevable, il nous suffit de tra­vailler la littérature analytique, comme je vous en donnerai tout à l'heure un exemple, un échantillon. Pour commencer, ça ne peut se faire autrement, j'ai pris le premier numéro qui m'est tombé sous la main de l'International journal et je vous montrerai qu'à peu près n'importe où, nous pouvons retrouver le problème dont il s'agit; qu'on parle de l'anxiété, de l'acting-out, ou de R, comme c'est le titre de l'article auquel je ferai allusion tout à l'heu­re - il n'y a pas que moi qui me serve de lettres -la réponse totale, The total response, de l'analyste dans la situation analytique de quelqu'un dont j'ai parlé dans là seconde année de mon séminaire, la nommée Margaret Little, nous retrouverons, très centré, ce problème, et nous pouvons le défi­nir ainsi : où est-ce que se situe la privation, où est-ce que, manifestement, elle glisse, à mesure qu'elle entend serrer de plus près le problème que lui pose un certain type de patient? Ce n'est pas cela, là réduction, là privation, la symbolisation, son articulation ici qui lèvera le manque. C'est ce qu'il faut que nous nous mettions bien dans l'esprit d'abord, et ne serait-ce que pour comprendre ce que signifie un mode d'apparition de ce manque, je vous l'ai dit, là privation est quelque chose de réel. Ι1 est clair qu'une femme n'a pas de pénis. Mais si vous ne symbolisez pas le pénis comme l'élément essentiel à avoir ou ne pas avoir, de cette privation elle n'en saura rien. Le manque, lui, est symbolique. La castration apparaît au cours de l'analyse, pour autant que ce rapport avec l'Autre, qui n'a pas attendu l'analyse d'ailleurs pour se constituer, est 153- fondamental. La castration, vous ai-je dit, est symbolique, c'est-à-dire qu'elle se rapporte à un certain phénomène de manque et au niveau de cette symbolisation, c'est-à-dire dans le rapport à l'Autre, pour autant que le sujet a à se constituer dans le discours analytique. Une des formes possibles de l'apparition du manque est ici, le - φ, le support imaginaire qui n'est qu'une des traductions possibles du manque originel, du vice de structure inscrit dans l'être au monde du sujet à qui nous avons affaire; il est, dans ces conditions, concevable, normal de s'interroger pourquoi, à mener jusqu'à un certain point et pas au-delà l'expérience analytique, ce terme que Freud nous donne comme dernier du complexe de castration chez l'homme et du Penisneid chez la femme, ce terme peut être mis en question. Qu'il soit der­nier n'est pas nécessaire. C'est bien pourquoi c'est un chemin d'approche essentiel de notre expérience de concevoir, dans sa structure originelle, cette fonction du manque. Et il faut y revenir maintes fois pour ne pas là man­quer.

Autre fable. L'insecte qui se promène à la surface de la bande de Moebius - j'en ai, maintenant, je pense, assez parlé pour que vous sachiez tout de suite ce que je veux dire - cet insecte peut croire à tout instant, s'il a là représentation de ce que c'est qu'une surface, qu'il y a une face, celle tou­jours à l'envers de celle sur laquelle il se promène, qu'il n'a pas explorée, il peut croire à cet envers. Or, il n'y en a pas, comme vous le savez. Lui, sans le savoir, explore ce qui n'est pas les deux faces, explore là seule face qu'il y ait; et pourtant, à chaque instant, il y a bien un envers. Ce qui lui manque pour s'en apercevoir qu'il est passé à l'envers, c'est la petite pièce man­quante, celle que vous dessine cette façon de couper le cross-cap, et qu'un jour, j'ai matérialisé, pour vous la mettre dans la main, construite, cette peti­te pièce manquante. C'est une façon de tourner ici en court-circuit autour du point qui le ramène, par le chemin le plus court, à l'envers du point où il était l'instant d'avant. Cette petite pièce manquante, le a dans l'occasion, est-ce à dire que, parce que nous là décrivons sous une forme paradigma­tique, l'affaire est pour autant résolue ? Absolument pas, car c'est qu'elle manque cette pièce qui fait toute la réalité du monde où se promène l'in­secte. Le petit huit intérieur est bel et bien irréductible, c'est un manque auquel le symbole ne supplée pas. Ce n'est pas une absence donc au premier chef à quoi le symbole peut parer.

Ce n'est pas non plus une annulation, ni une dénégation, car annulation 154-  et dénégation, formes constituées de ce rapport que le symbole permet d'intro­duire dans le réel, à savoir la définition de l'absence, annulation et dénégation, c'est tentative de défaire ce qui, dans le signi­fiant, nous écarte de l'origine et de ce vice de structure. C'est tenter de rejoindre sa fonction de signe; c'est ce à quoi pour autant s'efforce, s'exténue l'obsessionnel. 

Annulation et dénégation visent donc ce point de manque, mais ne le rejoi­gnent pas pour autant, car elles ne font, comme Freud l'explique, que redoubler la fonction du signifiant en se l'appliquant à elles-mêmes, et plus je dis que ça n'est pas là, plus ça est là. La tache de sang, intellectuelle ou pas, que ce soit celle à quoi s'exténue Lady Macbeth ou ce que désigne sous ce terme intellectuel Lautréamont, c'est impossible à effacer parce que la nature du signifiant est justement ceci de s'efforcer d'effacer une trace. Et plus on cherche à l'effacer pour retrouver la trace, plus la trace insiste comme signifiante.

D'où il résulte que nous avons à faire, concernant le rapport à ce comme quoi se manifeste le a, comme cause du désir, à une problématique toujours ambiguë; en effet, quand on l'inscrit dans notre schéma, toujours à renou­veler, il y a deux modes sous lesquels dans le rapport à l'Autre le petit a peut apparaître. Si nous pouvons les rejoindre, c'est justement par la fonction de l'angoisse, en tant que l'angoisse, où qu'elle se produise, en est le signal, et qu'il n'est pas d'autre façon de pouvoir interpréter ce qui, dans la littératu­re analytique, nous est dit de l'angoisse.

Car enfin, observez combien il est étrange de rapprocher ces deux faces du discours analytique : d'une part, que l'angoisse est là défense majeure la plus radicale et qu'il faut, ici, que le discours, à son propos, se divise en deux références l. l'une au Réel pour autant que l'an­goisse est la réponse au danger le plus ori­ginel, à l'insurmontable Hilflosigkeit, à la détresse absolue de l'entrée au monde,

2. d'autre part, elle va pouvoir, par la  suite, par le moi, être reprise pour signal de dangers infiniment plus légers, de dangers, nous dit quelque part Jones, qui sur ce point fait preuve d'un tact et d'une mesure qui manquent souvent beaucoup à l'emphase du dis­cours analytique, sur ce qu'on appelle les menaces de l'Id, du Ça, de l'Es, ce que simplement Jones appelle un buried desire, un désir enterré. Comme il le remarque est-ce bien après tout si dangereux, le retour d'un désir enter­ré, et cela vaut-il la mobilisation d'un signal aussi majeur que ce signal ulti­me, dernier que serait l'angoisse, si nous sommes obligés, pour l'expliquer, de recourir au danger vital le plus absolu.

Et ce paradoxe se retrouve un peu plus loin. Car il n'est pas discours ana­lytique qui, après avoir fait de l'angoisse le corps dernier de toute défense, ne nous parle pas de défense contre l'angoisse. Alors, cet instrument si utile à nous avertir du danger, c'est contre lui que nous aurions à nous défendre, et c'est par 1à qu'on explique toutes sortes de réactions, de constructions, de formations, dans le champ psychopathologique. Est-ce qu'il n'y a pas là quelque paradoxe, qui exige de formuler autrement les choses, à savoir que la défense n'est pas contre l'angoisse, mais contre ce dont l'angoisse est le signal, et que ce dont il s'agit, ce n'est pas de défense contre l'angoisse, mais de ce certain manque, à ceci près que nous savons qu'il y a, de ce manque, des structures différentes et définissables comme telles, que le manque du bord simple, celui du rapport avec l'image narcissique, n'est pas le même que celui du bord redoublé dont je vous parle et qui se rapporte à la cou­pure là plus loin poussée, celle qui concerne le a comme tel, en tant qu'il apparaît, qu'il se manifeste, que c'est à lui que nous avons, que nous pou­vons, que nous devons avoir à faire, à un certain niveau du maniement du transfert.

Ici apparaîtra, me semble-t-il mieux qu'ailleurs, que le manque du manie­ment n'est pas le maniement du manque, et que, ce qu'il convient de repé­rer que vous trouvez toujours, chaque fois qu'un discours est assez loin poussé sur le rapport que nous avons comme Autre à celui que nous avons en analyse, que la question est posée de ce que doit être notre rapport avec ce a. La béance est manifeste de la mise en question permanente, profonde, que serait en elle-même l'expérience analytique, renvoyant toujours le sujet à ce quelque chose d'autre par rapport à ce qu'il nous manifeste de quelque nature que ce soit. Le transfert ne serait, comme me disait, il n'y a pas long­temps, une de mes patientes : « Si j'étais sûre que c'était uniquement du transfert ». La fonction du « ne que », « Ce n'est que du transfert », est l'en­vers de: « Ι1 n'a qu'à faire ainsi », cette forme du verbe qui se conjugue mais pas, comme vous le croyez elle qui fait dire : « Ι1 n'avait qu'à », qu'on voit spontanément fleurir dans un discours spontané. C'est l'autre face de ce qu'on nous explique comme étant, semble-t-il, la charge, le fardeau du héros analyste, d'avoir à intérioriser ce a, le prendre en lui, bon ou mauvais objet, mais comme objet interne et que c'est de là que surgirait toute la créa­tivité par où il doit restaurer du sujet l'accès au monde.

Les deux choses sont vraies, encore qu'elles ne soient pas rejointes; c'est justement pour cela qu'on les confond, et, qu'à les confondre, rien de clair n'est dit sur ce qui concerne le maniement de cette relation transférentielle, celle qui tourne autour du a. Mais c'est ce qu'explique suffisamment la remarque que je vous ai faite que ce qui distingue la position du sujet par rapport à a, et la constitution comme telle de son désir, c'est que, pour dire les choses sommairement, qu'il s'agisse du pervers ou du psychotique, la relation du fantasme $ 0 a s'institue ainsi, c'est là que pour manier la rela­tion transférentielle, nous avons, en effet, à prendre en nous, à là façon d'un corps étranger, une incorporation dont nous sommes le patient. Le a dont il s'agit, c'est à savoir l'objet, absolument étranger au sujet qui nous parle, en tant qu'il est la cause de son manque.

Dans le cas de la névrose, la position est différente pour autant que, je vous l'ai dit, quelque chose ici apparaît qui distingue la fonction du fantas­me chez le névrosé. Ici apparaît en Χ quelque chose de son fantasme qui est un a, et qui seu­lement le paraît. Et qui seulement le paraît parce que ce petit a n'est pas spé­cularisable, et ne saurait ici apparaître, si je puis dire, en personne, mais seu­lement un substitut. Et 1à seulement s'applique ce qu'il y a de mise en cause profonde de toute authenticité dans l'analyse classique du transfert.

Mais ce n'est pas dire que ce soit l'a qui est la cause du transfert, et nous avons à faire à ce petit a qui, lui, n'est pas sur là scène, mais qui ne deman­de à chaque instant qu'à y monter pour y introduire son discours, fût-ce à y jeter, dans celui qui continue à se tenir sur la scène, à y jeter la pagaille, le désordre, de dire « trêve de tragédie », comme même aussi bien « trêve de comédie », encore que ce soit un peu mieux. Ι1 n'y a pas de drame. Pourquoi est-ce que cet Ajax se met, comme on dit, la rate au court-bouillon, alors qu'après tout, s'il n'a fait qu'exterminer des moutons, c'est tant mieux ? 157- 

C'est quand même moins grave que s'il avait exterminé tous les Grecs, puis­qu'il n'a pas exterminé tous les Grecs, il est d'autant moins déshonoré et s'il s'est livré à cette manifestation ridicule, tout le monde sait que c'est parce que Minerve lui a jeté un sort. La comédie est moins facile à exorciser. Comme chacun sait, elle est plus gaie, et même si on l'exorcise, ce qui se passe sur la scène peut fort bien continuer; on recommence à la chanson du pied de bouc, à là vraie histoire dont il s'agit depuis le début, à l'origine du désir. Et c'est bien pour ça d'ailleurs que la tragédie porte en elle-même, dans son terme, dans son nom, sa désignation, cette référence au bouc et au satyre, dont d'ailleurs la place était toujours réservée à la fin d'une trilogie. Le bouc qui bondit sur la scène, c'est l'acting-out. Et l'acting-out dont je parle, à savoir le mouvement inverse de ce que vers quoi le théâtre moder­ne aspire, à savoir que les acteurs descendent dans la salle, c'est que les spec­tateurs montent sur la scène, et y disent ce qu'ils ont à dire.

Et voilà pourquoi, quelqu'un comme Margaret Little, prise parmi d'autres, et je vous l'ai dit, vraiment à la façon dont on peut se bander les yeux et placer en travers des pages pour faire de la divination, un couteau. Margaret Little, dans son article, sur La réponse totale de l'analyste aux besoins de son patient, de mai-août 1957, partie 111-IV du volume 38 de l'International Journal of Psychoanalysis, poursuit le discours auquel, déjà, je m'étais arrêté à un point de mon séminaire où cet article n'avait pas enco­re paru. Ceux qui étaient la se souviennent des remarques que j'avais faites, à propos d'un certain discours angoissé, chez elle, et à la fois, tentant de le maîtriser, à propos du contre-transfert. Ceux-1à sans doute se souviennent que je ne me suis pas arrêté à l'apparence première du problème, à savoir des effets d'une interprétation inexacte, à savoir qu'un jour, un analyste à un de ses patients qui revient de faire un broadcast, un broadcast sur un sujet qui intéresse l'analyste lui-même, - nous voyons à peu près dans quel milieu ceci a pu se passer - lui dit : « Vous avez fort bien parlé hier, mais je vous vois aujourd'hui tout déprimé; c'est sûrement de 1a crainte que vous avez de me voir blessé en empiétant sur mes plates-bandes ». Ι1 faut deux ans pour que le sujet s'aperçoive, à propos du retour d'un anniversaire, que ce qui avait fait sa tristesse était lié au sentiment qu'il avait, en ayant fait ce broad­cast, d'avoir en lui ravivé le sentiment de deuil qu'il avait de la mort de sa mère toute récente qui, dit-il, ne pouvait pas voir ainsi le succès que repré­sentait pour son fils d'être ainsi promu à la position momentanée de vedette. 158- 
 

Margaret Little est frappée, puisque c'est un patient qu'elle a repris de cet analyste, de ceci qu'effectivement l'analyste n'avait fait, dans son interpré­tation, qu'interpréter ce qui se passait dans son propre inconscient à lui, l'analyste, à savoir qu'effectivement il était fort marri du succès de son patient.

Ce dont il s'agit pourtant est bien ailleurs, c'est à savoir qu'il ne suffit pas de parler de deuil, et de voir même la répétition du deuil où était alors le sujet, de celui que deux ans plus tard il faisait de son analyste, mais de s'apercevoir de quoi il s'agit dans la fonction du deuil lui-même et ici, du même coup, pousser un peu plus loin ce que Freud nous dit du deuil en tant qu'identification à l'objet perdu. Ce n'est pas 1à définition suffisante du deuil. Nous ne sommes en deuil que de quelqu'un dont nous pouvons nous dire j'étais son manque. Nous sommes en deuil de personnes que nous avons ou bien ou mal traitées, et vis-à-vis de qui nous ne savions pas que nous remplissions cette fonction d'être à la place de son manque. Ce que nous donnons dans l'amour, c'est essentiellement ce que nous n'avons pas, et, quand ce que nous n'avons pas nous revient, il y a régression assurément, et en même temps révélation de ce en quoi nous avons manqué à la person­ne pour représenter son manque.

Mais ici, en raison du caractère irréductible de là méconnaissance concer­nant le manque, cette méconnaissance simplement se renversa, à savoir que cette fonction que nous avions d'être son manque, nous croyons pouvoir là traduire maintenant en ceci que nous lui avons manqué, alors que c'était justement en cela que nous lui étions précieux et indispensable.

Voilà ce que je vous demanderai de repérer s'il est possible, cela et un cer­tain nombre d'autres points de références, de référer si vous voulez bien vous y mettre dans l'article de Margaret Little; c'est une phase ultérieure de réflexion, et assurément considérablement approfondie, sinon améliorée. Car améliorée, elle ne l'est pas. La définition si problématique du contre-transfert n'est absolument pas avancée et je dirai que jusqu'à certain point, nous pouvons lui en être reconnaissants; car si elle s'y était avancée, c'était mathématiquement dans l'erreur. Elle ne veut, vous le verrez, considérer dès lors que la réponse totale de l'analyste, c'est-à-dire tout aussi bien le fait qu'il est là comme analyste que des choses qui, à lui analyste, comme l'exemple qui est là l'a promu, peuvent de son propre inconscient lui échap­per, que le fait que, comme tout être vivant, elle éprouve des sentiments au 159- cours de l'analyse, et qu'enfin, elle ne le dit pas comme ça, mais c'est de cela qu'il s'agit, étant l'Autre, elle est dans là position que je vous ai dite la der­nière fois, à savoir, au départ, d'entière responsabilité.

C'est donc avec cette classe, cet immense total, comme elle dit, de sa posi­tion d'analyste, qu'elle entend devant nous répondre et répondre honnête­ment sur ce qu'elle conçoit qu'est la réponse de l'analyste. Ι1 en résulte qu'elle va aller jusqu'à prendre les positions les plus contraires, ce n'est pas dire qu'elles soient fausses, aux formulations classiques, c'est à savoir que loin de rester hors du jeu, il faut que l'analyste s'y suppose, en principe, engagé jusqu'à la garde, se considère à l'occasion effectivement comme res­ponsable et, en tout cas, ne se refusant jamais à témoigner si, concernant ce qui se passe dans l'analyse, elle est, par exemple, appelée, de son sujet, devant une cour de justice, à répondre.

Je ne dis pas 1à que ce soit une attitude soutenable, je dis que l'évoquer, placer à l'intérieur de cette perspective la fonction de l'analyste est quelque chose qui, assurément, vous paraîtra d'une originalité qui prête à problème; que les sentiments, j'entends tous les sentiments de l'analyste, peuvent être en quelque occasion mis en demeure, si je puis dire, de se justifier, non seu­lement au propre tribunal de l'analyste, ce que chacun admettra, mais même à l'endroit du sujet, et que le poids de tous les sentiments que peut éprou­ver l'analyste à l'égard dé tel ou tel sujet engagé avec lui dans l'entreprise analytique peuvent avoir, non seulement à être invoqués, mais à être pro­mus dans quelque chose qui ne sera pas une interprétation, mais un aveu, entrant par là dans une voie dont on sait que la première introduction dans l'analyse par Ferenczi a fait l'objet, de la part des analystes classiques, des plus extrêmes réserves.

Assurément, notre auteur fait trois parts parmi les patients auxquels il a à faire. Comme elle semble admettre le plus large éventail des cas dont elle se charge, nous avons d'une part les psychoses, où il faut bien qu'elle admette, quand ne serait-ce que pour quelques fois l'hospitalisation néces­saire, qu'il faut bien qu'elle se décharge d'une part de ses responsabilités sur d'autres supports; les névroses, dont elle nous dit que la plus grande part de responsabilité dont nous nous déchargeons aussi dans les névroses, c'est pour la mettre sur les épaules du sujet, preuve de remarquable lucidité; mais entre les deux, les sujets qu'elle définit comme une tierce classe, névroses de caractère ou personnalité réactionnelle, comme on voudra, ce qu'Alexander 160- définit comme neurotic character, bref, tout ce autour de quoi s'élaborent de si problématiques imitations ou classifications, alors qu'en réalité il ne s'agit pas d'une espèce de sujet, mais d'une zone de rapport, celle que je définis ici comme acting-out, et c'est bien, en effet, ce dont il s'agit, dans le cas qu'elle va nous développer qui est le cas d'un sujet qui est venu à elle parce qu'elle fait des actes que l'on classifie dans le cadre de la kleptoma­nie qui pendant un an, d'ailleurs, ne fait pas là moindre allusion à ces vols, et qui déroule tout un long moment de l'analyse, sous le feu entier et achar­né, de la part de notre analyste, des interprétations actuelles de transfert les plus répétées au sens considéré dans la voie généralement adoptée, comme ce qui doit, à partir d'un certain moment, être étanché, être épongé, sans arrêt, tout au cours de l'analyse. Aucune des interprétations, si subtiles, si variées qu'elle les élabore, n'effleure même un instant la défense de son sujet.

Si quelqu'un, je vais terminer 1à-dessus, veut bien me rendre le service, à une date que nous allons fixer, d'entrer dans l'exposé détaillé de ce cas, de faire ce quelque chose que je ne puis faire devant vous parce que c'est trop long et que j'ai d'autres choses à vous dire, vous verrez, dans tous ses détails, se manifester la pertinence des remarques que je suis en train de vous faire maintenant.

L'analyse ne commence à bouger, nous dit-elle, qu'au moment où, un jour, sa patiente arrive la face tuméfiée par les pleurs, et les pleurs qu'elle verse sur la perte, là mort, dans un pays qu'elle a quitté depuis longtemps avec ses parents, à savoir l'Allemagne d'alors, l'Allemagne nazie, d'une per­sonne qui ne se distinguait pas autrement parmi ceux qui avaient veillé sur son enfance, si ce n'est que c'était une amie de ses parents, et sans doute une amie avec qui elle avait des rapports bien différents de ceux avec ses parents, car il est un fait qu'elle n'a jamais, de personne, porté un pareil deuil. Devant cette réaction déchaînée, surprenante, quelle est la réaction de notre analyste? Assurément celle d'interpréter, comme on fait toujours. Elle les varie, là encore, histoire de voir celle qui marche. L'interprétation classique, à savoir que ce deuil est un besoin de rétorsion contre l'objet, que ce deuil est peut-être adressé à elle, l'analyste, que c'est une façon, à travers l'écran de la personne dont elle porte le deuil, de lui apporter à elle, l'analyste, tous les reproches qu'elle a à lui faire. Rien ne fonctionne.

Un tout petit quelque chose commence à se déclencher quand l'analyste, 161- littéralement - vous le verrez, c'est très visible dans le texte -, avoue devant le sujet qu'elle y perd son latin et que, là voir comme ça, ça lui fait de la peine, à elle, l'analyste. Et aussitôt, notre analyste d'en déduire que c'est là le positif, le réel, le vivant d'un sentiment qui a donné à l'analyse son mouvement. Tout le texte en témoigne assez, et le sujet choisi, et le style, et l'ordre de son développement, pour que nous puissions dire ce dont il s'agit et qui atteint assurément le sujet, qui lui permet de transférer, à proprement parler, dans sa relation à l'analyste, là réaction dont il s'agissait dans ce deuil, à savoir l'apparition de ceci, qu'il y avait une personne pour qui elle pou­vait être un manque, c'est ce que l'intervention de l'analyste lui fait appa­raître, chez l'analyste, ceci qui s'appelle l'angoisse. C'est en fonction de ce que nous sommes sur la limite de quelque chose qui désigne dans l'analyse la place du manque que cette insertion, que cette greffe, si je puis dire, ce marcottage, qui permet à un sujet dont toute la relation avec les parents est définie, vous le verrez dans l'observation, par ceci que sous aucun rapport, il n'a pu se saisir, ce sujet féminin, comme un manque, trouve ici à s'ouvrir.

Ce n'est pas en tant que sentiment positif que l'interprétation, si on peut l'appeler ainsi, puisqu'on nous le décrit. bien dans l'observation, le sujet ouvre les bras et lâche à cette place, que cette « interprétation », si on veut l'appeler ainsi, a porté, c'est en tant qu'introduction, par une voie involon­taire, de quelque chose qui est ce qui est en question, et qui doit toujours venir en question à quelque point que ce soit, fût-ce à son terme, dans l'ana­lyse, à savoir la fonction de la coupure. Et ce qui va vous permettre de le repérer, de le désigner, c'est que les tournants et ceux-là décisifs de l'analy­se sont deux moments, le moment où l'analyste s'armant de courage, au nom de l'idéologie, de la vie, du réel, de tout ce que vous voudrez, fait tout de même l'intervention la plus singulière, à situer comme décisive par rap­port à cette perspective que j'appellerai sentimentale. Un beau jour que le sujet lui ressasse toutes ses histoires de différends d'argent, - si mon sou­venir est bon, avec sa mère, elle y revient sans cesse - l'analyste lui dit en propres termes : « Écoutez :finissons-en avec ça, parce que, littéralement, je ne peux plus l'entendre! Vous m'endormez ». La seconde fois, - je ne vous donne pas ça comme un modèle de technique, je vous demande de suivre les problèmes qui se posent à une analyste manifestement aussi expérimentée que brûlante d'authenticité -la seconde fois, il s'agit de légères modifica­tions qui ont été faites chez l'analyste, à ce qu'elle appelle la décoration de - 162 -

son cabinet - si nous en croyons ce qu'est la décoration, en moyenne, chez nos confrères, ça doit être joli - déjà notre Margaret Little a été tannée toute la journée par les remarques de ses patients : « C'est bien, c'est mal, ce brun est dégoûtant, ce vert est admirable...», et voilà notre patiente qui rap­plique vers là fin de la journée, nous dit-elle, et qui remet ça en termes un tout petit peu plus agressifs que les autres, et elle lui dit textuellement

« Écoutez, le me fiche totalement de ce que vous pouvez en penser ».

La patiente, je dois dire, comme la première fois, est profondément cho­quée, estomaquée. Après quoi, elle ressort de son silence avec des cris d'en­thousiasme : « Tout ce que vous avez fait là, c'est formidable ». Je vous passe les progrès de cette analyse. Ce que je voudrais simplement ici désigner, c'est, à propos d'un cas favorable et choisi dans une partie du champ parti­culièrement favorable à cette problématique, ce qui est décisif, dans ce fac­teur de progrès qui consiste à introduire essentiellement la fonction de la coupure. C'est pour autant qu'elle lui dit, dans sa première interprétation, ceci: « Vous me faites l'effet, littéralement du bouchon de carafe, vous m'en­dormez », que, dans l'autre cas, elle l'a littéralement remise à sa place

« Pensez ce que vous voudrez de ma décoration, de mon cabinet, moi, je m'en balance! » que quelque chose de décisif a été, dans la relation transfé­rentielle, ici en cause, mobilisé.

Ceci nous permet de désigner ce dont il s'agit chez ce sujet, le problème pour elle, un de ses problèmes est qu'elle n'avait jamais pu faire la moindre ébauche de sentiment de deuil à l'égard d'un père qu'elle admirait. Mais les histoires, vous le verrez, qui nous sont rapportées, nous montrent que, s'il y a quelque chose d'accentué dans ses rapports avec son père, c'était bel et bien qu'en aucun cas, il ne saurait s'agir à son propos d'aucune façon de représenter quelque chose qui pouvait, sous quelque angle que ce soit, à son père, manquer. Ι1 y a une petite promenade avec lui et une scène bien signi­ficative à propos d'un petit bâton de bois, bien symbolique du pénis, puisque, la malade elle-même le souligne, et de façon, semble-t-il, assez innocente, le père lui balance cette petite badine à l'eau de la façon la moins commentée. Nous ne sommes pas aux dimanches de Ville d'Avray dans cette histoire.

Et quant à la mère, celle dont il s'agit de la façon la plus proche dans le déterminisme des vols, c'est qu'assurément elle n'a jamais pu faire de cette enfant autre chose qu'une sorte de prolongement d'elle-même, de meuble, 163- cet instrument de menace et de chantage à l'occasion, mais, en aucun cas, quelque chose qui, par rapport à son propre désir, au désir du sujet, aurait pu avoir un rapport causal.

C'est pour désigner ceci, à savoir que son désir, elle ne sait pas lequel bien entendu, pourrait être pris en considération, que chaque fois que la mère se rapproche, entre dans le champ d'induction où elle peut avoir quelque effet, le sujet se livre très régulièrement à un vol, à un vol qui, comme tous les vols de kleptomane n'a aucune signification d'intérêt particulier, qui veut sim­plement dire : « je vous montre un objet que j'ai ravi par 1a force ou par 1a ruse et qui veut dire qu'il y a quelque part un autre objet, le mien, le "a ", celui qui méritait qu'on le considère, qu'on le laisse un instant s'isoler ». Cette fonction de l'isolement, de l'être-seul, a le rapport le plus étroit, est en quelque sorte le pôle corrélatif de cette fonction de l'angoisse, vous le verrez dans la suite. « La vie, nous dit quelque part quelqu'un qui n'est pas analyste, Etienne Gilson, l'existence est un pouvoir ininterrompu d'actives séparations ». Je pense que vous ne confondrez pas, après le discours d'au­jourd'hui, cette remarque avec celle qui est faite d'habitude sur les frustra­tions. Ι1 s'agit d'autre chose. Ι1 s'agit de la frontière, de là limite où s'instau­re la place du manque.

Une réflexion continue, je veux dire variée, avec les formes diverses, métonymiques, où apparaissent dans la clinique les points foyers de ce manque, fera la suite de notre discours. Mais nous ne pouvons pas ne pas le traiter sans cesse avec la mise en question de ce qu'on peut appeler les buts de l'analyse. Les positions prises à cet égard sont si instructives, ensei­gnantes, que je voudrais, au point où nous en sommes, que, outre cet article sur lequel il y aurait lieu, pour le suivre dans les détails, de revenir, vous lisiez un autre article d'un nommé Szasz, sur les buts du traitement analy­tique, On the theory of psychanalytic treatment, dans lequel vous verrez qu'est avancé ceci, c'est que les buts de l'analyse sont donnés dans sa règle, et que du même coup ses buts ne peuvent se définir que promouvant comme fin dernière de l'analyse, de toute analyse, qu'elle soit didactique ou pas, l'initiation du patient, à un point de vue scientifique, c'est ainsi que s'exprime l'auteur, concernant ses propres mouvements.

Est-ce là une définition? Je ne dis pas que nous puissions l'accepter ou la repousser, c'est une des positions extrêmes, c'est une position assurément très singulière et spécialisée; je ne dis pas, est-ce là une définition que nous 164- ne puissions accepter?, je dis, qu'est-ce que peut nous apprendre cette défi­nition? Vous avez ici entendu assez pour savoir qu'assurément, s'il y a quelque chose que j'ai mis maintes fois en cause, c'est justement le rapport, du point de vue scientifique, en tant que sa visée est toujours de considérer le manque comme comblable, en tout cas, avec là problématique d'une expérience, incluant, elle, de tenir compte du manque comme tel.

Ι1 n'en reste pas moins qu'un tel point de vue est utile à repérer, surtout si on le rapproche d'un article d'une autre analyste, d'un article plus ancien de Barbara Low, concernant ce qu'elle appelle les Entschädigungen, les compensations de la position de l'analyste. Vous y verrez produite une réfé­rence toute opposée, qui est non pas celle du savant, mais celle de l'artiste, et qu'aussi bien ce dont il s'agit dans l'analyse, c'est quelque chose de tout à fait comparable, nous dit-elle, - ce n'est pas certes une analyste moins remarquable pour la fermeté de ses conceptions - tout à fait comparable à la sublimation qui préside à la création artistique.

Est-ce qu'avec ces trois textes - le troisième qui est dans l'Internazionale Zeitschrift de l'année 20, enfin de la 20e année de l'Internazionale Zeitschrift für Psychoanalyse, en allemand, je le tiens, mal­gré sa rareté, à là disposition de celui qui voudrait bien s'en charger -, est ce que nous ne pourrions pas décider que le 20 février qui est le jour où ma rentrée... Puisque je vais m'absenter maintenant -, est possible, mais non pas certaine, est-ce que nous ne pourrions pas décider que 2 ou 3 personnes, 2 personnes qui sont ici et que j'ai interrogées tout à l'heure, pourraient en répartissant entre elles les rôles comme bon leur semblerait, l'un d'exposer, l'autre de critiquer ou de commenter, ou au contraire alternant, comme le chœur, les deux parties que constitueraient ces deux exposés, est-ce que ces deux personnes, s'en adjoignant à l'occasion une troisième pour le troisiè­me article, ce n'est pas impensable, ne pourraient pas s'engager à ne pas lais­ser trop longtemps ici cette tribune vide et à reprendre, à ma place si je ne suis pas là, avec moi dans l'assistance si je reviens, ce problème, à savoir s'occuper exactement des trois articles dont je viens de parler.

Je crois avoir obtenu d'eux - il s'agit respectivement de Granoff et de Perrier - leur consentement tout à l'heure; je vous donne donc rendez-vous pour les entendre, le 20 février, ici, c'est-à-dire dans exactement trois semaines. 165

 

 




Leçon IX 23 janvier 1963 Lacan, psychanalyse Nice

Leçon IX 23 janvier 1963

Nous allons aujourd'hui continuer à parler de ce que je vous désigne comme le petit a.

Pour maintenir notre axe, autrement dit pour ne pas vous laisser par mon explication même, l'occasion d'une dérive, je commencerai de rappeler son rapport au sujet. Pourtant, ce que nous avons à dire, à accentuer aujour­d'hui, c'est son rapport au grand Autre, l'autre connoté d'un A, parce que, comme nous le verrons, il est essentiel de comprendre que c'est de cet Autre qu'il prend son isolement, qu'il se constitue dans le rapport du sujet à l'Autre comme reste. C'est pourquoi j'ai reproduit ce schéma, homologue de l'appareil de là division. Le sujet, tout en haut à droite, en tant que par notre dialectique, il prend son départ de là fonction du signifiant, le sujet S, hypothétique, à l'origine de cette dialectique, se constitue au lieu de l'Autre comme marqué du signifiant, seul sujet auquel accède notre expérience; inversement suspendant toute l'existence de l'Autre à une garantie qui manque, l'Autre barré. Mais de cette opération, il y a un reste; c'est le a.

La dernière fois, j'ai amorcé, j'ai fait surgir devant vous par l'exemple, l'exemple non unique - car derrière cet exemple, celui du cas de l'homo­sexualité féminine, se profilait celui de Dora - j'ai fait surgir devant vous comme caractéristique structurale de ce rapport du sujet au a, là possibilité essentielle, là relation, on peut dire universelle concernant le a; car à tous les niveaux, vous là retrouverez toujours; et je dirai que c'en est là connotation là plus caractéristique, puisque justement liée à cette fonction de reste. C'est ce que j'ai appelé, emprunté du vocabulaire et de là lecture de Freud, à propos du passage à l'acte qui lui amène son cas d'homosexualité féminine, le laisser-tomber, le niederkommen lassen. -131-

Et vous vous rappelez sans doute que j'ai terminé par cette remarque, qu'étrangement, c'est ce qui, à propos de ce cas, avait marqué la réponse de Freud lui-même à une difficulté tout à fait exemplaire; car dans tout ce que Freud nous a témoigné de son action, de sa conduite, de son expérience, ce laisser-tomber est unique en même temps qu'il est presque, dans son texte si manifeste, si provoquant, que pour certains à la lecture il en devient quasi invisible.

Ce laisser-tomber, c'est le corrélat essentiel, que je vous ai indiqué la der­nière fois, du passage à l'acte. De quel côté est-il vu, ce laisser-tomber, dans le passage à l'acte ? Du côté du sujet, justement. Le passage à l'acte, il est, si vous voulez, dans le fantasme, du côté du sujet, en tant qu'il apparaît au maximum effacé par là barre. C'est au moment du plus grand embarras, avec l'addition comportementale de l'émotion comme désordre du mouve­ment, que le sujet, si l'on peut dire, se précipite de là où il est, du lieu de la scène où, comme sujet fondamentalement historisé seulement il peut se maintenir dans son statut de sujet, qu'il bascule essentiellement hors de la scène; c'est là, là structure même, comme telle, du passage à l'acte.

La femme de l'observation d'homosexualité féminine saute par-dessus la petite barrière qui la sépare du chenal où passe le petit tramway demi-sou­terrain à Vienne; Dora, au moment d'embarras où la met - je vous l'ai fait remarquer depuis longtemps - la phrase piège, le piège maladroit de Monsieur Κ. « Ma femme n'est rien pour moi », passe à l'acte. La gifle, la gifle qui, ici, ne peut exprimer rien d'autre que là plus parfaite ambiguïté, est-ce Monsieur Κ ou Madame Κ qu'elle aime? ce n'est certes pas là gifle qui nous le dira. Mais une telle gifle est un de ces signes, de ces moments cruciaux dans le destin, que nous pouvons voir rebondir, de génération en génération, avec sa valeur d'aiguillage dans une destinée. Cette direction d'évasion de la scène, c'est ce qui nous permet de reconnaître, et, vous ver­rez, de le distinguer de ce quelque chose de tout autre qui est l'acting-out, le passage à l'acte dans sa valeur propre.

Vous en dirai-je un autre exemple combien manifeste? Qui songe à contester cette étiquette de ce qu'on appelle là fugue? Et qu'est-ce qu'on appelle la fugue chez le sujet toujours plus ou moins mis en position infan­tile qui s'y jette, si ce n'est cette sortie de la scène, ce départ vagabond dans -132- le monde pur, où le sujet part à là recherche, à là rencontre de quelque chose de refusé partout? Ι1 se fait mousse, comme on dit; bien sûr, il revient, il retourne; ce peut être l'occasion de se faire mousser; et le départ, c'est bien ce passage de la scène au monde, pour lequel d'ailleurs il était si utile que dans les premières phases de ce discours sur l'angoisse je vous pose cette distinc­tion essentielle des deux registres du monde, l'endroit où le réel se presse à cette scène, et l'Autre où l'homme comme sujet a à se constituer, a à prendre place comme celui qui porte la parole, mais qui ne saurait la porter que dans une structure, si véridique qu'elle se pose, qui est structure de fiction.

Je viendrai, pour vous dire d'abord comment le plus caractéristiquement, ce reste comme tel se fait valoir, à vous parler aujourd'hui et d'abord, je veux dire avant d'aller plus loin dans la fonction de l'angoisse, de l'acting-out. Ι1 peut sans doute vous sembler, sinon étonnant, du moins encore un détour - un détour de plus, n'est-ce pas un détour de trop? - de m'étendre en un discours sur l'angoisse, sur quelque chose qui d'abord semble plutôt de l'ordre de son évitement. Pourtant, observez que vous ne faites que retrouver là ce que déjà a ponctué dans mon discours une inter­rogation au départ essentielle. C'est à savoir, entre le sujet et l'Autre, si l'an­goisse n'est pas le mode de communication si absolu qu'à vrai dire on peut se demander si l'angoisse n'est pas, au sujet et à l'Autre, ce qui est à pro­prement parler commun.

Je mets ici, pour la retrouver plus tard, une petite marque, une pierre blanche, un des traits qui nous fait le plus de difficulté et qu'il nous faut pré­server. C'est qu'aucun discours sur l'angoisse ne peut méconnaître que nous avons à tenir compte du phénomène de l'angoisse chez certains animaux. 

Et, après tout, qu'y a-t-il là, sinon une question, à savoir comment d'un sentiment, peut-être du seul, pou­vons-nous chez l'animal être aussi sûrs ? Car c'est le seul dont nous ne puissions douter quand nous le ren­controns chez l'animal, retrouvant là, sous une forme extérieure, ce carac­tère que j'ai déjà noté que comporte l'angoisse d'être ce quelque chose qui ne trompe pas. -133-  Ayant posé donc le graphique de ce que j'espère aujourd'hui parcourir, j'en rappelle d'abord, concernant ce a vers lequel nous nous avançons par sa relation à l'Autre, au Α, quelques remarques de rappel. Partons de ceci, qui était déjà indiqué dans ce que je vous ai dit jusqu'ici, que l'angoisse - vous le voyez poindre dans ce schéma qui ici reflète tachigraphiquement, je m'en excuse, s'il apparaît du même coup un peu approximatif -l'angoisse point, conformément à ce que nous indique la dernière pensée de Freud, l'angoisse est un signal dans le Moi; s'il est signal dans le Moi, il doit être 1à quelque part, en ce lieu, dans le schéma, du Moi idéal; et s'il est quelque part, je pense avoir déjà suffisamment pour vous amorcé qu'il doit être là, en Χ. C'est un phénomène de bord dans le champ imaginaire du Moi, ce terme de bord étant légitimé à s'appuyer sur l'affirmation de Freud lui-même, que le Moi est une surface, et même, ajoute-t-il, une projection de surface; j'ai rappelé ça en son temps.

Disons donc que c'est une couleur, si je puis dire. Je justifierai plus tard, à l'occasion, l'emploi métaphorique de ce terme de couleur, qui se produit au bord de la surface spéculaire, elle-même inversion, en tant que spéculai­re, de la surface réelle. Car, ici, ne l'oublions pas, c'est une image réelle que nous appelons i(a), et le Moi-Idéal est cette fonction par où le Moi est constitué par la série des identifications, à quoi ? à certains objets, ceux à propos de qui Freud nous propose dans Das Ich und das Es, essentiellement l'ambiguïté de l'identification et de l'amour. Vous savez que cette ambiguï­té, il en souligne le problème comme le laissant, lui Freud, perplexe. Nous ne serons donc pas étonnés que cette ambiguïté, nous ne puissions l'appro­cher nous-mêmes qu'à l'aide des formules mettant à l'épreuve le statut même de notre propre subjectivité dans le discours, entendez dans le dis­cours docte ou enseignant, ambiguïté que désigne le rapport de ce que, dès longtemps, J'ai accentué devant vous à cette place où il convient, comme le rapport de l'être à l'avoir Ce a, objet de l'identification, pour souligner d'un repère, dans les points saillants même de l’œuvre de Freud, c'est l'identification qui est au princi­pe du deuil, par exemple, essentiellement; ce a, objet de l'identification, n'est aussi objet de l'amour que pour autant qu'il est ce a, ce qui fait de l'amant, - pour employer le terme médiéval et traditionnel - ce qui l'ar­rache métaphoriquement, cet amant, à se proposer comme aimable - . Ερομενος, en le faisant Εραστής, sujet du manque, donc ce par quoi il se 134- constitue proprement dans l'amour, ce qui lui donne, si je puis dire, l'ins­trument de l'amour, à savoir, nous y retombons, qu'on aime, qu'on est amant, avec ce qu'on n'a pas. Ce a s'appelle dans notre discours, non seu­lement comme la fonction d'identité algébrique que nous avons précisée l'autre jour, mais, si je puis dire humoristiquement, pour ce que c'est, ce qu'on n'a plus. C'est pourquoi on peut le retrouver par voie régressive sous forme d'identification, c'est-à-dire à l'être, ce a qu'on n'a plus. C'est exac­tement ce qui fait par Freud mettre le terme de régression exactement à ce point où il précise les rapports de l'identification à l'amour. Mais dans cette régression où a reste ce qu'il est, instrument, c'est avec ce qu'on est qu'on peut, si je puis dire, avoir ou pas. C'est avec l'image réelle ici constituée, quand elle émerge, comme i(a), qu'on prend ou non dans l'encolure de cette image ce qui reste, là multiplicité des objets a représentée dans mon schéma par les fleurs réelles prises ou non dans la constitution, grâce au miroir concave du fond, du symbole de quelque chose, disons, qui doit se retrou­ver dans la structure du cortex au fondement d'un certain rapport de l'hom­me à l'image de son corps et aux différents objets constituables de ce corps; les morceaux du corps originel sont ou non pris, saisis au moment où i(a) a l'occasion de se constituer.

C'est pourquoi nous devons saisir qu'avant le stade du miroir, ce qui sera i(a) est 1à, dans le désordre, des petits dont il n'est pas question encore de les avoir ou pas. Et c'est à cela que répond le vrai sens, le sens le plus pro­fond à donner au terme d'auto-érotisme, c'est qu'on manque de soi, si je puis dire, du tout au tout. Ce n'est pas du monde extérieur qu'on manque, comme on l'exprime improprement, c'est de soi-même.

Ici est la possibilité de ce fantasme du corps morcelé que certains d'entre vous ont reconnu, ont rencontré chez les schizophrènes. Ce n'est pas d'ailleurs pour autant nous permettre de décider de son déterminisme, à ce fantasme du corps morcelé. C'est pourquoi j'ai pointé le mérite d'une recherche récente concernant les coordonnées de ce déterminisme des schi­zophrènes, recherche qui ne prétendait pas du tout l'épuiser, mais qui en connotait un des traits en remarquant strictement, et rien de plus, dans l'ar­ticulation de la mère du schizophrène, ce qu'avait été son enfant au moment où il était dans son ventre, rien d'autre qu'un corps diversement commode ou embarrassant, à savoir la subjectivation de a comme pur réel.

Observons encore ce moment, cet état d'avant que surgisse i(a), d'avant 135- la distinction, entre tous les petits a, de cette image réelle par rapport à quoi ils vont être ce reste qu'on a ou qu'on n'a pas. Oui, faisons cette remarque; si Freud nous dit que l'angoisse est ce phénomène de bord, ce signal à la limite du Moi, contre cette autre chose Χ qui, ici, ne doit pas apparaître en tant que a, le reste est abhorré de l'Autre Α, comment se fait-il que le mou­vement de la réflexion, les guides, les rails de l'expérience aient porté les analystes, Rank d'abord, et Freud, sur ce point le suivant, à trouver l'origi­ne de l'angoisse à ce niveau pré-spéculaire, pré-autoérotique, à ce niveau de la naissance où qui donc songerait, personne n'y a songé dans le concert analytique, à parler de la constitution d'un Moi? Ι1 y a là quelque chose qui prouve qu'en effet, s'il est possible de définir l'angoisse comme signal, phé­nomène de bord dans le Moi, quand le Moi est constitué, ce n'est sûrement pas exhaustif. Ceci, nous le retrouvons bien clairement dans un des phéno­mènes les plus connus pour accompagner l'angoisse, ceux que l'on désigne, en les comprenant analytiquement de façon certainement ambiguë à en voir les divergences, car nous aurons à y revenir, ce sont les phénomènes juste­ment les plus contraires à la structure du Moi comme tel, les phénomènes de dépersonnalisation. Ça soulève la question, que nous ne pourrons éviter de situer authentiquement, de là dépersonnalisation.

On sait la place que ce phénomène a pris dans certains repérages propres à un ou plusieurs auteurs de l'École française auxquels j'ai déjà eu à faire référence. Je pense qu'il sera facile de reconnaître les rapports de ces repé­rages à ce que je développe ici, je veux dire à présumer que ces repérages ne sont pas étrangers aux esquisses que j'ai pu préalablement en donner. La notion de la distance, ici presque sensible dans la nécessité que j'ai toujours marquée justement du rapport de cette distance avec l'existence du miroir, ce qui donne à ce sujet cet éloignement de lui-même que là dimension de l'Autre est faite pour lui offrir, mais ce n'est pas non plus pouvoir en conclure qu'aucun rapprocher puisse nous donner la solution d'aucune des difficultés qui s'engendrent de la nécessité de cette distance.

En d'autres termes, ce n'est pas que les objets soient envahissants si je puis dire dans là psychose, qui est ce qui constitue leur danger pour le Moi, c'est la structure même de ces objets qui les rend impropres à la moïsation. C'est ce que j'ai essayé de vous faire saisir à l'aide des références, des méta­phores si vous voulez, mais je crois que cela va plus loin, topologiques, dont je me suis servi en tant qu'elles introduisent la possibilité d'une forme non - 136 - spécularisable dans là structure de certains de ces objets. Disons que, phé­noménologiquement, la dépersonnalisation commence - finissons notre phrase par quelque chose qui semble aller de soi - avec la non-reconnais­sance de l'image spéculaire. Chacun sait combien ceci est sensible dans là clinique, avec quelle fréquence c'est à ne pas se retrouver dans le miroir ou quoi que ce soit qui soit analogue, que le sujet commence à être saisi par la vacillation dépersonnalisante. Mais articulons plus précisément que cette formule qui donne le fait est insuffisante, à savoir que c'est parce que ce qui est vu dans le miroir est angoissant que cela n'est pas proposable à là recon­naissance de l'Autre et que, pour se référer à un moment que j'ai marqué comme caractéristique de cette expérience du miroir comme paradigma­tique de la constitution du Moi Idéal dans l'espace de l'Autre, qu'une rela­tion à l'image spéculaire s'établit, relation telle que l'enfant ne saurait retourner là tête, selon ce mouvement que je vous décris comme familier, vers cet autre, ce témoin, cet adulte qui est là, derrière lui, pour lui commu­niquer son sourire, les manifestations de sa jubilation de quelque chose qui le fait communiquer avec l'image spéculaire, qu'une autre relation s'établit dont il est trop captif pour que ce mouvement soit possible en Χ; ici là rela­tion duelle pure dépossède - ce sentiment de relation de dépossession mar­qué par les cliniciens pour la psychose - dépossède le sujet de cette rela­tion au grand Autre. La spécularisation est étrange, et, comme disent les Anglais, odd, impaire, hors symétrie, c'est le Horla de Maupassant, le hors­ l'espace, en tant que l'espace est là dimension du superposable.

Mais, ici, au point où nous en sommes, il faudrait faire une halte sur ce que signifie cette séparation, cette coupure liée à l'angoisse de là naissance, en tant que quelque chose d'imprécis y subsiste d'où s'engendrent toutes sortes de confusions. Le temps me manque à vrai dire, et je ne peux que l'in­diquer. J'y reviendrai. Sachez pourtant qu'à cette place il convient de faire de grandes réserves concernant là structuration du phénomène de l'angois­se. Donc, il vous suffira de vous reporter au texte de Freud. Freud, vous le verrez, voit la commodité dans le fait qu'au niveau de l'angoisse de la nais­sance se constitue toute une constellation de mouvements principalement vaso-moteurs, respiratoires, dont il dit que c'est là une constellation réelle et que c'est ceci qui sera transporté dans sa fonction de signal, à la façon, nous dit-il, dont se constitue l'accès hystérique, lui-même reproduction de mou­vements hérités pour l'expression de certains moments émotionnels. 137 -  Assurément, ceci est tout à fait inconcevable en raison justement de ce fait qu'il est impossible de situer au départ cette complexité dans un rapport avec le Moi qui lui permette de servir comme signal au Moi par la suite, sinon par l'intermédiaire de ce que nous avons à chercher de structural dans le rapport de i(a) avec ce a.

Mais alors la séparation caractéristique au départ, celle qui nous permet d'aborder, de concevoir le rapport, n'est pas la séparation d'avec la mère. La coupure dont il s'agit n'est pas celle de l'enfant d'avec la mère. La façon dont l'enfant originellement habite la mère pose tout le problème du carac­tère des rapports de l’œuf avec le corps de la mère chez les mammifères. Vous savez qu'il y a toute une face par où il est, par rapport au corps de la mère, corps étranger, parasite, corps incrusté par les racines villeuses de son chorion dans cet organe spécialisé pour le recevoir, l'utérus, avec la muqueuse duquel il est dans une certaine intrication. La coupure qui nous intéresse, celle qui porte sa marque dans un certain nombre de phénomènes reconnaissables cliniquement et pour lesquels donc nous ne pouvons pas l'éluder, c'est une coupure qui, Dieu merci pour notre conception, est beau­coup plus satisfaisante que là coupure de l'enfant qui naît, au moment où il tombe dans le monde avec quoi? avec ses enveloppes. Et je n'ai qu'à vous renvoyer à n'importe quel bouquin qui date de moins de 100 ans dans l'em­bryologie pour que vous puissiez y saisir que, pour avoir une notion com­plète de cet ensemble pré-spéculaire qu'est a, il faut que vous considériez les enveloppes comme éléments du corps. C'est à partir de l’œuf que les enve­loppes sont différenciées, et vous y verrez très curieusement qu'elles le sont, d'une façon telle qu'elles illustrent - je vous fais assez confiance après nos travaux de l'année dernière autour du cross-cap pour que vous retrouviez très simplement à quel point, sur les schémas illustrant ces cha­pitres de l'embryologie sur l'enveloppe vous pouvez voir se manifester toutes les variétés de cet intérieur à l'extérieur, de cet externe dans lequel flotte le fœtus, lui-même enveloppé dans son amnios, la cavité amniotique elle-même étant enveloppée dans un feuillet ectodermique et présentant vers l'extérieur sa face en continuité avec l'endoblaste - bref, l'analogie de ce qui est détaché, avec la coupure entre l'embryon et ses enveloppes, avec, sur le cross-cap, cette séparation d'un certain énigmatique sur lequel J'ai insisté, est là, sensible. Et si nous devons le retrouver par la suite, je pense que je l'aurai aujourd'hui suffisamment indiqué pour cela. Ι1 nous reste à 138 - faire donc aujourd'hui ce que je vous ai annoncé, concernant ce qu'indique l'acting-out, de ce rapport essentiel du avec le Α.

Α l'opposé du passage à l'acte, tout ce qui est acting-out est présent avec certaines caractéristiques qui vont nous permettre de l'isoler. Le rapport profond, nécessaire, de l'acting-out avec ce a, c'est là dans quoi je désire vous mener en quelque sorte par la main, pour ne pas vous laisser tomber. Observez d’ailleurs dans vos repérages cliniques à quel point « se tenir par la main pour ne pas laisser tomber », est tout à fait essentiel d'un certain type de relations du sujet avec quelque chose que, quand vous rencontrerez ceci, vous pouvez absolument désigner comme étant pour lui un a. Ça fait des unions d'un type très répandu qui n'en sont pas pour cela plus com­modes à manier car, aussi bien, le a dont il s'agit peut être pour le sujet le surmoi le plus incommode.

Le type de mère que nous appelons, non sans propriété, mais sans savoir absolument ce que nous voulons dire, femme phallique, je vous conseille la prudence avant d'en appliquer l'étiquette. Mais si vous avez affaire à quel­qu'un qui vous dit qu'à mesure même qu'un objet lui est plus précieux, inexplicablement il sera atrocement tenté de ne pas, cet objet, le retenir dans une chute, s'attendant à je ne sais quoi de miraculeux de cette sorte de catas­trophe, et que l'enfant le plus aimé est justement celui qu'un jour elle a lais­sé inexplicablement tomber. Vous savez que dans là tragédie grecque - ceci n'ayant pas échappé à la perspicacité de Giraudoux - c'est là le plus pro­fond grief d'Electre à l'endroit de Clytemnestre, c'est qu'un jour elle 1'a laissée de ses bras tomber. Alors là, vous pouvez faire l'identification de ce qu'il convient d'appeler en l'occasion une mère phallique. Ι1 y a sans doute d'autres modes; nous disons que celui-là nous paraît le moins trompeur.

Et entrons maintenant dans l'acting-out. Dans le cas d'homosexualité féminine de Freud, si là tentative de suicide est un passage à l'acte, je dirai que toute l'aventure avec la dame de réputation douteuse, qui est portée à la fonction d'objet suprême, est un acting-out. Si là gifle de Dora est un pas­sage à l'acte, je dirai que tout le comportement paradoxal, que Freud découvre tout de suite avec tellement de perspicacité, de Dora dans le ména­ge des Κ. est un acting-out. L'acting-out, c'est quelque chose, dans la conduite du sujet, essentiellement qui se montre. L'accent démonstratif, l'orientation vers l'Autre de tout acting-out est quelque chose qui doit être relevé. 139 - 

Dans le cas d'homosexualité féminine, Freud y insiste, c'est aux yeux de tous, c'est dans la mesure même, et d'autant plus que cette publicité devient scandaleuse que là conduite de la jeune homosexuelle s'accentue. Et ce qui se montre, quand on avance pas à pas, se montre essentiellement comme autre, autre que ça n'est, ce que ça est personne ne le sait, mais que ce soit autre personne n'en doute.

Ce que ça est, dans le cas de la jeune homosexuelle, Freud le dit quand même : « Elle aurait voulu un enfant du père », nous dit-il. Mais si vous vous contentez de ça, c'est que vous n'êtes pas difficile, parce que cet enfant n'a rien à faire avec un besoin maternel. C'est bien pour cela que tout à l'heure, je tenais au moins à indiquer la problématique du rapport de l'en­fant à la mère. Contrairement à tout le glissement de toute la pensée analy­tique, il convient de mettre, par rapport au courant principal élaboré, l'élu­cidation du désir inconscient dans un rapport, si je puis dire, en quelque sorte latéral. Ι1 y a dans ce rapport normal de la mère à l'enfant, en tout cas dans ce que nous pouvons en saisir par son incidence économique, quelque chose de plein, quelque chose de rond, quelque chose de fermé, quelque chose justement d'aussi complet pendant la phase gestatoire que l'on peut dire qu'il nous faut des soins tout à fait spéciaux pour le faire rentrer, pour voir comment son incidence s'applique à ce rapport de coupure de i(a) à a. Et après tout, il ne nous suffit que de notre expérience du transfert et de savoir à quel moment de nos analyses nos analysées tombent enceintes et à quoi ça leur sert, pour savoir parfaitement que c'est toujours le rempart d'un retour au plus profond narcissisme.

Mais laissons cela. Cet enfant, la jeune homosexuelle, c'est bien comme autre chose qu'elle a voulu l'avoir. Et aussi bien cette chose n'échappe pas, Dieu merci, à Freud, elle a voulu cet enfant comme phallus, c'est-à-dire, comme la doctrine l'énonce dans Freud de la façon la plus développée, comme substitut, ersatz de quelque chose qui tombe alors à plein dans notre dialectique de là coupure et du manque, du comme chu, du comme manquant. C'est ce qui lui permet, ayant échoué dans là réalisation de son désir, de le réaliser à la fois autrement et de la même façon, comme ερων. Elle se fait amant; en d'autres termes, elle se pose dans ce qu'elle n'a pas, le phallus, et pour bien montrer qu'elle l'a, elle le donne. C'est en effet une façon tout à fait démonstrative. Elle se comporte, nous dit Freud, vis­-à-vis de la Dame avec un grand D, comme un cavalier servant, comme un - 140 - homme, comme celui qui peut lui sacrifier ce qu'il a, son phallus.

Alors combinons ces deux termes, du montrer, du démontrer, et du désir, sans doute un désir dont l'essence, la présence, est d'être, de se montrer comme autre, et se montrant comme autre, pourtant, ainsi, de se désigner. Dans l'acting-out, nous dirons donc que le désir, pour s'affirmer comme vérité, s'engage dans une voie où, sans doute, il n'y parvient que d'une façon singulière. Et nous savons déjà par notre travail ici que d'une certaine façon, on peut dire que la vérité n'est pas de sa nature, à ce désir. Si nous nous rap­pelons la formule qu'essentiellement « il n'est pas articulahle encore qu'il soit articulé », nous serons moins étonnés du phénomène devant lequel ici nous sommes. Et je vous ai donné un chaînon de plus, il est articulé objec­tivement si cet objet qu'ici le désigne, c'est ce que j'ai appelé la dernière fois l'objet comme sa cause.

L'acting-out essentiellement, c'est la monstration, le montrage, voilé sans doute, mais qui n'est voilé que pour nous, comme sujet, en tant que ça parle, en tant que ça pourrait faire vrai, non pas voilé en soi, visible au contraire au maximum, et pour cela, pour cela même, dans un certain registre, invi­sible. Montrant sa cause, c'est ce reste, c'est sa chute, c'est ce qui tombe dans l'affaire qui est l'essentiel de ce qui est montré. 

 

Entre le sujet ici, si je puis dire, Autrifie dans sa structure de fiction et l'autre non authentifiable, ce qui surgit, c'est ce reste a, c'est la livre de chair $ en A, ce qui veut dire, je pense que vous savez ce que je cite, qu'on peut faire tous les emprunts qu'on veut pour boucher les trous du désir et de la mélan­colie, il y a là le juif qui, lui, en sait un bout sur la balance des comptes, et qui demande à la fin la livre 

de chair. C'est là le trait que vous retrouvez toujours dans ce qui est acting-out. Rappelez-vous un point de ce qu'il m'est arrivé d'écrire, de mon Rapport sur la direction de la cure, où je parle de l'observation d'Ernst Kriss à propos du cas de plagiarisme. Ernst Kriss, parce qu'il était dans une cer­taine voie que nous aurons peut-être à nommer, veut le réduire par les moyens de la vérité; il lui montre de la façon la plus irréfutable qu'il n'est pas plagiaire; il a lu son bouquin, son bouquin est bel et bien original, c'est au contraire les autres qui l'ont copié. Le sujet ne peut pas le contester. Seulement, il s'en fout. Et en sortant, qu'est-ce qu'il va faire ? Comme vous - -141- le savez - je pense qu'il y a tout de même quelques personnes, une majo­rité, qui lisent de temps en temps ce que j'écris -, il va bouffer des cervelles fraîches. Je ne suis pas en train de rappeler le mécanisme du cas. Je vous apprends à reconnaître un acting-out, et ce que ça veut dire, ce que je désigne comme le petit a ou là livre de chair.

Avec les cervelles fraîches, le patient simplement fait signe à Ernst Kriss. « Tout ce que vous dites est vrai, simplement ça ne touche pas à 1a question; il reste les cervelles fraîches. Pour bien vous le montrer, Je vais aller en bouf­fer en sortant pour vous le raconter à 1a prochaine séance ». J'insiste. On ne saurait en ces matières, aller trop lentement. Vous allez me dire, qu'est-ce que ça a d'original? Vous allez me dire, enfin, je fais les demandes et les réponses, je ne l'espère pas, mais comme vous pourriez me le dire quand même, si je ne l'ai pas assez accentué : « Qu'est-ce que ça a d'original, cet acting-out et cette démonstration de ce désir inconnu ? Le symptôme, c'est pareil. L'acting-out, c'est un symptôme qui se montre comme autre, lui aussi, là preuve, c'est qu'il doit être interprété ». Bon, alors, mettons bien les points sur les i. Vous savez qu'il ne peut pas l'être, interprété directement, le symptôme, qu'il y faut le transfert, c'est-à-dire l'introduction de l'Autre. Vous ne saisissez peut-être pas bien encore. Alors vous allez me dire

« Bien, oui, c'est ce que vous êtes en train de nous dire de l'acting-out ». Non, ce dont il s'agit là, c'est de vous dire qu'il n'est pas essentiellement de la nature du symptôme de devoir être interprété; il n'appelle pas l'interpré­tation comme l'acting-out, contrairement à ce que vous pourriez croire. Ι1 faut bien le dire d'ailleurs, l'acting-out appelle l'interprétation et la question que je suis en train de poser, c'est de savoir si elle est possible. Je vous mon­trerai que oui. Mais c'est en balance dans la pratique comme dans la théorie analytique.

Dans l'autre cas, il est clair que c'est possible, mais à certaines conditions qui se surajoutent au symptôme, à savoir que le transfert soit établi dans sa nature; le symptôme n'est pas, comme l'acting-out, appelant l'interpréta­tion. Car, on l'oublie trop, ce que nous découvrons dans le symptôme, dans son essence, n'est pas appel, dis-je, à l'Autre, il n'est pas ce qui montre à l'Autre, que le symptôme dans sa nature est jouissance, ne l'oubliez pas, jouissance fourrée, sans doute, untergebliebene Befriedigung. Le symptôme n'a pas besoin de vous comme l'acting-out, il se suffit. Ι1 est de l'ordre de ce que je vous ai appris à distinguer du désir, comme étant là jouissance, c'est- 142- à-dire qu'il va, lui, vers la Chose ayant passé là barrière du Bien référence à mon séminaire sur l'Éthique, c'est-à-dire du principe du plaisir, et c'est pourquoi cette jouissance peut se traduire par un Unlust. Tout ceci, ce n'est pas moi, non seulement qui l'invente, mais ce n'est pas moi qui l'articule, c'est dit dans ces propres termes dans Freud, Unlust, déplaisir, pour ceux qui n'ont pas encore entendu ce terme en allemand.

Alors, revenons sur l'acting-out. Α la différence du symptôme, l'acting-out, lui, c'est l'amorce du transfert. C'est le transfert sauvage. Ι1 n'y a pas besoin d'analyse, vous vous en doutez, pour qu'il y ait transfert. Mais le transfert sans analyse, c'est l'acting-out; l'acting-out sans analyse, c'est le transfert. Ι1 en résulte qu'une des questions à poser, c'est, concernant l'or­ganisation du transfert, j'entends l'organisation, là Handlung du transfert, de demander comment le transfert sauvage on peut le domestiquer, com­ment on fait entrer l'éléphant sauvage dans l'enclos, ou le cheval, comment on le met au rond, là où on le fait tourner, dans le manège.

C'est une des façons de poser le problème du transfert qui serait bien utile à poser par ce bout, parce que c'est la seule façon de savoir comment agir avec l'acting-out. Aux personnes qui auront à s'intéresser prochaine­ment à l'acting-out, je signale l'existence, dans le Psychoanalytic Quarterly, de l'article de Phillis Greenacre, General Problems of acting-out. C'est dans le n° IV du volume 19 de 1950, et ce n'est donc pas introuvable. C'est un article bien intéressant à divers titres, pour moi évocateur d'un souvenir; c'était au temps déjà éloigné d'une dizaine d'années, où nous avions reçu la visite déjà de quelques enquêteurs. Phillis Greenacre, qui en faisait partie, me fut l'occasion d'observer un bel acting-out, à savoir là masturbation fré­nétique à laquelle elle se livra devant mes yeux d'une petite pêcheuse de moules japonaise qui était en ma possession et qui en porte encore les traces, je parle de cet objet. Je dois dire que cela a fourni l'occasion d'une conver­sation très agréable, bien meilleure que celle scandée de divers passages à l'acte, parmi lesquels, par exemple, des sauts qui la portaient presque au niveau du plafond, que j'ai eu avec Madame. Donc, cet article sur General Problems of acting-out, sur lequel il y a des remarques très pertinentes, encore que, vous le verrez, ceux qui le liront, elles gagnent à être éclairées des lignes originelles que j'essaie de dessiner devant vous. La question est de savoir comment agir avec l'acting-out. Ι1 y en a trois, dit-elle. Ι1 a l'interpréter, il a l'interdire, il y a renforcer le Moi.- 143- 

L'interpréter ne fait pas grande illusion. C'est une femme très très bien, Phillis Greenacre. L'interpréter, avec ce que je viens de vous dire, est promis à peu d'effet, si je puis dire, ne serait-ce que parce que c'est pour ça qu'il est fait, l'acting-out. Quand vous regardez les choses de près, la plupart du temps vous vous apercevez que le sujet sait fort bien que ce qu'il fait, c'est pour s'offrir à votre interprétation dans l'acting-out. Seulement voilà, ce n'est pas le sens de ce que vous interpréterez qui compte, quel qu'il soit, c'est le reste. Alors, pour cette fois au moins, sans addition, c'est l'impasse. C'est très intéressant de s'attarder à scander les hypothèses.

L'interdire, naturellement, ça fait sourire, même l'auteur lui-même, qui dit quand même: on peut faire bien des choses, mais dire au sujet, pas d ac­ting-out, voilà qui est tout de même difficile. Personne n'y songe d'ailleurs. Tout de même, à ce propos, on observe ce qu'il y a toujours de prohibition préjudiciable dans l'analyse. Beaucoup de choses évidemment sont faites pour éviter les acting-out en séance. Puis on leur dit de ne pas prendre de décisions essentielles pour leur existence pendant l'analyse. Pourquoi est-ce qu'on fait tout cela? Enfin, c'est un fait que là où on a de la prise a un cer­tain rapport avec ce qu'on peut appeler le danger, soit pour le sujet, soit pour l'analyste. En fait, on interdit beaucoup plus qu'on ne croit. Si je dis, ce que j'illustrerai volontiers, ce que je viens de dire, c'est que essentielle­ment, et parce que nous sommes médecins, et parce que nous sommes bons, comme dit je ne sais plus qui, on ne veut pas qu'il se fasse bobo, le patient qui vient se confier à nous. Et le plus fort, c'est qu'on y arrive.

L'acting-out, c'est le signe quand même qu'on en empêche beaucoup. Est-ce que c'est là ce dont il s'agit, quand Madame Greenacre parle de lais­ser s'établir plus solidement un vrai transfert? Ce que je voudrais ici faire remarquer, c'est un certain côté qu'on ne voit pas de l'analyse, c'est son côté assurance-accident, assurance-maladie, car c'est très drôle quand même, combien les maladies de courte durée sont rares pendant les analyses, com­bien, dans une analyse qui se prolonge un peu, les rhumes, les grippes, tout ça s'efface, et même quant aux maladies de longue durée; enfin, s'il y avait plus d'analyses dans la société, je pense que les assurances sociales, comme les assurances sur la vie, devraient tenir compte de la proportion d'analyses dans la population pour modifier leurs tarifs.

Inversement, quand ça arrive, l'accident - l'accident, je ne parle pas sim­plement de l'acting-out - c'est mis au compte de l'analyse très régulièrement 144 par le patient et par l'entourage, c'est mis au compte de l'analyse en quelque sorte par nature. Ils ont raison, c'est un acting-out, donc ça s'adresse à l'Autre. Et si on est analyste, donc ça s'adresse à l'analyste. S'il a pris cette place, tant pis pour lui. Ι1 a quand même la responsabilité qui appartient à cette place qu'il a accepté d'occuper.

Ces questions sont peut-être faites pour vous éclairer sur ce que je veux dire quand je parle du désir de l'analyste et quand j'en pose la question. Sans m'arrêter un instant à la question qui fait basculer, la question de la façon dont nous domestiquons le transfert, - car vous voyez que je suis en train de dire que ce n'est pas simple, et que c'est ce contre quoi je me suis tou­jours opposé, à savoir qu'il s'agit ici de renforcer le Moi - de l'aveu même de ceux qui s'y sont engagés dans cette voie, depuis beaucoup plus qu'une décade et plus exactement depuis tellement de décades qu'on commence à en parler moins maintenant, ceci ne peut vouloir dire que ce qui est, dans une littérature, mener le sujet à l'identification, non pas à cette image comme reflet du Moi idéal dans l'Autre, mais au moi de l'analyste avec ce résultat que nous décrit Balint, soit la crise terminale, véritablement maniaque, qu'il nous décrit comme étant celle de la fin d'une analyse ainsi caractérisée, et qui représente l'insurrection du a qui est resté absolument intouché.

Alors, revenons à Freud et à l'observation du cas d'homosexualité fémi­nine, à propos duquel nous avons toutes sortes de notations tout à fait admirables, car en même temps qu'il nous dit qu'il est tout à fait clair que rien ici ne désigne que quelque chose se produit qui s'appelle le transfert, il dit en même temps, et dès cette époque, et dès ce cas que désigne je ne sais quelle pointe aveugle dans sa position, il dit quand même qu'il n'est pas question de s'arrêter un instant à cette hypothèse qu'il n'y a pas de trans­fert.

C'est tout à fait méconnaître ce qu'il en est de là relation du transfert. Nous le trouvons, dans ce discours de Freud sur son cas d'homosexualité féminine, expressément formulé. Il n'en reste pas moins que Freud, le jour où il a eu une patiente qui, là chose est articulée comme telle, qui lui men­tait en rêve, car c'est comme ça que Freud caractérise le cas, l'αγαλμα, le précieux de ce discours sur l'homosexualité féminine, c'est que Freud s'ar­rête un instant, estomaqué, devant ceci - lui aussi fait les demandes et les réponses -, il dit : « Alors quoi, l'inconscient peut mentir? », car les rêves,

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vous le savez, de cette patiente, marquent tous les jours de plus grands pro­grès vers le sexe auquel elle est destinée. Freud n'y croit pas un seul instant, et pour cause!, car là malade qui lui rapporte ses rêves lui dit en même temps: « Mais oui, bien sûr, ça va me permettre de me marier, et ça me per­mettra en même temps, de plus belle, de m'occuper des femmes ». Donc, elle lui dit elle-même qu'elle ment. Et d'ailleurs Freud n'en doute pas. C'est justement l'absence de toute apparence de relation de transfert. Mais à quoi s'arrête-t-il alors, cet inconscient, que nous avons l'habitude de considérer comme étant le plus profond, là vérité vraie ? Lui, peut donc nous tromper? Et c'est ce autour de quoi tourne tout son débat, c'est autour de cette Zutrauen, de cette confiance à faire, pouvons-nous la conserver? dit-il. Ι1 l'affirme dans une phrase qui est très caractéristique parce qu'elle est telle­ment elliptique et concentrée, qu'elle a ce caractère presque de trébuche­ment de parole; il s'agit bien, je vous relirai la phrase, je ne l'ai pas appor­tée là, je l'apporterai là prochaine fois, elle est très belle, il s'agit toujours d'un accrochage.

Cet inconscient mérite toujours la confiance. Le discours du rêve, nous dit-il, est autre chose que l'inconscient; il est fait par un désir venant de l'in­conscient, mais il admet du même coup que c'est ce désir qui s'exprime, jus­qu'à, lui, le formuler; c'est donc alors que le désir vient de quelque chose, et venant de l'inconscient, et que c'est ce désir qui s'exprime par ces men­songes. Elle lui dit, elle-même, que ses rêves sont menteurs. Ce devant quoi Freud s'arrête, est le problème de tout mensonge symptomatique. Voyez ce qu'est le mensonge chez l'enfant, c'est ce que le sujet veut dire en mentant. L'étrange, c'est que Freud laisse tomber devant ce grippage de tous les rouages, il ne s'intéresse pas à ce qui les fait justement gripper, c'est-à-dire le déchet, le petit reste, ce qui vient tout arrêter et qui est là ce qui vient en question. Sans voir de quoi il est embarrassé, il est ému, comme il le montre assurément, devant cette menace à la fidélité de l'inconscient il passe à l'ac­te. C'est le point où Freud refuse de voir dans la vérité qui est sa passion la structure de fiction comme à l'origine.

Où il n'a pas assez médité sur ce sur quoi, parlant de fantasme, j'avais porté l'accent devant vous dans un discours récent sur le paradoxe d'Epi­ménide, sur le je mens et sa parfaite recevabilité, pour autant que ce qui ment, c'est le désir dans le moment où, s'affirmant comme désir, il livre le sujet à cette annulation logique sur quoi s'arrête le philosophe quand il voit - 146 - la contradiction du je mens. Mais, après tout, ce que Freud manque là, nous le savons, c'est ce qui manque dans son discours. C'est ce qui est toujours resté pour lui à l'état de question : Que veut une femme ?. L'achoppement de la pensée de Freud sur quelque chose que nous pouvons appeler provi­soirement..., ne me faites pas dire que la femme est menteuse en tant que telle, mais que la féminité se dérobe et que quelque chose y soit de ce biais.

Pour employer des termes du liquide, cette douceur fluente, quelque chose devant quoi Freud a failli périr étouffé de cette promenade nocturne que sa fiancée, le jour même où ils échangeaient les deux derniers vœux, fit avec un vague cousin, - je ne me rappelle plus bien, je n'ai plus regardé la bibliographie, je l'appelle un vague cousin, c'est n'importe quoi d'autre, c'est un de ces godelureaux à l'avenir, comme on dit, assuré, ce qui veut dire qu'ils n'en ont aucun, - avec lequel il a découvert, peu après, qu'elle avait fait une petite balade, et c'est là qu'est le point aveugle, Freud veut qu'elle lui dise tout. La femme, eh! bien, elle l'a faite, la talking cure et pour le chimney-weeping, on a bien ramoné! Pendant un certain temps, on ne s'est pas entêté là-dedans; l'important, c'est d'être ensemble dans la même che­minée. La question, quand on en sort - vous le savez, elle a été rappelée à la fin d'un de mes articles, la question empruntée au Talmud - quand on sort ensemble d'une cheminée, lequel des deux va-t-il aller se débar­bouiller? Oui, je vous conseille de relire cet article, et pas seulement celui-là, mais aussi celui que j'ai fait sur La Chose Freudienne. La Chose freu­dienne - vous pourrez l'y voir désignée, si j'ose dire avec quelque accent - c'est cette Diane que je désigne comme montrant la suite de cette chasse qui continue. La Chose freudienne, c'est ce que Freud a laissé tomber, mais c'est elle encore qui emmène, sous la forme de nous tous, toute la chasse après sa mort. Nous continuerons cette poursuite la prochaine fois.

 




Leçon VIII 16 janvier 1963, séminaire l'angoisse

Je voudrais arriver à vous dire aujourd'hui un certain nombre de choses sur ce que je vous ai appris à désigner par l'objet a, cet objet vers lequel nous oriente l'aphorisme que j'ai promu là dernière fois concernant l'an­goisse, qu'elle n'est pas sans objet. C'est pour cela que l'objet vient cette année au centre de notre propos. Et si effectivement il s'inscrit dans le cadre de ce dont j'ai pris le titre comme étant l'angoisse, c'est justement en raison de ceci que c'est essentiellement par ce biais qu'il est possible d'en parler, ce qui veut dire encore que l'angoisse est sa seule traduction subjective. Si a qui vient ici a pourtant été introduit dès longtemps et, dans cette voie qui vous l'amène, s'est donc annoncé ailleurs, il s'est annoncé dans là formule du fan­tasme $ D a, désir de a, ceci est là formule du fantasme en tant que support du désir.

Mon premier point sera donc de rappeler, d'articuler, d'ajouter une pré­cision de plus certainement pour ceux qui m'ont ouï, non impossible à conquérir par eux-mêmes, encore que le souligner aujourd'hui ne me semble pas inutile; au premier point - j'espère arriver jusqu'à un point autre - et pour préciser cette fonction de l'objet en tant que nous là défi­nissons analytiquement comme objet du désir, le mirage issu d'une pers­pective qu'on peut dire subjectiviste, je veux dire qui, dans là constitution de notre expérience, met tout l'accent sur là structure du sujet. Cette ligne d'élaboration que là tradition philosophique moderne a porté à son point le plus extrême, disons aux alentours de Husserl, par le dégagement de là fonction de l’intentionnalité, c'est ce qui nous fait captifs d'un malentendu, 115- concernant ce qu'il convient d'appeler l'objet du désir. L'objet du désir ne peut être conçu à là façon dont on nous enseigne qu'il n'est nul noème, nulle pensée de quelque chose qui ne soit tournée vers quelque chose, seul point autour duquel peut tourner l'idéalisme dans sa voie vers le Réel.

Est-ce qu'il en est ainsi concernant le désir? Pour ce niveau de notre oreille qui existe chez chacun et qui a besoin d'intuition, je dirai : « Est-ce que l'objet du désir est en avant ? » C'est là le mirage dont il s'agit et qui a stérilisé tout ce qui dans l'analyse a entendu s'avancer dans le sens dit de là relation d'objet. C'est pour le rectifier que j'ai déjà passé par bien des voies. C'est une nouvelle façon d'accentuer cette rectification que je vais vous avancer maintenant. Je ne là ferai pas aussi développée qu'il conviendrait sans doute, réservant, je l'espère, cette formulation pour quelque travail qui pourra vous parvenir par une autre voie. Je pense qu'à là plupart des oreilles, il sera suffisant d'entendre les formules massives par lesquelles je crois pouvoir me contenter d'accentuer aujourd'hui ce point que je viens d'introduire.

Vous savez combien, dans le progrès de l'épistémologie, l'isolement de là notion de cause a produit de difficultés. Ce n'est pas sans une succession de réductions qui finissent par l'amener à là fonction là plus ténue et là plus équivoque que là notion de cause a pu se maintenir dans le développement de ce qu'au sens le plus large nous pouvons appeler notre physique.

Il est clair d'autre part que, à quelque réduction qu'on là soumette, là fonction, si l'on peut dire, mentale de cette notion ne peut être éliminée, réduite à une sorte d'ombre métaphysique. Nous pensons bien qu'il y a quelque chose dont c'est trop peu dire que ce soit un recours à l'intuition qui le fasse subsister, qui reste autour de cette fonction de là cause; et je pré­tends que c'est à partir du réexamen que nous pourrions en faire, à partir de l'expérience analytique, que toute Critique de la Raison Pure, mise au jour de notre science, pourrait rétablir un juste statut de là cause.

J'ose à peine dire, pour l'introduire - car après tout, ce que je vais for­muler n'est là que fait de discours et à peine ancré dans cette dialectique - je dirai donc, pour fixer notre visée, ce que j'entends vous faire entendre.

1 L'objet, l'objet a, cet objet qui n'est pas à situer dans quoi que ce soit d'ana-    i logue à l'intentionalité d'un noème qui n'est pas dans l'intentionalité du

désir, cet objet doit par nous être conçu comme là cause du désir, et pour reprendre ma métaphore de tout à l'heure, l'objet est derrière le désir. 116- 

C'est de cet objet que surgit cette dimension dont l'omission, dont l'éli­sion, dont l'élusion dans la théorie du sujet a fait l'insuffisance jusqu'à pré­sent de toute cette coordination dont le centre se manifeste comme théorie de la connaissance, gnoséologie. Aussi bien cette fonction de l'objet, dans la nouveauté topologique structurale qu'elle exige, est-elle parfaitement sen­sible dans les formulations de Freud, et nommément dans celles concernant la pulsion.

Qu'il me suffise pour - si vous voulez le contrôler sur un texte, je vais vous renvoyer à cette XXXIIe leçon de l'Introduction à la psychanalyse, celle qui est trouvable dans ce qu'on appelle la nouvelle série des Vorlesungen, celle que je citai la dernière fois - il est clair que la distinction entre le Ziel, le but de la pulsion et l'objet est quelque chose de bien diffé­rent de ce qui s'offre d'abord à la pensée, que ce but et cet objet seraient à la même place. Et les énonciations de Freud que vous trouverez à cette place, à la leçon que je vous désigne, emploient des termes bien frappants dont le premier est le terme de eingeschoben; l'objet se glisse là-dedans, passe quelque part, c'est le même mot qui sert pour la Verschiebung qui désigne le déplacement, l'objet dans sa fonction essentielle de ce quelque chose qui se dérobe dans le niveau de saisie qui est proprement le nôtre est là comme tel pointé.

D'autre part, il y a, à ce niveau, l'opposition expresse des deux termes äußeres, externe, extérieur, et inneres, intérieur. Il est précisé que l'objet sans doute est à situer äußeres, dans l'extérieur, et d'autre part que la satisfaction de la tendance ne trouve à s'accomplir que pour autant qu'elle rejoint quelque chose qui est à considérer dans l'Inneres, l'intérieur du corps, c'est là qu'elle trouve sa Befriedigung, sa satisfaction. C'est là aussi vous dire que ce que j'ai introduit pour vous, comme fonction topologique, nous sert à formuler de façon claire que ce qu'il convient d'introduire ici pour résoudre cette impasse, cette énigme, c'est la notion d'un extérieur d'avant une certaine intériorisation; de l'extérieur qui se situe ici, en avant que le sujet au lieu de l'Autre, se saisisse en X dans cette forme spéculaire qui intro­duit pour lui la distinction du moi et du non-moi. -117-

C'est à cet extérieur, à ce lieu de l'objet d'avant toute intériorisation qu'appartient - si vous voulez bien essayer de reprendre là notion de cause - que cette notion de cause, vous dis-je, appartient.

Je vais l'illustrer immédiatement de là façon là plus simple à là faire entendre à vos oreilles; car aussi bien m'abstiendrai-je aujourd'hui de faire de là métaphysique. Pour l'imager, ce n'est pas hasard que je me servirai du fétiche comme tel, où se dévoile cette dimension de l'objet comme cause du désir. Car ne n'est pas le petit soulier, ni le sein, ni quoi que ce soit où vous incarniez le fétiche, qui est désiré; mais le fétiche cause le désir qui s'en va s'accrocher où il peut, sur celle dont il n'est pas absolument nécessaire que ce soit elle qui porte le petit soulier, le petit soulier peut être dans ses environs; il n'est même pas nécessaire que ce soit elle qui porte le sein, le sein peut être dans là tête. Mais, ce que tout un chacun sait, c'est que, pour le fétichiste, il faut que le fétiche soit là, qu'il est là condition dont se soutient le désir.

Et j'indiquerai ici, en passant, ce terme, je crois peu usité en allemand et que les traductions vagues que nous avons en français, laissent tout à fait échapper, c'est, quand il s'agit de l'angoisse, le rapport que Freud indique avec là Libidohaushaltl. Nous avons là à faire à un terme qui est entre Aushaltung qui indiquerait quelque chose de l'ordre de l'interruption, de là levée, et Inhalt qui serait le contenu. Ce n'est ni l'un ni l'autre; c'est le sou­tien de là libido. Pour tout dire, ce rapport à l'objet dont je vous parle aujourd'hui, c'est ici dirigé, indiqué d'une façon qui permet de faire là syn­thèse entre là fonction de signal de l'angoisse et son rapport quand même avec quelque chose que nous pouvons appeler, dans les soutiens de là libi­do, une interruption.

Nous allons y revenir puisque c'est là l'un des points que j'entends avan­cer devant vous aujourd'hui. Supposant m'être suffisamment fait entendre par cette référence au fétiche, sur cette différence maxima qu'il y a de deux perspectives possibles concernant l'objet comme objet du désir, dans une précision de ce dont il s'agit, quand je mets d'abord dans une précession essentielle, je l'illustrerai un peu plus avant. Toute là suite de notre discours ne cessera de l'illustrer toujours plus avant. Mais déjà je veux vous faire entendre bien ce dont il s'agit, où va nous conduire notre recherche, c'est que c'est au lieu même où votre habitude mentale vous indique de chercher le sujet; ce quelque chose qui malgré vous se profile comme tel comme sujet à là place où par exemple Freud indique là source de là tendance, enfin là où il 118- y a ce que, dans le discours, vous articulez comme étant vous, là où vous dites je, c'est là, à proprement parler, qu'au niveau de l'inconscient se situe a. A ce niveau, vous êtes a, l'objet, et chacun sait que c'est là ce qui est into­lérable et pas seulement au discours lui-même, qui après tout le trahit. Je vais tout de suite l'illustrer par une remarque destinée à introduire quelque déplacement, quelque ébranlement même concernant les ornières où vous êtes habitués à laisser les fonctions dites du sadisme et du masochisme, comme s'il ne s'agissait là que du registre d'une sorte d'agression imma­nente et de sa réversibilité.

C'est justement dans la mesure où il convient d'entrer dans leur structu­re subjective que vont apparaître les traits de différence dont l'essentiel est celui que je vais désigner maintenant. Si le sadisme peut s'imager, dans une forme qui n'est qu'un schéma abrégé des mêmes distinctions qu'organise le graphe, en une formule à quatre som­mets du type de celle qu'ici je désigne, nous avons ici le côté de A, de l'Autre, et ici celui, disons, du sujet S, de ceje encore inconstitué, de ce sujet justement à interroger, à réviser à l'intérieur de notre expérience, dont nous savons seulement qu'il ne saurait, en aucun cas, coïncider avec la formule traditionnelle du sujet, à savoir ce qu'il peut avoir d'exhaustif dans tout rap­port avec l'objet.

Si quelque chose est là, qui s'appelle le désir sadique, avec tout ce qu'il comporte d'énigme, il n'est articulable, il n'est formulable que pour cette schize, cette dissociation, qu'il vise essentiellement à introduire chez l'autre, en lui imposant, jusqu'à une certaine limite, ce qui ne saurait être toléré, à la limite exactement suffisante où se manifeste, apparaisse chez l'autre, cette division, cette béance qu'il y a de son existence de sujet à ceci qu'il subit, qu'il peut pâtir dans son corps. Et c'est tellement de cette distinction, de cette division, de cette béance comme essentielle qu'il s'agit, et qu'il s'agit d'interroger, qu'en fait ce n'est pas tellement la souffrance de l'autre qui est cherchée dans l'intention sadique, que son angoisse - précisément ici j'ar­ticule, je désigne, je note ce petit signe $ 0 - dans les premières formules que je crois dans ma deuxième leçon de cette année, j'ai introduites concernant l'angoisse, je vous ai appris à lire par le terme non pas O, vous disais-je, mais zéro - l'angoisse de l'autre, son existence essentielle comme sujet par rapport à cette angoisse, voilà ce que le désir sadique s'entend à faire vibrer. - 119 -

Et c'est pour cela que, dans un de mes séminaires passés, je n'ai pas hési­té à en rapporter là structure comme proprement homologue à ce que Kant a articulé comme condition de l'exercice d'une raison pure pratique, d'une volonté morale à proprement parler, et, pour tout dire, à y situer le seul point où peut se manifester un rapport avec un pur bien moral.

Je m'excuse de là brièveté de ce rappel. Ceux qui ont assisté à ce rappro­chement s'en souviennent; ceux qui n'ont pas pu y assister verront, je pense, dans pas trop longtemps à paraître, ce que j'ai pu en reprendre dans une préface à La philosophie dans le boudoir, qui était précisément le texte autour duquel j'avais organisé ce rapprochement.

Ce qui est important aujourd'hui et là seule chose sur laquelle j'entends apporter un trait nouveau, c'est que ce qui caractérise le désir sadique est proprement qu'il ne sait pas que dans l'accomplissement de son acte, de son rite - car il s'agit proprement de ce type d'action humaine où nous trou­vons toutes les structures du rite - ce qu'il ne sait pas, c'est ce qu'il cherche; et ce qu'il cherche, c'est à proprement parler à se réaliser, à se faire apparaître lui-même, à qui, puisqu'en tout cas à lui-même cette révélation ne saurait rester qu'obtuse, à se faire apparaître lui-même comme pur objet, fétiche noir. C'est là à quoi se résume, à son terme dernier, là manifestation du désir sadique, en tant que celui qui en est l'agent va vers une telle réali­sation. Aussi bien, si vous évoquez ce qu'il en est de là figure de Sade, vous apercevez-vous alors que ce n'est pas par hasard si, ce qui s'en dégage, ce qui en reste, par une sorte de transsubstantiation avec le cours des âges, avec l'élaboration imaginaire dans les générations de sa figure, c'est une forme, précisément une forme pétrifiée.

Toute différente est, vous le savez, là position du masochiste pour qui cette incarnation de lui-même comme objet est le but déclaré, qu'il se fasse chien sous là table ou marchandise, item dont on traite dans un contrat en le cédant, en le vendant parmi d'autres objets à mettre sur le marché; bref, son identification à cet autre objet que j'ai appelé l'objet commun, l'objet d'échange, c'est là route, c'est là voie où il recherche justement ce qui est impossible, qui est de se saisir pour ce qu'il est, en tant que comme tous il est un a. Pour savoir en quoi ça l'intéresse tellement cette reconnaissance -120- qui reste tout de même impossible, c'est bien sûr ce que beaucoup de condi­tions particulières dans son analyse pourront révéler. Mais avant même de pouvoir les comprendre, ces conditions particulières, il y a certaines conjonctions qu'il s'agit bien ici d'établir et qui sont les plus structurables. C'est ce que nous allons tenter maintenant de faire.

Entendez bien que je n'ai pas dit, sans plus, que le masochiste atteint à son identification d'objet. Comme pour le sadique, cette identification n'apparaît que sur une scène. Seulement, même sur cette scène, le sadique ne se voit pas, il ne voit que le reste. Il y a aussi quelque chose que le maso­chiste ne voit pas - nous verrons quoi peut-être tout à l'heure, mais ceci me permet d'introduire tout de suite quelques formules dont là première est ceci que se reconnaître comme objet de son désir, au sens où aujourd'hui je l'articule, c'est toujours masochiste. Cette formule a l'intérêt de vous en rendre sensible là difficulté, car c'est bien commode de se servir de notre petit guignol et de dire que s'il y a du masochisme, c'est parce que le sur­moi est bien méchant, par exemple. Nous savons bien sûr que nous faisons, à l'intérieur du masochisme, toutes les distinctions nécessaires, le masochis­me érogène, le masochisme féminin, le masochisme moral. Mais comme le seul énoncé de cette classification fait un petit peu l'effet de ce que je pour­rais dire si je disais : « il y a ce verre, il y a là foi chrétienne, et il y a là bais­se de Wall Street », ceci doit nous laisser tout de même un petit peu sur notre faim. Si le terme de masochisme peut prendre un sens, il conviendrait d'en trouver une formule qui fut un peu plus unitaire; et si nous disions que le surmoi est là cause du masochisme, nous ne quitterions pas trop cette intuition satisfaisante, à ceci près que, comme nous avons dit, avant, que l'objet est là cause du désir, nous verrions que le surmoi participe, au moins qu'il participe de là fonction de cet objet, en tant que cause, telle que je l'ai introduite aujourd'hui pour vous faire sentir jusqu'à quel point c'est vrai. Je pourrais le faire entrer dans le catalogue, dans là série de ces objets tels que nous aurons à les déployer devant vous en l'illustrant, cette place, de tous les contenus, si vous voulez, qu'elle peut avoir et qui sont énumérables. Si je ne l'ai pas fait d'abord, c'est pour que vous ne perdiez pas là tête à les voir comme contenu, à croire que c'est les mêmes choses où vous vous êtes tou­jours retrouvés concernant l'analyse. Car ce n'est pas vrai. Si vous croyez pouvoir savoir là fonction du sein maternel, ou celle du scybale, vous savez bien quelle obscurité reste dans votre esprit concernant le phallus; et quand -121- il s'agira de l'objet qui vient immédiatement après, je vous le livre tout de même, histoire de donner à votre curiosité une pâture, c'est-à-dire l’œil en tant que tel, vous ne savez plus là du tout. C'est pourquoi il ne convient de s'approcher qu'avec prudence, et pour cause. Si c'est cet objet dont il s'agit quand en fin de compte c'est là l'objet sans lequel il n'est pas d'angoisse, c'est que c'est bien un objet dangereux. Soyons donc prudents puisqu'il manque. Ce me sera pour l'immédiat l'occasion de faire apparaître en quel sens j'ai dit, ceci a retenu l'oreille d'un de mes auditeurs, j'ai dit, il y a deux leçons, ceci que si le désir et là loi étaient là même chose, c'est pour autant et en ce sens que le désir et là loi ont leur objet commun.

Il ne suffit donc pas ici de se donner à soi-même le réconfort qu'ils sont, l'un par rapport à l'autre, comme les deux côtés de là muraille, ou comme l'endroit et l'envers. C'est faire trop bon marché de là difficulté. Et, pour aller droit au point qui vous le fait sentir, je dirai que ça n'est pas pour autre chose que de là faire sentir que vaut le mythe central qui a permis à là psy­chanalyse de démarrer, qui est le mythe de l'Œdipe. Le mythe de l'Œdipe ne veut pas dire autre chose, c'est qu'à l'origine le désir, le désir du père et là loi ne sont qu'une seule et même chose et que le rapport de là loi au désir est si étroit que seule là fonction de là loi trace le chemin du désir; que le désir, en tant que le désir de là mère, pour là mère, est identique à là fonc­tion de là loi. C'est en tant que là loi l'interdit qu'elle impose de là désirer; car après tout là mère n'est pas en soi l'objet le plus désirable. Si tout s'or­ganise autour de ce désir de là mère, si c'est à partir de là que se pose là femme qu'on doit préférer, car c'est de cela qu'il s'agit, soit autre que là mère, qu'est-ce que cela veut dire? sinon qu'un commandement s'impose, s'introduit dans là structure même du désir; que pour tout dire on désire au commandement. Qu'est-ce que tout le mythe de l'Œdipe veut dire, sinon que le désir du père est cela qui a fait là loi.

Le masochisme prend dans cette perspective là valeur et là fonction d'ap­paraître et d'apparaître clairement - c'est son seul prix, au masochiste - quand le désir et là loi se retrouvent ensemble; car ce que le masochiste entend faire apparaître - et j'ajoute sur sa petite scène, car il ne faut jamais oublier cette dimension - c'est quelque chose où le désir de l'Autre fait là loi.

Nous en voyons tout de suite un des effets, c'est que lui-même, le maso­chiste, apparaît dans cette fonction que j'appellerai celle du déjet, de ce qui est cet objet, le nôtre, le a dont nous parlons, dans l'apparence du déjeté, du 122- jeté au chien, aux ordures, à là poubelle, au rebut de l'objet commun, faute de pouvoir le mettre ailleurs. C'est un des aspects où peut apparaître le a tel qu'il s'illustre dans la perversion. Et ceci n'épuise pas d'aucune façon ce que nous ne pouvons cerner qu'en le contournant, à savoir la fonction du a. Mais puisque j'ai pris ce biais du masochisme, que je l'ai introduit, il faut que nous nous livrions à d'autres repérages pour situer cette fonction du a. Vous en voyez un au niveau du masochisme. Je vous rappelle qu'il faut d'abord prendre pour sa fonction de corrélation massive que l'effet central de cette identité qui conjugue le désir du père à là loi, c'est le complexe de castration, au moment où la loi naît par cette mue, mutation mystérieuse du désir du père, après qu'il ait été tué. La conséquence, et aussi bien dans l'his­toire de la pensée analytique que dans tout ce que nous pouvons concevoir comme liaison la plus certaine, c'est en tout cas le complexe de castration. C'est pourquoi vous avez déjà vu apparaître dans mes schémas la notation - φ à là place où a manque.

Donc, premier point aujourd'hui, je vous ai parlé de l'objet comme cause du désir. Deuxième point, je vous ai dit, se reconnaître comme l'objet de son désir, c'est toujours masochiste; je vous ai indiqué à ce propos ce qui se pro­filait pour nous comme présentation - sous une certaine incidence du sur­moi, je vous ai indiqué une particularité en quelque sorte dépréciée - de ce qui se passe à la place de cet objet a sous la forme du - φ. Nous arrivons à notre troisième point, celui qui concerne justement cette possibilité des manifestations de l'objet a comme manque. Elle lui est structurale. Et c'est pour le faire concevoir que ce schéma, cette image destinée à vous le rendre familier, est depuis un certain temps déjà pour vous présentifié et rappelé.

L'objet a au niveau de notre sujet analytique, de là source de ce qui sub­siste comme corps qui, en partie, pour nous, nous dérobe si je puis dire sa propre volonté, cet objet a c'est ce roc dont parle Freud. Cette réserve der­nière irréductible de la libido dont il est tellement pathétique de le voir dans ces textes littéralement ponctuer les contours chaque fois qu'il le rencontre. Je ne finirai pas ma leçon aujourd'hui sans vous dire où il convient que vous alliez rénover cette conviction. Ce petit a, à la place où il est, au niveau où il pourrait être reconnu, si c'était possible - car bien sûr tout à l'heure, vous ai-je dit que se reconnaître comme objet de son désir c'est toujours masochiste - si c'était possible, le masochiste ne le fait que sur la scène. Et vous allez voir ce qui s'opère quand il ne peut plus y rester, sur la scène.123- Nous ne sommes pas toujours sur là scène, malgré que là scène s'étende fort loin, et jusqu'au domaine de nos rêves. En tant que pas sur là scène et res­tant en deçà, et cherchant à lire dans l'Autre de quoi il retourne, nous ne trouvons là en X (schéma) que le manque.

C'est cette liaison, coordination de l'objet avec son manque nécessaire là où le sujet se constitue au lieu de l'Autre, c'est-à-dire aussi loin que pos­sible, au-delà même de ce qui peut apparaître dans le retour du refoulé, et constituant l'Urverdrängung, l'irréductible de l'incognito, puisque aussi bien nous ne pouvons pas dire absolument l'inconnaissable puisque nous en parlons, c'est là que se structure, que se situe ce que, dans notre analyse du transfert, j'ai produit devant vous par le terme agalma.

C'est pour autant que cette place vide est visée comme telle que s'insti­tue sa dimension toujours, et pour cause, plus ou moins négligée du trans­fert. Que cette place en tant qu'elle puisse être cernée par quelque chose qui est matérialisé dans cette image, un certain bord, une certaine ouverture, une certaine béance où là constitution de l'image spéculaire montre sa limi­te, c'est là le lieu élu de l'angoisse.

Ce phénomène de bord, dans ce qui s'ouvre comme cette fenêtre et dans des occasions privilégiées, marque là limite illusoire de ce monde de là reconnaissance, de celui que j'appelle là scène. Que ce soit lié à ce bord, à cet encadrement, à cette béance qui est illustrée dans ce schéma au moins deux fois, dans ce bord ici du miroir et aussi bien dans ce petit signe 0. Que ce soit là le lieu de l'angoisse, c'est ce que vous devez toujours retenir comme le signal de ce qu'il y a à chercher au milieu.

Le texte de Freud auquel je vous prie de vous référer - car c'est un texte toujours plus stupéfiant à lire par cette double face des faiblesses, des insuf­fisances, qui aux novices apparaissent tout d'abord comme les premières à relever dans le texte de Freud et de là profondeur avec laquelle tout ce sur quoi il vient buter - révèle à quel point Freud était là autour de ce champ même que nous essayons de dessiner. Bien sûr, il convient d'abord que vous soyez familiers avec le texte de Dora; il peut, à ceux qui ont entendu mon dis­cours sur le Banquet, rappeler cette dimension toujours éludée quand il s'agit du transfert, et de l'autre dimension entre parenthèses, à savoir que le trans­fert n'est pas simplement ce qui reproduit une situation, une action, une atti­tude, un traumatisme ancien, et ce qui le répète. C'est qu'il y a toujours une autre coordonnée, celle sur laquelle j'ai mis l'accent à propos de l'intervention analytique de Socrate, à savoir nommément dans les cas où j'évoque un amour présent dans le réel, et que nous ne pouvons rien comprendre au transfert si nous ne savons pas qu'il est aussi là conséquence de cet amour-là; que c'est à propos de cet amour présent - et les analystes doivent s'en sou­venir en cours d'analyse - d'un amour qui est présent de diverses façons, mais qui au moins qu'ils s'en souviennent, quand il est là visible, que c'est en fonction de cet amour, disons réel, que s'institue ce qui est là question cen­trale du transfert, à savoir celle que se pose le sujet concernant l'agalma à savoir ce qui lui manque. Car c'est avec ce manque qu'il aime. Ce n'est pas pour rien que depuis toujours je vous serine que l'amour c'est de donner ce qu'on n'a pas. C'est même le principe du complexe de castration; pour avoir le phallus, pour pouvoir s'en servir, il faut justement ne pas l'être.

Quand on retourne aux conditions où il apparaît qu'on l'est - car on l'est aussi bien pour un homme, ça ne fait pas de doute, et pour une femme, nous redirons par quelle incidence elle est amenée à l'être - eh! bien c'est toujours fort dangereux.

Qu'il me suffise de vous demander avant de vous quitter de relire attenti­vement ce texte entièrement consacré aux rapports de Freud avec sa patien­te, avec cette fille, je vous le rappelle, dont il dit que l'analyse fait apparaître que c'est essentiellement autour d'une déception énigmatique concernant là naissance dans sa famille, l'apparition à son foyer d'un petit enfant, qu'elle s'est orientée vers l'homosexualité. Avec une touche d'une science de l'ana­logie absolument admirable, Freud aperçoit ce qu'il y a dans cet amour démonstratif de là jeune fille pour une femme de réputation suspecte assuré­ment, vis-à-vis de laquelle elle se conduit, nous dit Freud, d'une façon essen­tiellement virile. Et si l'on s'en tient à lire simplement ce qui est là, mon dieu, virilité, nous sommes tellement habitués à en parler sans savoir que nous ne nous apercevons pas que ce qu'il entend là accentuer, c'est ce que j'ai essayé de présentifier devant vous de toutes les façons en accentuant quelle est là fonction de ce qu'on appelle l'amour courtois; elle se comporte comme le chevalier qui souffre tout pour sa dame, se contente des faveurs les plus exté­nuées, les moins substantielles; elle préfère même n'avoir que celles-là, et qui, enfin, plus l'objet de son amour peut aller plus à l'opposé dans ce qu'on pourrait appeler là récompense, plus il le surestime et l'élève, cet objet, d'éminente dignité. Quand manifestement toute là rumeur publique ne peut manquer de lui imposer qu'effectivement là conduite de sa bien-aimée est -125 - des plus douteuses, cette dimension d'exaltation ne voit que s'ajouter là visée supplémentaire et renforcée, de là sauver. Tout ceci est admirablement sou­ligné par Freud et vous savez comment là fille en question a été amenée à sa consultation; c'est pour autant qu'un jour, cette liaison menée au su et vrai­ment au défi de toute là ville, dans le style dont tout de suite Freud a aperçu le rapport de provocation par rapport à quelqu'un de sa famille - et il apparaît bien vite et très certainement que c'est son père - cette liaison prend fin par une rencontre. La jeune fille en compagnie de sa bien-aimée, nous dit­on, croise son père sur le chemin du bureau du père en question, ce père qui lui jette un regard irrité; là scène dès lors se passe très vite. La personne pour qui sans doute cette aventure n'est qu'un divertissement assez obscur et qui commence manifestement à en avoir assez et qui ne veut pas sans doute s'ex­poser à de grandes difficultés, dit à là jeune fille que cela a assez duré et qu'on s'en tienne là désormais; qu'elle cesse de lui envoyer, comme elle le fait tous les jours, des fleurs sans compter, de s'attacher étroitement à ses pas. Et là-dessus là fille immédiatement se balance par-dessus un endroit - vous vous rappelez qu'il était un temps où j'explorais minutieusement les cartes de Vienne pour permettre de donner son plein sens au cas du Petit Hans -, je n'irai pas, aujourd'hui, jusqu'à vous dire l'endroit où très probablement se trouve quelque chose de comparable à ce que vous voyez encore du côté du boulevard Pereire, à savoir un petit fossé au fond duquel il y a des rails pour un petit chemin de fer qui maintenant ne marche plus, c'est de là que là fille se balance, niederkommt, se laisse tomber.

Il y a plusieurs choses à dire à propos de ce niederkommen. Si je l'intro­duis ici, c'est parce que c'est un acte dont il ne suffit pas de dire, de rappe­ler l'analogie avec le sens de niederkommen dans le fait de l'accouchement pour en épuiser le sens. Ce niederkommen est essentiel à toute subite mise en rapport du sujet avec ce qu'il est comme a.

Ce n'est pas pour rien que le sujet mélancolique a une propension telle, et toujours accomplie avec une rapidité fulgurante, déconcertante, à se balancer par là fenêtre. La fenêtre, en tant qu'elle nous rappelle cette limite entre là scène et le monde, nous indique ce que signifie cet acte par où, en quelque sorte, le sujet fait retour à cette exclusion fondamentale où il se sent, au moment même où se conjugue dans l'absolu d'un sujet, dont nous seuls, analystes, pouvons avoir l'idée, cette conjonction du désir et de là loi. C'est proprement ce qui se passe au moment de là rencontre par le -126- couple, de là chevalière de Lesbos et de son objet karéninien si je puis m'ex­primer ainsi, avec le père. Car il ne suffit pas de dire que le père a jeté un regard irrité pour comprendre comment a pu se produire le passage à l'ac­te. Il y a quelque chose qui tient là au fond même de là relation, à là struc­ture; car de quoi s'agit-il? Disons-le en termes brefs, je vous crois suffi­samment préparés pour que vous les entendiez : là fille, pour laquelle l'at­tachement au père, et là déception en raison de là naissance du jeune frère, si mon souvenir est bon, cette déception a été dans sa vie le point tournant, va donc quoi faire ? Faire de sa castration de femme ce que fait le chevalier à l'endroit de sa dame à qui précisément, il offre le sacrifice de ses préroga­tives viriles; pour en faire, elle, le support de ce qui est lié dans le rapport d'une inversion à ce sacrifice même à savoir, là mise à là place du manque, justement de ce qui manque au champ de l'Autre, à savoir sa garantie suprême, ceci que là loi est bel et bien le désir du père, qu'on en est sûr, qu'il y a une loi du père, un phallus absolu 0.

Sans doute, ressentiment et vengeance sont-ils décisifs dans le rapport de cette fille avec son père. Le ressentiment et là vengeance sont cela, cette loi, ce phallus suprême. Voici où je le place; c'est elle qui est ma dame, et puisque je ne peux pas être ta femme soumise et moi ton objet, je suis celui qui soutient, qui crée le rapport idéalisé à ce qui est de moi-même insuffi­sance, ce qui a été repoussé. N'oublions pas que là fille a cessé, a lâché là cul­ture de son narcissisme, ses soins, sa coquetterie, sa beauté, pour devenir chevalier servant de là dame.

C'est dans là mesure où tout ceci vient dans cette simple rencontre et, au niveau du regard du père, où cette scène vient aux regards du père, que se produit ce que nous pourrons appeler, nous référant au premier tableau que je vous ai donné des coordonnées de l'angoisse, le suprême embarras; que l'émotion - reportez-vous à ce tableau, vous en verrez les coordonnées exactes - l'émotion par là subite impossibilité de faire face à là scène que lui fait son amie, s'y ajoute. Les deux conditions essentielles de ce qui s'ap­pelle à proprement parler passage à l'acte, - et ici je m'adresse à quelqu'un qui m'a demandé de devancer un peu ce que je peux avoir à dire sur cette distinction de l'acting-out, nous aurons à y revenir-, les deux conditions du passage à l'acte comme tel sont réalisées. Ce qui vient à ce moment-là au sujet, c'est son identification absolue à ce petit a, à quoi elle se réduit. La confrontation de ce désir du père, sur lequel tout dans sa conduite est 127- construit, avec cette loi qui se présentifie dans le regard du père, c'est ceci, par quoi elle se sent définitivement identifiée, et du même coup rejetée, déjetée hors de là scène.

Seul le laissez tomber, le se laisser tomber peut le réaliser. Le temps me manque aujourd'hui pour vous indiquer dans quelle direction va ceci; à savoir que là notation célèbre de Freud, dans le deuil, de l'identification à l'objet, comme étant ce sur quoi porte quelque chose qu'il exprime comme une vengeance de celui qui ressent le deuil, ce n'est pas suffisant. Nous por­tons le deuil et nous ressentons les effets de dévaluation du deuil, pour autant que l'objet dont nous portons le deuil était, à notre insu, celui qui s'était fait, que nous avons fait le support de notre castration.

La castration, elle nous retourne; et nous nous voyons pour ce que nous sommes, en tant que nous serions essentiellement retournés à cette position de là castration. Vous sentez bien que le temps me presse et qu'ici je ne peux que donner une indication; mais ce qui désigne bien à quel point c'est de cela qu'il s'agit, ce sont deux choses; c'est là façon dont Freud sent que, quelque avance spectaculaire que fasse là patiente dans son analyse, ça lui passe si je puis dire comme de l'eau sur les plumes d'un canard; et s'il négli­ge nommément cette place qui est celle du petit dans le miroir de l'Autre par toutes les coordonnées possibles, bien sûr, sans avoir les éléments de ma topologie, mais on ne peut pas le dire plus clairement; car il dit ici : « là, ce devant quoi je m'arrête, je bute, dit Freud, c'est quelque chose comme ce qui se passe dans l'hypnose ». Or, qu'est-ce qui se passe dans l'hypnose ? C'est que le sujet dans le miroir de l'Autre est capable de lire tout ce qui est là, au niveau de ce petit vase pointillé, tout ce qui est spécularisable, on y va. Ce n'est pas pour rien que le miroir, le bouchon de carafe, voire le regard de l'hypnotiseur, sont les instruments de l'hypnose. La seule chose qu'on ne voit pas dans l'hypnose, c'est justement le bouchon de là carafe lui-même, ni le regard de l'hypnotiseur qui est là cause de l'hypnose. La cause de l'hypnose ne se livre pas dans les conséquences de l'hypnose. L'autre réfé­rence, le doute de l'obsessionnel. Et sur quoi porte-t-il le doute radical qui fait aussi que les analyses d'obsessionnels se poursuivent pendant des temps et des temps et très bellement ? C'est une véritable lune de miel, une cure d'obsessionnel, entre l'analyste et l'analysé; pour autant que ce centre où Freud nous désigne très bien quelle sorte de discours tient l'obsessionnel, à savoir : « Il est vraiment très bien, cet homme-là; il me raconte les plus 128 - belles choses du monde, l'ennui c'est que je n'y crois pas tout à fait ». Si elle est centrale, c'est parce qu'elle est là, en Χ.

Dans le cas de la jeune homosexuelle, ce dont il s'agit, c'est justement ce qui doit nous éclairer, à savoir une certaine promotion du phallus comme tel, à la place du a et c'est la - j'ai scrupule à le dire - parce qu'aussi bien c'est un texte si merveilleusement éclairant que je n'ai pas besoin de vous en donner les autres propriétés; mais je vous prie de ne pas les prendre pour une de ces ritournelles auxquelles on nous a habitués, des Objektwahl. Cet homme dont il s'agit, conclut son texte, à savoir la distinction des éléments constitutionnels et des éléments, peu importe lesquels, historiques de la détermination de l'homosexualité, et de l'isolement, comme tel étant le même champ propre de l'analyse, de l'objet, Objektwahl, le choix de l'ob­jet, le distinguant comme tel, comme comportant des mécanismes qui sont originaux; tout tourne bien effectivement autour du rapport du sujet à a.

Le paradoxe est celui qui confine à ce que là deuxième fois je vous ai indi­qué comme le point où Freud nous lègue la question de savoir comment opérer au niveau du complexe de castration, et désigné par ceci, qui est ins­crit dans l'observation et dont je m'étonne que ce ne soit pas l'objet le plus commun de l'étonnement parmi les analystes, que cette analyse se termine en ceci que Freud la laisse tomber.

Car avec Dora, j'y reviendrai, nous pouvons mieux articuler maintenant ce qui s'est passé; tout est loin, très loin, d'être maladresse et l'on peut dire que si Dora n'a pas été analysée jusqu'au bout, Freud a vu clair jusqu'au bout. Mais ici où la fonction du petit a de l'objet est en quelque sorte si pré­valente dans l'observation de l'homosexuelle qu'elle a été jusqu'à passer dans le réel, dans un passage à l'acte dont il comprend pourtant tellement bien la révélation symbolique, Freud donne sa langue au chat : « Je n'arri­verai à rien », se dit-il, et il la passe à un confrère féminin. C'est lui qui prend l'initiative de la laisser tomber.

Je vous laisserai sur ce terme pour le livrer à vos réflexions, car vous sen­tez bien que ce souci vise une référence essentielle dans là manipulation ana­lytique du transfert.

1 - Erreur probable de Lacan entre Libido Aushalt et Libidohaushalt : cf. texte de Freud.

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Leçon VII 9 janvier 1963

Leçon VII 9 janvier 1963

Dans là trente deuxième leçon introductive à là psychanalyse, c'est-à-dire dans là série des Nouvelles conférences sur la psychanalyse, retraduites en français, Freud précise qu'il s'agit d'introduire quelque chose qui n'a, dit-il, nullement le caractère de pure spéculation, mais on nous a traduit dans le français inintelligible dont vous allez pouvoir juger : « Mais il ne peut vrai­ment être question que de conceptions. En effet, il s'agit de trouver les idées abstraites, justes, qui appliquées à la matière brute de l'observation y appor­teront ordre et clarté ». Il n'y a pas de point en allemand là où je vous l'ai signalé, et il n'y a aucune énigme dans là phrase: « Il s'agit », nous dit Freud, « sondern es handelt sich wirklich », non pas vraiment mais réellement, de conceptions, virgule, c'est-à-dire je veux dire par là des Vorstellungen, des représentations abstraites correctes, il s'agit de les einzufahren de les ame­ner au jour, ces conceptions dont l'application à là Rohstoff, étoffe brute de l'observation, Beobachtung, permettra d'en faire sortir, d'en faire renaître l'ordre, là transparence. Il est évidemment toujours fâcheux de confier une chose aussi précieuse que là traduction de Freud aux dames de l'anti­chambre.

Cet effort, ce programme, celui auquel nous nous efforçons ici depuis quelques années, et c'est de ce fait qu'aujourd'hui nous nous trouvons, en somme, avoir précisé sur notre chemin de l'angoisse le statut de quelque chose que je désignerai d'emblée, d'abord, par là lettre que vous voyez ici trôner au-dessus du profil, du profil du vase qui symbolise pour nous le contenant narcissique de là libido, par l'intermédiaire de ce miroir de 99 l'Autre il peut être mis en rapport avec sa propre image i'(a) et, qu'entre les deux, peut jouer cette oscillation communicante que Freud désigne comme là réversibilité de là libido du corps propre à celle de l'objet.

A cette oscillation économique, cette libido réversible de i(a) à i'(a), il y a quelque chose, nous ne dirons pas, qui échappe, mais qui intervient sous une incidence dont le mode de perturbation est justement celui que nous étudions cette année. La manifestation la plus éclatante, le signal de l'inter­vention de cet objet a, c'est l'angoisse.

Ce n'est pas dire que cet objet a n'est que l'envers de l'angoisse, qu'il n'intervient, qu'il ne fonctionne qu'en corrélation avec l'angoisse. L'angoisse, nous a appris Freud, joue par rapport à quelque chose la fonc­tion de signal. Je dis, c'est un signal en relation avec ce qui se passe concer­nant la relation d'un sujet, d'un sujet qui ne saurait d'ailleurs entrer dans cette relation que dans la vacillation d'un certain fading, celle que désigne la notation de sujet par un $, la relation de ce sujet, à ce moment vacillant, avec cet objet dans toute sa généralité. L'angoisse est le signal de certains - 100 - moments de cette relation. C'est ce que nous allons nous efforcer de vous montrer plus avant aujourd'hui. Il est clair que ceci suppose un pas de plus dans là situation de précision de ce que nous entendons par cet objet a. Je veux dire, cet objet, nous le désignons par, justement a. Je remarque que cette notation algébrique a sa fonction. Elle est comme un fil destiné à nous permettre d'en reconnaître, sous les diverses incidences où il nous apparaît, l'identité. Sa notation est algébrique, a, justement pour répondre à cette fin de repérage pur de l'identité, ayant été déjà posé par nous que le repérage par un mot, par un signifiant, est toujours et ne saurait être que métapho­rique, c'est-à-dire laissant, en quelque sorte, en dehors de là signification induite par son introduction, là fonction du signifiant lui-même. Le terme bon, s'il engendre là signification du bon, n'est pas bon par lui-même et loin de là, car il engendre du même coup le mal.

De même désigner ce petit par le terme d'objet, vous le voyez, est d'un usage métaphorique, puisqu'il est emprunté justement à cette relation sujet objet, d'où le terme objet se constitue, qui sans doute est propre à désigner là fonction générale de l'objectivité; et*cet objet, dont nous avons à parler sous le terme est justement un objet qui est externe à toute définition pos­sible de l'objectivité. Je ne parlerai pas de ce qui se passe, de l'objectivité dans le champ de là science, je parle de notre science en général. Vous savez qu'il lui est arrivé, depuis Kant, quelques malheurs, quelques malheurs qui relèvent tous, dans le sein de cet objet, pour avoir voulu faire trop de part à certaines « évidences » et spécialement à celles qui sont du champ de l'Esthétique transcendantale, comme par temple de tenir pour évidente l'indépendance, là séparation des dimensions de l'espace d'avec celle du temps; elle s'est trouvée à l'épreuve dans l'élaboration de l'objet scienti­fique ou s'est heurtée à ce quelque chose que l'on traduit bien impropre­ment par crise de là raison scientifique. Bref tout cet effort qui a dû être fait pour s'apercevoir que justement ces deux registres des dimensions spatiales et temporelles ne pouvaient pas, à un certain niveau de là physique, conti­nuer d'être tenues pour des variables indépendantes. Fait surprenant, il semble avoir posé à quelques esprits, d'indissolubles problèmes qui ne semblent pas pourtant être dignes de tellement nous arrêter. Et si nous nous apercevons que c'est justement au statut de l'objet qu'il s'agit de recourir, de rendre au symbolique, dans là constitution, dans là traduction de l'expérience, sa place exacte, de ne pas faire d'extrapolations aventurées - 101- de l'imaginaire dans le symbolique; à là vérité, le temps dont il s'agit, au niveau où peuvent se poser les problèmes qui viendraient à l'irréaliser dans une quatrième dimension, n'a rien à faire avec le temps qui, dans l'intuition, semble bien se poser comme une sorte de heurt infranchissable du réel, à savoir ce qui nous apparaît à tous, et que sa tenue pour une évidence, pour quelque chose qui, dans le symbolique, pourrait se traduire par une variable indépendante, est simplement une erreur catégorielle au départ.

Même difficulté, vous le savez, à une certaine limite, de là physique avec le corps, et là, je dirai que nous voici sur notre terrain. Car c'est effective­ment sur ce qui n'est pas fait, au départ, d'un statut correct de l'expérience que nous avons ici notre mot à dire. Nous avons notre mot à dire puisque notre expérience pose et institue qu'aucune intuition, qu'aucune transpa­rence, qu'aucune Durchsichtigkeit, comme c'est le terme de Freud, qui se fonde purement et simplement sur l'intuition de là conscience, ne peut être tenu pour originelle, et donc valable, et donc ne peut constituer le départ d'aucune esthétique transcendentale, pour là simple raison que le sujet ne saurait, d'aucune façon, être situé d'une façon exhaustive dans là conscien­ce, puisqu'il est d'abord et primitivement inconscient.

A ceci s'ajoute que, s'il est d'abord et primitivement inconscient, c'est en raison de ceci, qu'il nous faut d'abord et primitivement dans sa constitution de sujet, tenir pour antérieure à cette constitution, une certaine incidence qui est celle du signifiant. Le problème est de l'entrée du signifiant dans le réel et de voir comment, de ceci, naît le sujet. Est-ce à dire que si nous nous trouvions comme devant une sorte de descente de l'esprit, l'apparition de signifiants ailés, commencerait à faire, dans ce réel, leurs trous tout seuls, au milieu desquels apparaîtrait un de ces trous qui serait le sujet. Je pense que, dans l'introduction de là division réel-imaginaire-symbolique, nul ne me prête un tel dessein. Il s'agit aujourd'hui de savoir ce qui est d'abord. Ce qui permet justement à ce signifiant de s'incarner, ce qui le lui permet, c'est, bien entendu, ce que nous avons là pour nous présentifier les uns aux autres, notre corps. Seulement ce corps, il n'est pas à prendre non plus, lui, dans les pures et simples catégories de l'esthétique transcendentale. Ce corps n'est pas, pour tout dire, constituer, à là façon dont Descartes l'institue dans le champ de l'étendue. Ce corps dont il s'agit, il s'agit de nous apercevoir qu'il ne nous est pas donné de façon pure et simple dans notre miroir, que, même dans cette expérience du miroir, un moment peut arriver où cette image, 102-cette image spéculaire que nous croyons tenir se modifie; ce que nous avons en face de nous, qui est notre stature, qui est notre visage, qui est notre paire d'yeux, laisse surgir là dimension de notre propre regard, là valeur de l'ima­ge commence alors de changer, surtout s'il y a un moment où ce regard qui apparaît dans le miroir, commence à ne plus nous regarder nous-mêmes, initium, aura, aurore d'un sentiment d'étrangeté qui est là porte ouverte sur l'angoisse.

Le passage de l'image spéculaire à ce double qui m'échappe, voilà le point où quelque chose se passe dont je crois que par l'articulation que nous don­nons à cette fonction de a, nous pouvons montrer là généralité, là fonction, là présence, dans tout le champ phénoménal, et montrer que là fonction va bien au-delà de ce qui apparaît dans ce moment étrange, que j'ai voulu ici simplement repérer pour son caractère à là fois le plus notoire et aussi le plus discret dans son intensité.

Comment se passe cette transformation de l'objet qui, d'un objet situable, d'un objet repérable, d'un objet échangeable, fait cette sorte d'ob­jet privé, incommunicable et pourtant dominant qui est notre corrélatif dans le fantasme? Où est exactement le moment de cette mue, de cette transformation, de cette révélation ? Je crois que ceci, par certains chemins, par certains biais, que j'ai déjà préparés pour vous au cours des années pré­cédentes, peut être plus que désigné, peut être expliqué. Dans le petit sché­ma que je vous ai apporté aujourd'hui au tableau, quelque chose de ces conceptions, Auffassungen, autrement dit de ces représentations richtig, correctes, peut être donné qui fasse le rappel toujours plus ou moins opaque, obscur, à l'intuition, à l'expérience de quelque chose de durchsich­tigbar, de transparent, autrement dit de reconstituer, pour nous, l'esthétique transcendentale qui nous convient et qui convient à notre expérience.

Vous pouvez tenir donc pour certain, par mon discours, que ce qui est communément transmis, je pense, concernant l'angoisse - non pas extrait du discours de Freud, mais d'une partie de ses discours, que l'angoisse soit sans objet - c'est proprement ce que je rectifie, « elle n'est pas sans objet ». Telle est exactement là formule où doit être suspendu ce rapport de l'an­goisse à un objet. Ce n'est pas à proprement parler l'objet de l'angoisse. Dans ce pas sans, vous reconnaissez là formule que j'ai déjà prise depuis concernant le rapport du sujet au phallus, il n'est pas sans l'avoir. Ce rapport de n'être pas sans avoir, ne veut pas dire qu'on sache de quel  objet il s'agit. Quand je dis, « il n'est pas sans ressources », « il n'est pas sans ruse », ça veut justement dire que ses ressources sont obscures, au moins pour moi, et que sa ruse n'est pas commune. Aussi bien dans l'introduction même linguistique du terme sans, sine, profondément corrélatif de cette opposition du haud, non haud sine, non pas sans, est un certain type de liai­son conditionnelle, si vous voulez, qui lie l'être à l'avoir dans une sorte d'al­ternance; il n'est pas là sans l'avoir mais ailleurs, là où il est, ça ne se voit pas.

Est-ce que ce n'est pas là justement là fonction sociologique du phallus, à condition, bien sûr, de là prendre ici au niveau majuscule, au niveau du 0, où il incarne là fonction là plus aliénante du sujet dans l'échange même, dans l'échange social. Le sujet y court, réduit à être porteur du phallus. C'est cela qui rend là castration nécessaire à une sexualité socialisée où il y a, nous a fait remarquer Claude Lévi-Strauss, des interdictions sans doute, mais aussi et avant tout des préférences. C'est le vrai secret, c'est là vérité de ce que Claude Lévi-Strauss fait tourner dans là structure autour de l'échan­ge des femmes. Sous l'échange des femmes, les phallus vont les remplir. Il ne faut pas qu'on voie que c'est lui, le phallus, qui est en cause. Si on le voit, angoisse.

Je pourrais ici embrancher sur plus d'un rail. Il est clair que, par cette référence, nous en voici, tout de suite, au complexe de castration. Eh! bien, mon dieu, pourquoi ne pas nous y engager?

La castration, comme je l'ai maintes fois rappelé devant vous, là castra­tion du complexe, n'est pas une castration. a, tout le monde le sait, tout le monde s'en doute, et chose curieuse, on ne s'y arrête pas. Ça a tout de même bien de l'intérêt, cette image, ce fantasme. Où là situer? Entre imaginaire et symbolique, qu'est-ce qui se passe ? Est-ce l'éviration bien connue des farouches pratiques de là guerre ? C'en est assurément plus près que de là fabrication des eunuques.

Mutilation du pénis, bien entendu, c'est ce qui est évoqué par les menaces fantasmatiques émanant du père ou de là mère, selon les âges de là psycha­nalyse, « si tu fais ça, on va te là couper ». Aussi bien faut-il que cet accent de là coupure ait toute son importance pour que puisse tenir là pratique de là circoncision à laquelle là dernière fois, vous m'avez vu faire des réfé­rences, si je puis dire, prophylactiques, à savoir là remarque que l'incidence psychique de là circoncision est loin d'être équivoque et que je ne suis pas le seul à l'avoir noté. 104 - Un des derniers travaux, sans doute remarquable, sur le sujet, celui de Nunberg, sur là circoncision conçue dans ses rapports avec là bisexualité, est bien là pour nous rappeler ce que, déjà, d'autres auteurs, et de nom­breux, avaient introduit avant lui que là circoncision a tout autant le but, là fin de renforcer en l'isolant le terme de là masculinité chez l'homme que de provoquer les effets, au moins sous leur incidence angoissante, que de pro­voquer les effets dits du complexe de castration.

Néanmoins, c'est justement cette incidence, cette relation, ce commun dénominateur de là coupure qui nous permet d'amener dans le champ de là castration, l'opération de là circoncision, de là Beschneidung, de l"arel', pour le dire en hébreu. Est-ce qu'il n'y a pas, ici, un peu quelque chose qui nous permettrait de faire un pas de plus sur là fonction de l'angoisse de cas­tration? Eh! bien, c'est celui-ci, le terme qui nous manque, « je vais te le couper » dit là maman que l'on qualifie de castrative. Bien, et après ? Où sera-t-il, le Wiwimacher, comme on dit dans l'observation du petit Hans ? Eh! bien, à admettre que cette menace depuis toujours présentifiée par notre expérience s'accomplisse, il sera là, dans le champ opératoire de l'ob­jet commun, de l'objet échangeable. Il sera là, entre les mains de là mère qui l'aura coupé. Et c'est bien ce qu'il y aura, dans là situation, d'étrange.

Il arrive souvent que des sujets fassent des rêves où ils ont l'objet en main, soit que quelque gangrène l'ait détaché, soit que quelque partenaire, dans le rêve, ait pris soin de réaliser l'opération tranchante, soit par quelque accident quelconque corrélatif diversement nuancé d'étrangeté et d'angois­se. Le caractère spécialement inquiétant du rêve est bien là pour nous situer l'importance de ce passage de l'objet, soudain, à ce qu'on pourrait appeler un Zuhandenheit, comme dirait Heidegger, sa maniabilité, dans le champ des objets communs. La perplexité qui en résulte et aussi bien, tout ce pas­sage aux côtés du maniable, de l'ustensile, c'est justement ce qui là, dans l'observation du petit Hans, nous est désigné aussi par un rêve. Il nous introduit l'installateur de robinets, celui qui va le dévisser, le revisser, faire passer toute là discussion de l'eingewurzelt, de ce qui était ou non bien enraciné dans le corps, au champ, au registre de l'amovible. Et ce moment, ce tournant phénoménologique, le voici qui le rejoint, ce qui nous permet de désigner ce qui oppose ces deux types d'objets dans leur statut. Quand j'ai commencé d'énoncer là fonction, là fonction fondamentale dans l'insti­tution générale du champ de l'objet, du stade du miroir, par quoi ai-je- 105 -passé? Par le plan de là première identification, méconnaissance originelle du sujet dans sa totalité à son image spéculaire, puis, là référence transitiviste qui s'établit dans son rapport avec l'autre imaginaire, son semblable, qui le fait toujours être mal démêlable de cette identité de l'autre et qui y introduit là médiation, un commun objet qui est un objet de concurrence, un objet dont le statut va partir de là notion ou non d'appartenance, il est à toi ou il est à moi.

Dans ce champ, il y a deux sortes d'objets, ceux qui peuvent se partager, ceux qui ne le peuvent pas. Ceux qui ne le peuvent pas, quand je les vois quand même courir dans ce domaine du partage, avec les autres objets dont le statut repose tout entier sur là concurrence, notre concurrence ambiguë qui est à là fois rivalité, mais aussi accord, ce sont des objets cotables, ce sont des objets d'échange. Mais il y en a d'autres, et si j'ai mis en avant le phal­lus, c'est bien sûr parce que c'est le plus illustre au regard du fait de là cas­tration; mais il y en a d'autres, vous le savez, d'autres que vous connaissez, les équivalents les plus connus de ce phallus, ceux qui le précèdent : le scy­bale, le mamelon. Il y en a peut-être que vous connaissez moins, encore qu'ils soient parfaitement visibles dans là littérature analytique, et nous essaierons de les désigner, ces objets, quand ils entrent en liberté, recon­naissables dans ce champ où ils n'ont que faire, le champ du partage. Quand ils apparaissent, l'angoisse nous signale là particularité de leur statut. Ces objets antérieurs à là constitution du statut de l'objet commun, de l'objet communicable, de l'objet socialisé, voilà ce dont il s'agit dans le a.

Nous les nommerons, ces objets, nous en ferons le catalogue, non sans doute exhaustif, mais peut-être aussi, espérons-le, déjà à l'instant, j'en ai donné trois. Je dirai que, dans un premier abord de ce catalogue, il n'en manque que deux, et que le tout correspond aux cinq formes de perte, de Verlust, que Freud désigne dans Inhibition, symptôme, angoisse, comme étant les moments majeurs de l'apparition du signal.

Je veux, avant de m'y engager plus avant, reprendre l'autre branche de l'aiguillage autour de quoi vous m'avez perçu tout à l'heure en train de choisir, pour faire une remarque dont les à-côtés, je crois, auront pour vous des aspects éclairants. Est-ce qu'il n'est pas étrange, significatif de quelque chose, que, dans là recherche analytique, se manifeste une bien autre caren­ce, que celle que j'ai déjà désignée en disant que nous n'avions pas fait faire un pas à là question physiologique de là sexualité féminine ? 106

Nous pouvons nous accuser du même défaut concernant l'impuissance masculine. Parce qu'après tout, dans le procès, bien repérable dans ses phases normatives, de là part masculine de là copulation, nous en sommes toujours à nous référer à ce qu'on trouve dans n'importe quel bouquin de physiologie concernant le procès de l'érection d'abord, puis de l'orgasme. La référence au circuit stimulus-réponse est en fin de compte ce dont nous nous contentons, comme si l'homologie était acceptable de là décharge orgasmique avec là part motrice de ce circuit dans un processus d'action quelconque. Bien sûr, nous n'en sommes pas là, loin de là. Même dans Freud, et le problème a été soulevé en somme par lui, pourquoi dans le plai­sir sexuel le circuit n'est-il pas le circuit comme ailleurs le plus court pour retourner au niveau du minimum d'excitation? Pourquoi y a-t-il une Vorlust, un plaisir préliminaire, comme on traduit, qui consiste justement à faire monter aussi haut que possible ce niveau minimum ?

Et l'intervention de l'orgasme, à savoir à partir de quel moment cette mon­tée du niveau liée dans là norme au jeu préparatoire est-elle interrompue? Est-ce que nous avons d'aucune façon donné un schéma de ce qui intervient, du mécanisme si l'on veut, donné une représentation physiologique de là chose parlée, de ce que Freud appellerait les Abfuhrinnervationen, le circuit d'innervation qui est le support de là mise en jeu de là décharge ? Est-ce que nous l'avons distingué, isolé, désigné, puisqu'il faut bien considérer distinct ce qui fonctionnait avant, puisque ce qui fonctionnait avant, c'était juste­ment que ce processus n'aille pas vers sa décharge, avant l'arrivée à un cer­tain niveau de là montée du stimulus ? C'est donc un exercice de là fonction du plaisir tendant à confiner à sa propre limite, c'est-à-dire au surgissement de là douleur.

Alors, d'où vient-il ce feed-back ? Personne ne songe à nous le dire. Mais je vous ferai remarquer, que non pas moi, mais ceux-là mêmes qui, nous dit là doctrine psychanalytique, devraient nous dire normalement que l'Autre doit y intervenir, puisque ce qui constitue une fonction génitale normale nous est donné pour lié à l'oblativité, qu'on nous dise donc comment là fonction du don comme telle intervient hic et nunc au moment où on baise! Ceci, en tout cas, a bien son intérêt; car ou c'est valable, ou ça ne l'est pas, et il est certain que, de quelque manière, doit intervenir là fonction de l'Autre.En tout cas, puisqu'une part importante de nos spéculations concernent - 107- ce qu'on appelle choix de l'objet d'amour, et que c'est dans les perturbations de cette vie amoureuse que gît une part importante de l'expérience analy­tique, que, dans ce champ là référence à l'objet primordial, à là mère, est tenue pour capitale, là distinction s'impose de savoir où il faut situer cette incidence criblante, du fait que, pour certains, il en résultera qu'ils ne pour­ront fonctionner pour l'orgasme qu'avec des prostituées et que pour d'autres ce sera avec d'autres sujets, choisis dans un autre registre.

La prostituée, nous le savons par nos analyses, là relation à elle est presque directement engrenée sur là référence à là mère. Dans d'autres cas, les détériorations, dégradations de là Liebesleben, de là vie amoureuse, sont liées à l'opposition du corps maternel dont il évoque un certain type de rap­port au sujet, à là femme, d'un certain type différent en tant qu'elle devient support, elle est l'équivalent de l'objet phallique.

Comment tout ceci se produit-il ? Ce tableau, ce schéma, celui que j'ai reproduit un fois de plus ici à là partie supérieure du tableau, nous permet de désigner c que je veux dire. Est-ce que le mécanisme, l'articulation se produit au niveau de l'attrait de l'objet, qui devient pour nous, revêtu ou non de cette glamour, de cette brillance désirable, de cette couleur, c'est ainsi qu'en chinois, on désigne là sexualité, qui fait que l'objet devient sti­mulant au niveau justement de l'excitation ? En quoi cette couleur préfé­rentielle se situera-t-elle, je dirai au même niveau de signal qui peut, aussi bien, être celui de l'angoisse ? Je dis donc à ce niveau-ci i'(a). Et alors il s'agi­ra de savoir pourquoi, et je l'indique tout de suite pour que vous voyiez où je veux en venir, par le branchement de l'investissement érogène originel de ce qu'il y a ici, en tant que a, présent et caché à là fois. Ou bien ce qui fonc­tionne comme élément de triage dans le choix de l'objet d'amour se produit ici au niveau de l'encadrement par une Einschränkung, par ce rétrécisse­ment directement référé par Freud au mécanisme du moi, par cette limita­tion du champ de l'intérêt qui exclut un certain type d'objet précisément en fonction de son rapport avec là mère.

Les deux mécanismes sont, vous le voyez, aux deux bouts de cette chaîne, qui commence à Inhibition et qui finit par Angoisse dont j'ai marqué dans le tableau que je vous ai donné au début de cette année, là ligne diagonale. Entre l'inhibition et l'angoisse, il y a lieu de distinguer deux mécanismes différents, et justement de concevoir en quoi l'un et l'autre peuvent inter­venir du haut en bas de toute là manifestation sexuelle. J'ajoute ceci que, quand je dis du haut en bas, j'y inclus ce qui dans notre expérience s'appelle le transfert. J'ai entendu récemment faire allusion au fait que nous étions des gens, dans notre société, qui en savions un bout sur le transfert. Pour tout dire, depuis un certain travail qui a été fait, avant que notre société fut fondée, sur le transfert, je ne connais qu'un seul autre tra­vail qui ait été invoqué, c'est celui de l'année qu'ici avec vous j'y ai consacré.

J'y ai dit bien des choses, certainement sous une forme qui était celle qui était là plus appropriée, c'est-à-dire, sous une forme en partie voilée. Il est certain qu'auparavant, dans ce travail antérieur sur le transfert, auquel je fai­sais allusion tout à l'heure et qui a apporté une division aussi géniale que celle de l'opposition entre le besoin de répétition et là répétition du besoin', vous voyez que le recours au jeu de mots pour désigner les choses, au reste non sans intérêt, n'est pas simplement mon privilège. Mais je crois que là référence au transfert, à là limiter uniquement aux effets de répétition, aux effets de reproduction, est quelque chose qui mériterait tout à fait d'être étendu. La dimension diachronique risque, à force d'insister sur l'élément historique, sur l'élément répétition du vécu, risque en tout cas, risque de laisser de côté toute une dimension non moins importante qui est précisément ce qui peut apparaître, ce qui est inclus, latent dans là position de l'analyste, par quoi gît dans l'espace qu'il détermine là fonction de cet objet partiel.

C'est ce que, vous parlant du transfert, si vous vous en souvenez, je dési­gnai par là métaphore, il me semble, assez claire, de là main qui se tend vers là bûche et au moment d'atteindre cette bûche, cette bûche va s'enflammer, dans là flamme, une autre main qui apparaît, se tend vers là première. C'est ce que j'ai également désigné, en étudiant Le Banquet de Platon, par là fonc­tion nommée de l'agalma dans le discours d'Alcibiade. Je pense que l'in­suffisance de cette référence synchronique à là fonction de l'objet partiel dans là relation analytique, dans là relation de transfert, établit là base de l'ouverture d'un dossier concernant un domaine dont je suis étonné et pas étonné à là fois, pas surpris tout au moins, qu'il soit laissé dans l'ombre, à savoir qu'un certain nombre de boiteries de là fonction sexuelle peuvent être considérées comme distribuées dans un certain champ de ce qu'on peut appeler le résultat post-analytique. ( 109 )

Je crois que cette analyse de là fonction de l'analyste comme espace du champ de l'objet partiel, c'est précisément devant quoi, du point de vue  analytique, nous a arrêtés Freud dans son article sur Analyse terminée et analyse interminable. Si l'on part de l'idée que là limite de Freud, ça a été, on là retrouve à travers toutes ses observations, là non-aperception de ce qu'il y avait de proprement à analyser dans là relation synchronique de l'analysé à l'analyste concernant cette fonction de l'objet partiel, on y verra, et si vous le voulez, j'y reviendrai, le ressort même de son échec, de l'échec de son intervention avec Dora, avec là femme du cas de l'homosexualité féminine; on y verra surtout pourquoi Freud nous désigne dans l'angoisse de castration ce qu'il appelle là limite de l'analyse, précisément dans là mesure où, lui, restait pour son analysé, le siège, le lieu de cet objet partiel. Si Freud nous dit que l'analyse laisse homme et femme sur leur soif, l'un dans le champ de ce qu'on appelle proprement, chez le mâle, complexe de castration et l'autre sur le Penisneid, ce n'est pas là une limite absolue. C'est là limite où s'arrête l'analyse finie avec Freud. C'est là limite que continue de suivre ce parallélisme indéfiniment approché qui caractérise l'asympto­te. L'analyse que Freud appelle l'analyse indéfinie, illimitée, et non pas infi­nie', c'est, dans là mesure où quelque chose dont au moins je peux poser là question de savoir comment il est analysable, a été non pas, je dirai non ana­lysé, mais révélé d'une façon, seulement partielle, où s'institue cette limite.

Ne croyez pas que je dise là, que j'apporte là quelque chose encore qui doive être considéré comme complètement hors des limites, des épures déjà dessinées par notre expérience; puisque après tout, pour faire référence à des travaux récents et familiers au champ français' de notre travail, c'est autour de l'envie du pénis, qu'un analyste pendant des années qui constituent le temps de son Oeuvre, a fait tourner tout spécialement ses analyses obsession­nelles. Ces observations au cours des années précédentes, combien de fois les ai-je devant vous commentées, et pour les critiquer, pour en montrer, avec ce que nous avions alors en main, ce que je considérai comme en étant l'achop­pement! Je formulerai ici, d'une façon plus précise, au point d'explication où nous arrivons, ce dont il s'agit, ce que je voulais dire. De quoi s'agissait il, nous le voyons à là lecture détaillée des observations, de quoi s'agissait il ? sinon de remplir ce champ que je désigne comme l'interprétation, à faire de là fonction phallique au niveau du grand Autre dont l'analyste tient là place, et de couvrir, dis-je, cette place avec le fantasme de fellatio, et spécia­lement concernant le pénis de l'analyste. Indication très claire. Le problème avait bien été vu, et laissez-moi vous dire que ce n'est pas par hasard, je veux 110 -  dire, par hasard, par rapport à ce que je suis en train de développer avec vous. Seulement ma remarque est que ce n'est là qu'un biais, et un biais insuffisant, car, en réalité, ce fantasme utilisé pour une analyse qui ne sau­rait être là exhaustive de ce dont il s'agit, ne fait que rejoindre un fantasme symptomatique de l'obsessionnel.

Et pour désigner ce que je veux dire, je me rapporterai ici à une référen­ce qui, dans là littérature, est vraiment exemplaire, à savoir le comportement bien connu, nocturne de L'homme aux rats quand, après avoir obtenu de lui-même sa propre érection devant là glace il va ouvrir là porte sur ce palier, sur son palier, au fantasme imaginé de son père mort, pour présenter, devant les yeux de ce spectre, l'état actuel de son membre. Analyser ce dont il s'agit donc uniquement au niveau de ce fantasme de fellatio de l'analyste telle­ment lié par l'auteur dont il s'agit à ce qu'il appelait là technique du rap­procher, au rapport de là distance considérée comme essentielle, fondamen­tale de là structure obsessionnelle, nommément dans ses rapports avec là psychose, c'est je crois, seulement avoir permis au sujet, voire l'avoir encou­ragé à prendre dans cette réaction fantasmatique, qui est celle de L'homme aux rats, à prendre le rôle de cet Autre, dans le mode de présence qui est jus­tement ici constitué par là mort, de cet Autre qui regarde en le poussant même je dirai, fantasmatiquement, simplement par là fellatio, un peu plus loin. Il est évident que ce dernier point, ce dernier terme, ne s'adresse ici qu'à ceux dont là pratique permet de mettre là portée de ces remarques tout à fait à leur place.

Je terminerai sur le chemin où nous avancerons plus loin là prochaine fois et pour donner leur sens à ces deux images que je vous ai désignées ici dans le coin droit et bas du tableau : le premier représente un, ça ne se voit pas, en fait, du premier coup, représente un vase, avec son encolure. J'ai mis en face de vous le trou de cette encolure pour désigner, pour bien vous mar­quer, que ce qui m'importe, c'est le bord (Fig. 9). La seconde est là trans­formation qui peut se produire concernant cette encolure et ce bord. A par­tir de là, va vous apparaître l'opportunité de là longue insistance que j'ai mise l'année dernière sur des considérations topologiques concernant là fonction de l'identification, je vous l'ai précisé, au niveau du désir, à savoir le troisième type désigné par Freud, dans son article sur l'Identification, celui dont il trouve l'exemple majeur dans l'hystérie.

Voici l'incidence et là portée de ces considérations topologiques. Je vous -111- ai dit que je vous ai laissés aussi longtemps sur le cross-cap pour vous don­ner là possibilité de concevoir intuitivement ce qu'il faut appeler là distinc­tion de l'objet dont nous parlons, a, et de l'objet créé, construit à partir de là relation spéculaire, de l'objet commun justement concernant l'image spé­culaire. Pour aller vite, je vais, je pense, vous le rappeler, en des termes dont là simplicité suffira étant donné tout le travail accompli antérieurement. Qu'est-ce qui fait qu'une image spéculaire est distincte de ce qu'elle repré­sente ? C'est que là droite devient là gauche et inversement. Autrement dit, si nous faisons confiance à cette idée, nous avons ordinairement notre récompense à faire confiance aux choses, même les plus aphoristiques de Freud, que le Moi est une surface, c'est en termes topologiquement de pure surface que le problème doit se poser; l'image spéculaire, par rapport à ce qu'elle redouble, est exactement le passage du gant droit au gant gauche, ce que l'on peut obtenir sur une simple surface à retourner le gant. Souvenez­-vous que ce n'est pas d'hier que je vous parle du gant ni du chaperon. Tout le rêve cité par Ella Sharpe tourne pour là plus grande part autour de ce modèle. ai dit que je vous ai laissés aussi longtemps sur le cross-cap pour vous don­ner la possibilité de concevoir intuitivement ce qu'il faut appeler la distinc­tion de l'objet dont nous parlons, a, et de l'objet créé, construit à partir de la relation spéculaire, de l'objet commun justement concernant l'image spé­culaire. Pour aller vite, je vais, je pense, vous le rappeler, en des termes dont la simplicité suffira étant donné tout le travail accompli antérieurement. Qu'est-ce qui fait qu'une image spéculaire est distincte de ce qu'elle repré­sente ? C'est que la droite devient la gauche et inversement. Autrement dit, si nous faisons confiance à cette idée, nous avons ordinairement notre récompense à faire confiance aux choses, même les plus aphoristiques de Freud, que le Moi est une surface, c'est en termes topologiquement de pure surface que le problème doit se poser; l'image spéculaire, par rapport à ce qu'elle redouble, est exactement le passage du gant droit au gant gauche, ce que l'on peut obtenir sur une simple surface à retourner le gant. Souvenez vous que ce n'est pas d'hier que je vous parle du gant ni du chaperon. Tout le rêve cité par Ella Sharpe tourne pour la plus grande part autour de ce modèle.

Faites-en maintenant l'expérience avec ce que je vous ai appris à connaître - ceux qui ne le connaissent pas encore, j'espère qu'il n'y en a pas beaucoup - dans la bande de Mœbius, c'est-à-dire - je le rappelle pour ceux qui n'en ont pas encore entendu parler - vous obtenez très facilement, n'importe comment, à prendre cette ceinture, et après l'avoir ouverte, à la renouer avec elle-même en lui faisant faire, en cours de route, un demi-tour, vous obtenez une bande de Mœbius, c'est-à-dire quelque chose où une fourmi se prome­nant passe d'une des apparentes faces à l'autre face, sans avoir besoin de pas­ser par le bord, autrement dit une surface à une seule face. Une surface à une seule face ne peut pas être retournée, car effectivement vous prenez une bande de Mœbius, vous la faites, vous verrez qu'il y a deux -112- façons de la faire, selon qu'on tourne, qu'on fait le demi-tour dont je vous parlai tout à l'heure, à droite ou à gauche, et qu'elles ne se recouvrent pas. Mais si vous en retournez une sur elle-même, elle sera toujours identique à elle-même. C'est ce que j'appelle n'avoir pas d'image spéculaire.

Vous savez d'autre part que je vous ai dit que dans le cross-cap, quand, par une section, une coupure, qui n'a d'autre condition que de se rejoindre elle-même, après avoir inclus en elle le point trou du cross-cap, quand, dise, vous isolez une part du cross-cap, il reste une bande de Mœbius. La par­tie résiduelle, la voici. Je l'ai construite pour vous, je la fais circuler. Elle a son petit intérêt parce que, laissez-moi vous le dire, ceci, c'est a. Je vous le donne comme une hostie, car vous vous en servirez par la suite. a, c'est fait comme ça. C'est fait comme ça quand s'est produite la coupure, quelle qu'elle soit, que ce soit celle du cordon, celle de la circoncision, et quelques autres encore que nous aurons à désigner. Il reste, après cette coupure quel­le qu'elle soit, quelque chose de comparable à la bande de Mœbius, quelque chose qui n'a pas d'image spéculaire.

Alors, maintenant, voyez bien ce que je veux vous dire. Premier temps, le vase qui est ici, il a son image spé­culaire, le moi idéal, constitutif de ce monde de l'objet commun. Ajoutez­-y a sous la forme d'un cross-cap, et séparez, dans ce cross-cap, le petit objet a que je vous ai mis entre les mains. Il reste, adjoint à i(a) le reste, 

c'est-à-dire une bande de Mœbius. Autrement dit, je vous la représente ici, c'est la même chose que si vous faites partir du point opposé du bord du vase, une surface qui se joint, comme dans là bande de Moebius., car à par­tir de ce moment-là, tout le vase devient une bande de Moebius, puisqu'une fourmi qui se promène à l'extérieur entre sans aucune difficulté à l'intérieur. L'image spéculaire devient l'image étrange et envahissante du double, devient ce qui se passe peu à peu à la fin de la vie de Maupassant quand il commence par ne plus se voir dans le miroir, ou qu'il aperçoit dans une pièce quelque chose qui lui tourne le dos et dont il sait immédiatement qu'il n'est pas sans avoir un certain rapport avec ce fantôme; et quand le fantô­me se retourne, il voit que c'est lui. Tel est ce dont il s'agit dans l'entrée de a dans le monde du réel, où il ne fait que revenir. Et observez, pour terminer, ce dont il s'agit. Il peut vous sembler étrange, bizarre comme hypothèse, que quelque chose ressemble à ça. Observez pourtant que si nous nous mettions en dehors de l'opération du champ visuel, en aveugle, fermez les yeux pour un instant, et à tâtons, suivez le bord de ce vase transformé. Mais c'est un vase comme l'autre, il n'y a qu'un trou puisqu'il n'y a qu'un bord. Il a l'air d'en avoir deux. Et cette ambiguïté du un et du deux, je pense que ceux qui ont simplement un peu de lecture savent que c'est une ambiguïté commune concernant l'appa­rition du phallus, dans le champ de l'apparition onirique, et pas seulement onirique, dans le champ du sexe où il n'y en a pas apparemment de phallus réel. Son mode ordinaire d'apparition est d'apparaître sous la forme de deux phallus. Voilà assez pour aujourd'hui.

1 - `arel signifie incirconcis = « prépucé » - `arela = le prépuce.

2 - Lagache D., « Le problème du transfert » in Revue Française de Psychanalyse t. XVI, 1952.

3 - Traduction donnée par la Revue Française de Psychologie °n 1939.

4 - M. Bouvet, La relation d'objet tome 1, ed. Payot.-114-


 

 

 




Lecon VI du déminaire l'angoisse de Lacan

Leçon VI 19 décembre 1962

 

 

 

 

 

 

 

Donc ce que j'évoque ici pour vous n'est pas de la métaphysique. Je m'étais permis d'employer un terme auquel l'actualité a fait depuis quelques années un sort, je parlerai plutôt de lavage de cerveau. Ce que j'entends, c'est grâce à une méthode vous apprendre à reconnaître, à reconnaître à la bonne place ce qui se présente dans votre expérience et bien entendu l'effi­cacité de ce que je prétends faire ne s'éprouve qu'à l'expérience. Et si par­fois on a pu objecter la présence à mon enseignement de certains que j'ai en analyse, après tout la légitimité de cette coexistence de deux rapports avec moi, celui où l'on m'entend et celui où de moi l'on se fait entendre, ne peut se juger qu'à l'intérieur et pour autant que ce qu'ici je vous apprends peut effectivement faciliter à chacun, j'entends aussi bien à celui qui travaille avec moi, l'accès à la reconnaissance de son propre chemin. A cet endroit, bien sûr, il y a quelque chose, une limite, où le contrôle externe s'arrête mais assurément ce n'est pas un mauvais signe, si l'on peut voir, que ceux-là qui participent de ces deux positions y apprendront au moins à mieux lire.

Lavage de cerveau, ai-je dit, c'est bien pour moi m'offrir à ce contrôle que je reconnaisse dans les propos de ceux que j'analyse autre chose que ce qu'il y a dans les livres. Inversement, pour eux, c'est qu'ils sachent dans les livres reconnaître au passage ce qu'il y a effectivement dans les livres. Et à cet endroit, je ne puis que m'applaudir, par exemple d'un petit signe, comme celui-ci récent, qui m'a été donné de là bouche de quelqu'un justement que j'ai en analyse, qu'au passage ne lui échappe pas là portée d'un trait comme celui-ci qu'on peut accrocher dans un livre, dont là traduction est venue récemment, combien tard, d'une œuvre de Ferenczi en français, à savoir ce livre dont le titre original est Versuch einer Genital Theorie, Recherche, très exactement, d'une théorie de la génitalité, et non pas simplement Des ori­gines de la vie sexuelle comme on l'a ici noyé, livre assurément qui n'est pas sans inquiéter par quelque côté, que j'ai déjà, pour ceux qui savent entendre, dès longtemps pointé, comme pouvant à l'occasion participer du délire, mais qui apportant avec lui cette énorme expérience laisse tout de même en ses détours déposer plus d'un trait pour nous précieux; et celui-ci dont je suis sûr que l'auteur lui-même ne lui donne pas tout l'accent qu'il faut jus­tement dans son dessein, dans sa recherche, d'arriver à une notion trop har­monisante, trop totalisante de ce qui fait son objet, à savoir, là visée, là réa­lisation génitale.

Au passage, le voici qui s'exprime ainsi: « Le développement de la sexua­lité génitale, dont nous venons, dit-il, chez l'homme - c'est en effet ce qu'il y a chez l'homme mâle, le mâle - de schématiser les grandes lignes, subit chez la femme par » ce qu'on a traduit par « une interruption plutôt inat­tendue », traduction tout à fait impropre puisqu'il s'agit en allemand d'« eine ziemlich unvermittelte Unterbrechung », d'une interruption, ça veut dire le plus souvent qu'elle est sans médiation, qu'elle ne fait donc pas partie de ce que Ferenczi qualifie d'amphimixie, et qui n'est en fin de compte qu'une des formes naturalisées de ce que nous appelons thèse, anti­thèse, synthèse, de ce que nous appelons progrès dialectique si je puis dire. Ce qui sans doute n'est pas le terme qui, dans l'esprit de Ferenczi est valo­risé, mais ce qui anime effectivement toute sa construction; c'est bien ce qu'il note, c'est que unvermittelte, c'est-à-dire latéral par rapport à ce procès, - et n'oublions pas ce qu'il s'agit de trouver - de là synthèse et de l'harmonie génitale, est donc à traduire ici par plutôt « en impasse », « en dehors des progrès de la médiation ». « Cette interruption », dit-il « est carac­térisée - et il ne fait là qu'accentuer ce que nous dit Freud -par le dépla­cement de l'érogénéité du clitoris (pénis féminin) à la cavité vaginale. L'expérience analytique nous incline cependant à supposer que, chez la femme, non seulement le vagin, mais aussi d'autres parties du corps, peuvent se génitaliser, comme l'hystérie en témoigne également, en particulier le mamelon et la région qui l'entoure ». Comme vous le savez, il y a bien d'autres zones encore dans l'hystérie. D'ailleurs aussi bien là traduction ici, faute de suivre effectivement le précieux de ce qui ici nous est apporté comme matériel, traduction en quelque sorte littérale, il y a simplement, non pas: « en témoigne également », mais « nach Art der Hysterie » en allemand.

Qu'est-ce que ça veut dire? Qu'est-ce que ça veut dire, pour quelqu'un qui a appris, que ce soit ici ou ailleurs, à entendre, si ce n'est que l'entrée en fonction du vagin comme tel, dans là relation génitale, est un mécanisme strictement équivalent à tout autre mécanisme hystérique ? Et, ici, pourquoi nous étonner? Pourquoi nous en étonner à partir du moment où, par notre schéma de là place du lieu vide, dans là fonction du désir, vous êtes tout prêt à reconnaître quelque chose dont le moins qu'on puisse dire est que, pour vous, pourra au moins se situer ce paradoxe, ce paradoxe qui se définit ainsi, c'est que le lieu, là maison de là jouissance se trouve normalement, puisque naturellement placé justement en un organe que vous savez de là façon là plus certaine, par l'expérience comme par l'investigation anatamo-physio­logique, comme insensible au sens qu'il ne saurait même s'éveiller à là sen­sibilité pour là raison qu'il est énervé, que le lieu, le lieu dernier de là jouis­sance, de là jouissance génitale, est un endroit - après tout, ce n'est pas un mystère - où l'on peut déverser des déluges d'eau brûlante, et à une tem­pérature telle qu'elle ne saurait être supportée par aucune autre muqueuse, sans provoquer des réactions sensorielles actuelles, immédiates.

Qu'est-ce à dire, si ce n'est qu'il y a tout lieu pour nous de repérer de telles corrélations, avant d'entrer dans le mythe diachronique d'une préten­due maturation, qui ferait du point, sans doute, nécessaire, d'arrivée, d'achèvement, d'accomplissement de là fonction sexuelle dans là fonction génitale, autre chose qu'un procès de maturation, qu'un lieu de convergen­ce, de synthèse, de tout ce qui a pu se présenter jusque là de tendances partielles et qu'à reconnaître, non seulement là nécessité de cette place vide, en un point fonctionnel du désir, mais de voir que même c'est là que là natu­re elle-même, que là physiologie va trouver son point fonctionnel le plus favorable, nous nous trouvons ainsi dans une position plus claire, à là fois délivrés de ce poids de paradoxe qui va nous faire imaginer tant de constructions mythiques autour de là prétendue jouissance vaginale; non pas, bien sûr, que quelque chose ne soit pas indicable au-delà, et c'est, si vous vous en souvenez bien, ceux qui ont assisté à notre Congrès d'Amsterdam' ce dont ils peuvent se souvenir qu'à l'entrée de ce Congrès, j'ai indiqué, ce qui, faute d'appareil, faute de ce registre structural dont j'es­saie ici de vous donner les articulations, n'a même pas pu, au cours d'un congrès où beaucoup de choses, et méritoires, se sont dites, être effective­ment articulé et repéré comme tel. Et pourtant combien précieux pour nous est de savoir, puisque aussi bien tous les paradoxes concernant là place à don­ner à l'hystérie dans ce qu'on pourrait appeler l'échelle des névroses, cette ambiguïté notamment qui fait que du fait de ces analogies évidentes et dont là le vous pointe là pièce maîtresse, là pièce majeure avec le mécanisme hys­térique, nous sommes appelés à là mettre dans une échelle diachronique, comme là névrose là plus avancée parce que là plus proche de l'achèvement génital qu'il nous faut, cette conception diachronique, là mettre au terme de là maturation infantile et que par le renversement que là clinique nous montre, au contraire, il nous faut bien, dans l'échelle névrotique, là consi­dérer au contraire comme là plus primaire, celle sur laquelle nommément, par exemple, les constructions de là névrose obsessionnelle s'édifient, que les relations de l'hystérie, pour tout dire, avec là psychose elle-même, avec là schizophrénie, sont évidentes.

La seule chose qui puisse nous permettre de ne pas aussi éternellement, selon les besoins, et les observateurs nous rapportent les points de vue que nous avons à aborder sur l'hystérie, là mettre ainsi, soit à là fin, soit au début des prétendues phases évolutives, c'est avant tout, et d'abord, de là rappor­ter à ce qui prévaut, à savoir là structure, là structure synchronique du désir (fig.1) c'est d'isoler, dans là structure constituante du désir comme tel, ce qui fait que je désigne cette place, là place du blanc, là place du vide, comme jouant toujours une fonction essentielle et que cette fonction soit mise en évidence de là façon majeure, dans là structure achevée, terminale, de là rela­tion génitale, c'est à là fois là confirmation du bien-fondé de notre méthode,

86 c'est aussi l'amorce d'une vision plus claire, déblayée de ce dans quoi nous avons à nous repérer concernant les phénomènes proprement du génital. Sans doute y a-t-il obstacle, objection à ce que nous le voyions directe­ment puisqu'il nous faut passer pour y atteindre, par une voie un peu détournée. Cette voie de détour, c'est l'angoisse, et c'est pour ça que nous y sommes cette année.

Le point où nous sommes en ce moment, où s'achève avec l'année une première phase de notre discours consiste donc à bien vous dire qu'il y a une structure de l'angoisse, et l'important, le vif de là façon dont, dans ces premiers entretiens, je l'ai annoncée, amenée, abordée pour vous, est assez dans cette image, je veux dire dans ce qu'elle apporte d'arêtes vives qui est à prendre dans tout son caractère spécifié. Je dirais même jusqu'à un certain point qu'elle ne montre pas encore assez, sous cette forme tachygraphique, où, je vous le répète au tableau depuis le début de mon discours, il faudrait insister sur ceci, que ce trait, c'est quelque chose que vous voyez par là tranche et qui est un miroir. Un miroir ne s'étend pas à l'infini, un miroir a des limites, et ce qui vous le rappelle, c'est si vous vous rapportez à l'article [Remarque sur le rapport de Daniel Lagache, Écrits pp. 647 à 684] dont ce schéma est extrait, que ces limites du miroir, j'en fait état. On peut voir quelque chose dans ce miroir à partir d'un point situé, si l'on peut dire, quelque part dans l'espace du miroir d'où il n'est pas, pour le sujet, aper­ceptible. Autrement dit, je ne vois pas forcément moi-même mon oeil dans le miroir, même si le miroir m'aide à apercevoir quelque chose que je ne ver­rai pas autrement. Ce que je veux dire par là, c'est que là première chose à avancer concernant cette structure de l'angoisse, c'est quelque chose que vous oubliez toujours dans les observations où elle se révèle, fascinés par le contenu du miroir, vous oubliez ses limites, et que, l'angoisse est encadrée.

Ceux qui ont entendu mon intervention aux Journées Provinciales concernant le fantasme, - intervention dont après deux mois et une semai­ne, j'attends toujours qu'on me remette le texte - peuvent se rappeler que je me suis servi comme métaphore, d'un tableau qui vient se placer dans l'encadrement d'une fenêtre, technique absurde sans doute, s'il s'agit de mieux voir ce qui est sur le tableau, mais comme je l'ai aussi expliqué, ce n'est pas de cela justement qu'il s'agit, c'est, quel que soit le charme de ce qui est peint sur là toile, de ne pas voir ce qui se voit par là fenêtre. Ce que le rêve inaugural dans l'histoire de l'analyse vous montre dans ce rêve de 87  

L'homme aux loups, dont le privilège est que, comme il arrive incidemment et d'une façon non ambiguë, c'est qu'il est l'apparition dans le rêve d'une forme pure schématique du fantasme, c'est parce que le rêve à répétition de L'homme aux loups est le fantasme pur dévoilé dans sa structure, qu'il prend toute son importance, et que Freud le choisit pour faire, dans cette obser­vation, qui n'a pour nous ce caractère inépuisé, inépuisable que parce qu'il s'agit essentiellement et de bout en bout du rapport du fantasme au réel. Qu'est-ce que nous voyons dans ce rêve ? La béance soudaine, et les deux termes sont indiqués, d'une fenêtre. Le fantasme se voit au-delà d'une vitre et par une fenêtre qui s'ouvre, le fantasme est encadré et ce que vous voyez au-delà, vous y reconnaîtrez, si vous savez bien sûr vous en apercevoir, vous y reconnaîtrez, sous ses formes les plus diverses, là structure qui est celle que vous voyez ici dans le miroir de mon schéma. Il y a toujours les deux barres d'un support plus ou moins développé et de quelque chose qui est supporté; il y a les loups, sur les branches de l'arbre, il y a sur tel dessin de schizophrène - je n'ai qu'à ouvrir n'importe quel recueil pour le ramasser, si je puis dire, à là pelle - aussi, à l'occasion, quelque arbre, avec au bout par exemple, pour prendre mon premier exemple dans le rapport que Jean Bobon a fait au dernier Congrès d'Anvers', sur le phénomène de l'expres­sion, avec au bout de ses branches, quoi ? Ce qui pour un schizophrène remplit le rôle que les loups jouent dans ce cas border-line qu'est L'homme aux loups. Ici, un signifiant, c'est au-delà des branches de l'arbre que le schi­zophrène en question écrit là formule de son secret : « lo sono sempre vista », à savoir ce qu'elle n'a jamais pu dire, jusque là, « Je suis toujours vue ». Encore ici, faut-il que je m'arrête pour vous faire apercevoir qu'en italien comme en français vista a un sens ambigu; ce n'est pas seulement un participe passé, c'est aussi là vue avec ses deux sens subjectif et objectif, là fonction de là vue et le fait d'être vue, comme on dit là vue du paysage, celle qui est prise là comme jet sur une carte postale. Je reviendrai, bien sûr, sur tout cela.

Ce que je veux seulement, aujourd'hui, ici accentuer c'est que l'horrible, le louche, l'inquiétant, tout ce par quoi nous traduisons, comme nous pou­vons en français, ce magistral unheimlich, se présente par des lucarnes, que c'est encadré que se situe pour nous le champ de l'angoisse. Ainsi, vous retrouvez ce par quoi pour vous j'ai introduit là discussion, à savoir le rapport de là scène au monde. 88  Soudain, tout d'un coup, toujours ce terme vous le trouverez, au moment de l'entrée du phénomène de l'unheimlich. La scène qui se propose dans sa dimension propre, au-delà sans doute, nous savons, que ce qui doit s'y réfé­rer, c'est ce qui dans le monde ne peut se dire, c'est ce que nous attendons toujours au lever du rideau, c'est ce court moment vite éteint de l'angoisse, mais qui ne manque jamais à là dimension par où nous faisons plus que de venir installer dans un fauteuil plus ou moins chèrement payé, nos derrières, qui est le moment des trois coups, qui est le moment du rideau qui s'ouvre. Et sans ça, ce temps introductif vite élidé de l'angoisse, rien ne saurait même prendre sa valeur de ce qui va se déterminer comme tragique ou comme comique, ce qui ne peut pas, là encore, toutes les langues ne vous donnent pas les mêmes ressources, ce n'est pas de können qu'il s'agit; bien sûr, beau­coup de choses peuvent se dire, matériellement parlant; c'est d'un pouvoir dürfen que traduit mal le permis ou pas permis, dürfen se rapportant à une dimension plus originelle. C'est même parce que man darf nicht que cela ne se peut pas que man kann, qu'on va tout de même pouvoir et que, là, agit le forçage, là dimension de détente, que constitue à proprement parler, l'ac­tion dramatique.

Nous ne saurions trop nous attarder aux nuances de cet encadrement de l'angoisse. Allez-vous dire que je là sollicite dans le sens de là ramener à l'at­tente, à là préparation, à un état d'alerte, à une réponse qui est déjà de défen­se à ce qui va arriver? Cela oui, c'est l'Erwartung, c'est là constitution de l'hostile comme tel, c'est le premier recours au-delà de l'Hilflosigkeit.

Mais l'angoisse est autre chose. Si, en effet, l'attente peut servir, entre autres moyens, pour son encadrement, pour tout dire, nul besoin de cette attente l'encadrement est toujours là! L'angoisse est autre chose, l'angoisse, c'est quand apparaît dans cet encadrement ce qui était déjà là beaucoup plus près, à là maison, Heim, l'hôte, allez-vous dire? En un certain sens, bien sûr, cet hôte inconnu qui apparaît de façon inopinée, a tout à fait à faire avec ce qui se rencontre dans l'unheimlich, mais c'est trop peu que de le désigner ainsi car, comme le terme vous l'indique, alors pour le coup, fort bien, en français, cet hôte, dans son sens ordinaire, est déjà quelqu'un de bien tra­vaillé par l'attente. Cet hôte, c'est déjà ce qui était passé dans l'hostile, dans l'hostile par quoi j'ai commencé ce discours de l'attente. Cet hôte, au sens ordinaire, ce n'est pas le heimlich, ce n'est pas l'habitant de là maison, c'est de l'hostile amadoué, apaisé, admis. Ce qui de l'heim, ce qui est du Geheimnis, n'est jamais passé par ces détours, en fin de compte, n'est jamais passé par ces réseaux, par ces tamis, par ces tamis de là reconnaissance, il est resté unheimlich, moins inhabitable qu'inhabitant, moins inhabituel qu'in­habitué.

C'est ce surgissement de l'heimlich dans le cadre qui est le phénomène de l'angoisse, et c'est pourquoi il est faux de dire que l'angoisse est sans objet. L'angoisse a une autre sorte d'objet que toute appréhension préparée, struc­turée, structurée par quoi ? par là grille de là coupure, du sillon, du trait unaire, du c'est ça qui toujours, en opérant si l'on peut dire, ferme les lèvres - je dis là lèvre ou les lèvres - de cette coupure qui devient lettre close sur le sujet, pour, comme je vous l'ai expliqué là dernière fois, le renvoyer sous pli fermé à d'autres traces. Les signifiants font du monde un réseau de traces, dans lequel le passage d'un cycle à l'autre est dès lors possible. Ce qui veut dire quoi ? Ce que je vous ai dit là dernière fois, le signifiant engendre un monde, le monde du sujet qui parle dont là caractéristique essentielle est qu'il est possible d'y tromper.

L'angoisse, c'est cette coupure même sans laquelle là présence du signi­fiant, son fonctionnement, son entrée, son sillon dans le réel est impen­sable. C'est cette coupure qui s'ouvre et qui laisse apparaître ce que main­tenant vous entendez mieux quand je vous dirai l'inattendu, là visite, là nouvelle, ce que si bien exprime le terme de pressentiment qui n'est pas simplement à entendre comme pressentiment de quelque chose, mais aussi le « pré » du sentiment, ce qui est avant là naissance d'un sentiment. Tous les aiguillages sont possibles à partir de quelque chose qui est l'angoisse, ce qui est en fin de compte ce que nous attendions et qui est là véritable substance de l'angoisse, le ce qui ne trompe pas, le hors de doute, car, ne vous laissez pas prendre aux apparences, ce n'est pas parce que le lien peut vous paraître cliniquement sensible, bien sûr, de l'angoisse au doute, à l'hésitation au jeu, dit ambivalent de l'obsessionnel, que c'est là même chose.

L'angoisse n'est pas le doute. L'angoisse c'est là cause du doute. Je dis là cause du doute, ce n'est pas là première fois et ce ne sera pas là dernière que j'aurai ici à revenir sur ceci que si se maintient, après tant de siècles d'ap­préhension critique, là fonction de là causalité, c'est bien parce qu'elle est ailleurs que là où on là réfute et que, s'il y a une dimension où nous devons chercher là vraie fonction, le vrai poids, le sens du maintien de là fonction - 90 -de là causalité, c'est dans cette direction de l'ouverture de l'angoisse. Le doute, donc, vous dis-je, n'est fait que pour combattre l'angoisse et juste­ment, tout ce que le doute dépense d'effort, c'est contre des leurres. C'est dans là mesure où ce qu'il s'agit d'éviter, c'est ce qui, dans l'angoisse, se tient d'affreuse certitude.

Je pense que là vous m'arrêterez pour me dire ou me rappeler ce que j'ai plus d'une fois avancé sous des formes aphoristiques, que toute activité humaine s'épanouit dans là certitude, ou encore qu'elle engendre là certitude, ou d'une façon générale que là référence de là certitude, c'est essentiellement l'action. Eh! bien, oui, bien sûr, et c'est justement ce qui me permet d'intro­duire maintenant le rapport essentiel de l'angoisse à l'action comme telle, c'est justement peut-être de l'angoisse que l'action emprunte sa certitude.

Agir, c'est arracher à l'angoisse sa certitude. Agir, c'est opérer un transfert d'angoisse. Et si je me permets d'avancer ceci, ce discours, en fin de tri­mestre, peut-être un peu vite, c'est pour combler ou presque combler les blancs que je vous ai laissés dans le tableau de mon premier séminaire. Je pense que vous vous en souvenez, celui qui s'ordonne ainsi Inhibition, symptôme, angoisse, empêcher, qui l'a complété de l'embar­rasser, de l'émotion et ici de l'émoi. Je vous ai dit, ici qu'est-ce qu'il y a ? Deux choses, le passage à l'acte et l'acting-out. J'ai dit presque compléter parce que je n'ai pas le temps de vous dire pourquoi le passage à l'acte est à cette place et l'acting-out à une autre mais je vais tout de même vous faire avancer dans ce chemin en vous faisant remarquer, dans le rapport le plus étroit à notre propos ce matin, l'opposition de ce qui était déjà impliqué, et même exprimé dans ma première introduction de ces termes, et dont je vais maintenant souligner la position, à savoir, ce qu'il y a d'en trop dans l'em­barras, ce qu'il y a d'en moins dans ce que je vous ai, par un commentaire étymologique dont vous vous souvenez, je pense, tout au moins ceux qui étaient là, souligné du sens de l'émoi. -91-

L'émoi, vous ai-je dit, est essentiellement l'évocation du pouvoir qui fait défaut, esmayer, l'expérience de ce qui vous manque dans le besoin. C'est dans là référence à ces deux termes dont là liaison est essentielle en notre sujet, car cette liaison en souligne l'ambiguïté; si c'est en trop, ce à quoi nous avons affaire, alors, il ne nous manque pas, s'il vient à nous manquer, pourquoi dire qu'ailleurs il nous embarrasse, prenons garde ici de ne pas céder aux illusions les plus flatteuses.

En nous attaquant ici nous-mêmes à l'angoisse, que voulons-nous, que veulent tous ceux qui en ont parlé scientifiquement? Parbleu, ce qui était pur besoin, qui était pour moi exigé que je pose au départ, comme néces­saire à là constitution d'un monde, c'est ici que ça se révèle n'être pas vain, et que vous en avez le contrôle. Ça se voit mieux parce qu'il s'agit justement de l'angoisse. Et ce qui se voit, c'est quoi ? Et vouloir proprement en parler scientifiquement, c'est montrer qu'elle est quoi? une immense duperie. On ne s'aperçoit pas que tout ce sur quoi s'étend là conquête de notre discours revient toujours à montrer que c'est une immense duperie.

Maîtriser par là pensée le phénomène c'est toujours montrer comment on peut le refaire d'une façon trompeuse, c'est pouvoir le reproduire, c'est­-à-dire pouvoir en faire un signifiant. Un signifiant de quoi? Le sujet en le reproduisant peut falsifier le livre des comptes, ce qui n'est pas fait pour nous étonner, s'il est vrai, comme je vous l'enseigne, que le signifiant, c'est là trace du sujet dans le cours du monde. Seulement, si nous croyons pou­voir continuer ce jeu avec l'angoisse, eh! bien, nous sommes sûrs de man­quer l'affaire, puisque justement j'ai posé tout d'abord que l'angoisse c'est ce qui regarde, ce qui échappe à ce jeu. Donc c'est cela dont il nous faut nous garder au moment de saisir ce que veut dire ce rapport d'embarras au signifiant en trop, de manque au signifiant en moins. Je vais l'illustrer, si vous ne l'avez déjà fait, ce rapport; s'il n'y avait pas l'analyse, bien sûr, je ne pourrais pas en parler, mais l'analyse l'a rencontré au premier tournant. Le phallus par exemple, Le petit Hans, logicien autant qu'Aristote, pose l'équation, tous les êtres animés ont un phallus. Je suppose bien sûr que je m'adresse à des gens qui ont suivi mon commentaire de l'analyse du petit Hans; qui se souviendront ici à ce propos, je pense, de ce que j'ai pris soin d'accentuer l'année dernière concernant là proposition dite affirmative uni­verselle. J'ai dit le sens sur ce que je voulais par là vous produire, à savoir que l'affirmation dite universelle, universelle positive, n'a de sens que de 92-  définition du Réel, à partir de l'impossible. Il est impossible qu'un être animé n'ait pas un phallus, ce qui, comme vous le voyez, pose là logique dans cette fonction essentiellement précaire de condamner le Réel à trébu­cher éternellement dans l'impossible. Et nous n'avons pas d'autre moyen de l'appréhender, nous avançons de trébuchement en trébuchement. Exemple il y a des êtres vivants, maman par exemple, qui n'ont pas de phallus, alors c'est qu'il n'y a pas d'être vivant, d'où angoisse.

Et le pas suivant est à faire. Il est certain que le plus commode, c'est de dire que, même ceux qui n'en ont pas, en ont. C'est bien pourquoi c'est celle à laquelle nous nous en tenons dans l'ensemble. C'est que les êtres vivants qui n'ont pas de phallus en auront envers et contre tout. C'est parce qu'ils auront un phallus que nous autres, psychologues, appellerons irréel, ce sera simplement le phallus signifiant qu'ils seront vivants.

Ainsi, de trébuchement en trébuchement, progresse je n'ose pas dire là connaissance, mais assurément là compréhension. Je ne peux pas résister au plaisir au passage de vous faire part d'une découverte que le hasard, le bon hasard, ce qu'on appelle le hasard, qui l'est si peu, une trouvaille que j'ai faite pour vous, pas plus tard que ce week-end, dans un dictionnaire de slang. Mon dieu! j'aurais mis du temps à y venir, mais là langue anglaise est vrai­ment une belle langue. Qui donc ici sait que déjà depuis le quinzième siècle, le slang anglais a trouvé cette merveille de remplacer à l'occasion I unders­tand you perfectly, par exemple, par I understumble ? c'est-à-dire - je l'écris, puisque là phonétisation vous a permis peut-être d'éviter là nuance - ce que je viens de vous expliquer, non pas ce que veut dire understand, je vous comprends, mais quelque chose d'intraduisible en français puisque tout le prix de ce mot de slang est le fameux stumble qui veut justement dire ce que je suis en train de vous expliquer, le trébuchement. Je vous comprends, ça me rappelle que cahin-caha, c'est toujours s'avancer dans le malentendu.

Aussi bien, si l'étoffe de l'expérience se composait, comme on nous l'en­seigne en psychologie classique, du réel et de l'irréel, et pourquoi pas, comment ne pas rappeler à ce propos ce que cela nous indique d'avoir à profiter quant à ce qu'est proprement là conquête freudienne, et que c'est nommément ceci, c'est que si l'homme est tourmenté par l'irréel dans le réel, il serait tout à fait vain d'espérer s'en débarrasser pour là raison qui est ce qui, dans là conquête freudienne, est bien justement l'inquiétant, c'est que dans l'irréel, c'est le réel qui le tourmente. Son souci, Sorge, nous dit le 93- philosophe Martin Heidegger. Bien sûr! Mais nous voilà bien avancés. Est-ce là le terme dernier qu'avant de s'agiter, de parler, de se mettre au boulot, le souci est présupposé ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Et ne voyons-­nous pas que nous sommes déjà là au niveau d'un art du souci? L'homme est évidemment un gros producteur de quelque chose qui, le concernant, s'appelle le souci. Mais alors, j'aime mieux l'apprendre d'un livre saint, qui est en même temps le livre le plus profanateur qui soit, qui s'appelle l'Ecclésiaste. Je pense que je m'y référerai dans l'avenir. Cet Ecclésiaste qui est là traduction, vous le savez, grecque, par les Septantes du terme Qoheleth, terme unique, employé dans cette occasion, qui vient de Qahal, assemblée, Qoheleth, en étant à là fois une forme abstraite et féministe, étant à proprement parler là vertu assemblante, là remeutante, l'ecclesia, si on veut, plutôt que l'Ecclésiaste.

Et qu'est-ce qu'il nous apprend, ce livre que j'ai appelé livre sacré et le plus profane. Le Philosophe ici ne manque pas d'y trébucher, à y lire, je ne sais plus quel écho, j'ai lu ça, épicurien! Épicurien, parlons-en à propos de l'Ecclésiaste ! Je sais bien qu'Epicure depuis longtemps a cessé de nous cal­mer, comme c'était, vous le savez, son dessein. Mais dire que l'Ecclésiaste a eu, un seul moment, une chance de nous produire le même effet, c'est vrai­ment pour ne l'avoir jamais même entrouvert! « Dieu me demande de jouir », textuel dans là Bible, c'est tout de même là parole de Dieu. Et même si ce n'est pas là parole de Dieu, pour vous, je pense que vous avez déjà remarqué là différence totale qu'il y a du Dieu des juifs au Dieu de Platon. Même si l'histoire chrétienne a cru devoir, à propos du Dieu des Juifs, trou­ver près du Dieu de Platon sa petite évasion psychotique, il est tout de même temps de se souvenir de là différence qu'il y a entre le Dieu, moteur universel d'Aristote, le Dieu souverain bien, conception délirante de Platon, et le Dieu des Juifs, c'est-à-dire un Dieu avec qui on parle, un Dieu qui vous demande quelque chose et qui, dans l'Ecclésiaste vous ordonne Jouis. Ça, c'est vraiment le comble! Car jouir aux ordres, c'est quand même quelque chose dont chacun sent que s'il y a une source, une origine de l'angoisse, elle doit tout de même se trouver quelque part par là. A cet ordre « Jouis! », je ne peux répondre qu'une chose, c'est, J’ouis. Bien sûr, mais naturellement, je ne jouis pas si facilement pour autant. Tel est le relief, l'originalité, là dimension, l'ordre de présence, dans lequel s'active pour nous le Dieu qui parle, celui qui nous dit expressément  qu'il est ce qu'il est. Pour m'avancer, pendant qu'il est là à ma portée, dans le champ de ses demandes, et parce que vous allez voir que c'est très proche de notre sujet, j'introduirai, c'est le moment, ce que vous pensez bien que ce n'est pas d'hier que j'ai en effet remarqué, c'est à savoir que, parmi ces demandes du Dieu à son peuple élu, privilégié, il y en a de tout à fait pré­cises et dont il semble que ce dieu n'ait pas eu besoin d'avoir là prescience          . de mon séminaire pour préciser bien les termes. Il y en a une qui s'appelle là circoncision. Il nous ordonne de jouir, et en plus il entre dans le mode d'emploi. Il précise là demande, il dégage l'objet. C'est en quoi, je pense, à vous comme à moi, n'a pas pu ne pas apparaître depuis longtemps l'extra­ordinaire embrouillamini, le cafouillage de l'évocation analogique qu'il y a dans là prétendue référence de là circoncision à là castration. Bien sûr que ça a un rapport avec l'objet de l'angoisse. Mais dire que là circoncision c'en soit là cause, soit de quelque façon que ce soit le représentant, l'analogue de ce que nous appelons là castration et son complexe, c'est là une grossière erreur. C'est ne pas sortir du symptôme justement, à savoir de ce qui, chez tel sujet circoncis peut s'établir de confusion concernant sa marque avec ce dont il s'agit éventuellement dans sa névrose, relativement au complexe de castration.

Car enfin, rien de moins castrateur que là circoncision. Que ce soit net, quand c'est bien fait, assurément, nous ne pouvons pas nier que le résultat soit plutôt élégant. Je vous assure qu'à côté de tous ces sexes, j'entends mâles, de grande Grèce que les antiquaires, sous prétexte que je suis ana­lyste, m'apportent par tombereaux, ce que ma secrétaire leur rend, dans là cour. A côté de tout ces sexes, dont le dois dire que par une accentuation que le n'ose qualifier d'esthétique le phimosis est toujours accentué d'une façon particulièrement dégueulasse, il y a tout de même dans là pratique de là circoncision quelque chose de salubre du point de vue esthétique. Et d'ailleurs ceux qui là-dessus continuent à répéter les confusions qui traî­nent dans les écrits psychanalytiques, tout de même, là plupart, ont saisi depuis longtemps qu'il y avait quelque chose du point de vue fonctionnel qui est aussi essentiel que de réduire, au moins pour une part d'une façon signifiante, l'ambiguïté qu'on appelle de type bisexuel. « Je suis là plaie et le couteau », dit quelque part Baudelaire. Eh! bien, pourquoi considérer comme là situation normale d'être à là fois le dard et le fourreau ? Il y a évi­demment dans cette attention rituelle de là circoncision, une réduction de 95- là bisexualité qui ne peut évidemment qu'engendrer quelque chose de salubre quant à là division des rôles.

Ces remarques, comme vous le sentez bien, ne sont pas latérales, elles ouvrent justement là question qui situe au-delà de ce qui, déjà, à partir de cette explication, ne peut plus déjà paraître comme une sorte de caprice rituel, mais quelque chose qui est conforme à ce que, dans là demande, je vous apprends à considérer comme ce cernement de l'objet, comme là fonc­tion de là coupure, c'est le cas de le dire, de cette zone délimitée ici; le Dieu demande en offrande, et très précisément pour dégager l'objet après l'avoir cerné, que si après cela les sources, comme l'expérience de ceux qui sont groupés se reconnaissent à ce signe traditionnel, que si leur expérience ne voit pas pour autant s'abaisser, peut-être loin de là, leur relation à l'angois­se, c'est à partir de là que là question commence.

L'un de ceux qui sont ici évoqués, et ce n'est vraiment pas dans mon assistance ne désigner personne, m'a appelé un jour, dans un billet privé, le dernier des cabalistes chrétiens. Rassurez-vous, si quelque investigation jouant à proprement parler sur le calcul des signifiants peut être quelque chose à quoi à l'occasion je m'attarde, elle ne me fera jamais prendre, si j'ose dire, ma vessie pour là lanterne de là connaissance; et bien plutôt, si cette lanterne s'avère être une lanterne sourde, d'y reconnaître ma vessie, mais plus directement que Freud parce que, venant après lui, j'interroge son Dieu : « Che vuoi ? », Que me veux-tu ?, autrement dit, quel est le rapport du désir à là loi ? Question toujours élidée par là tradition philosophique, mais à laquelle Freud a répondu, et vous en vivez, même si comme tout le monde vous ne vous en êtes pas aperçus. Réponse : c'est là même chose que ce que je vous enseigne, ce à quoi vous conduit ce que je vous enseigne et qui est déjà là dans le texte, masqué sous le mythe de l'Œdipe, c'est que, le désir et là loi, ce qui paraît s'opposer dans un rapport d'antithèse, ne sont qu'une seule et même barrière, pour nous barrer l'accès de là Chose. Velim, nolim, désirant, je m'engage dans là route de là Loi. C'est pourquoi Freud rapporte à cet opaque insaisissable désir du père l'origine de là loi. Mais à ce à quoi cette découverte et toute l'enquête analytique vous ramène, c'est à ne pas perdre de vue ce qu'il y a de vrai derrière ce leurre.

Qu'on me normative ou pas mes objets, tant que je désire, je ne sais rien de ce que je désire. Et puis, de temps en temps, un objet apparaît, parmi tous les autres, dont je ne sais vraiment pas pourquoi il est là. D'un côté, il y a  celui dont j'ai appris qu'il couvre mon angoisse, l'objet de là phobie - et je ne nie pas qu'il a fallu qu'on me l'explique, jusque là le ne savais ce que j'avais en tête, sauf à dire que vous en avez, vous en avez ou pas - de l'autre côté, il y a celui dont je ne peux vraiment justifier pourquoi c'est celui-là que je désire, et moi, qui ne déteste pas les filles, pourquoi j'aime encore mieux une petite chaussure. D'un côté, il y a le loup, de l'autre là bergère. C'est ici que je vous laisserai. A là fin de ces premiers entretiens sur l'an­goisse, il y a autre chose à entendre de l'ordre angoissant de Dieu, il y a là chasse de Diane dont, en un temps que j'ai choisi, celui du centenaire de Freud, je vous ai dit qu'elle était là voie de là quête de Freud, il y a ce à quoi je vous donne rendez-vous pour le trimestre qui vient concernant l'angois­se, il y a l'hallali du loup.

 

1 - Colloque international de Psychanalyse. Université municipale d'Amsterdam 5 au 9 sept. 60. J. Lacan: « Propos directifs pour un congrès sur la sexualité féminine »

1ère éd. La Psychanalyse, PUF 1964, n 7 pp. 3-14. 2e éd. Ecrits, Seuil, 1966, pp. 725-736. 2 - Congrès d° Neurologie °t d° psychiatrie d° langue française.

LX session. Anvers, 9 au 14 juillet 1962, pp. 77-197, ed. Masson et Cie.




Lecon V séminaire l'angoisse de Lacan. Suite psychanalyse

Nous allons remettre ceci à l'épreuve en ce sens que, concernant ce dont il s'agit, à savoir notre rapport, notre rapport angoissé à quelque objet perdu, mais qui n'est sûrement pas quand même perdu pour tout le monde, c'est à savoir, comme vous le verrez, comme je vous le montrerai, où est-ce qu'on le retrouve ? Car bien sûr, il ne suffit pas d'oublier quelque chose pour qu'il ne continue pas à être là, seulement il est là où nous ne savons plus le reconnaître. Pour le retrouver, il conviendrait de revenir sur le sujet de là trace. Car pour vous donner des termes destinés à animer pour vous l'intérêt de cette recherche, je vais tout de suite vous donner deux flashs sur le sujet de notre expérience là plus commune.

1 - Est-ce qu'il ne vous semble pas que là corrélation est évidente entre ce que j'essaie de dessiner pour vous et là phénoménologie du symptôme hystérique, le symptôme hystérique, au sens le plus large ? N'oublions pas qu'il n'y a pas que des petites hystéries, il y a aussi les grandes, il y a des anesthésies, il y a des paralysies, il y a des scotomes, il y a des rétrécisse­ments du champ visuel. L'angoisse n'apparaît pas dans l'hystérie exactement dans là mesure où ces manques sont méconnus.

2 - Il y a quelque chose qui n'est pas souvent aperçu et même, je crois pouvoir l'avancer, que vous ne mettez guère en jeu, c'est à savoir quelque chose qui explique toute une part du comportement de l'obsessionnel. Je vous donne cette clé peut-être insuffisamment expliquée puisqu'il va falloir que je vous ramène par un long détour - mais je vous donne ce terme au but de notre chemin, entre autres, ne serait-ce que pour vous intéresser à ce chemin - l'obsessionnel, dans sa façon si particulière de traiter le signi­fiant, à savoir de le mettre en doute, à savoir de l'astiquer, de l'effacer, de le - 75 - triturer, de le mettre en miettes, à savoir de se comporter avec lui comme Lady Macbeth avec cette maudite trace de sang, l'obsessionnel, par une voie sans issue sans doute, mais dont là visée n'est pas douteuse, opère justement dans le sens de retrouver sous le signifiant, le signe. Ungeschehen machen, rendre non avenue l'inscription de l'histoire. Ça s'est passé comme ça, mais ce n'est pas sûr. Ce n'est pas sûr parce que ce n'est que du signifiant, que l'histoire est donc un truc, en quoi il a raison l'obsessionnel, il a saisi quelque chose, il veut aller à l'origine, à l'étape antérieure, à celle du signe que je vais essayer maintenant de vous faire parcourir en sens contraire. Ce n'est pas pour rien que je suis parti aujourd'hui de nos animaux de labora­toire. Après tout, il n'y a pas des animaux que dans les laboratoires, on pourrait leur ouvrir les portes et voir ce qu'ils font, eux, avec les traces.

Ce n'est pas seulement là propriété de l'homme que d'effacer les traces, que d'opérer avec les traces. On voit des animaux effacer leurs traces. On voit même des comportements complexes qui consistent à enterrer un cer­tain nombre de traces, de déjections par exemple. C'est bien connu chez les chats. Une partie du comportement animal consiste à structurer un certain champ de son Umwelt, de son entourage, par des traces qui le ponctuent, qui y définissent des limites. C'est ce qu'on appelle là constitution du terri­toire. Les hippopotames font ça avec leurs déjections et aussi avec le pro­duit de certaines glandes qui sont, si mon souvenir est bon, chez eux péri­anales. Le cerf va frotter ses bois contre l'écorce de certains arbres, ceci a là portée aussi d'un repérage de traces. Je ne veux pas ici m'étendre dans l'in­finie variété de ce que là-dessus une zoologie développée peut vous apprendre.

La chose qui m'importe, c'est ce que j'ai à vous dire concernant ce que je veux dire concernant l'effacement des traces. L'animal, vous dis-je, efface ses traces et fait de fausses traces. Fait-il pour autant, des signifiants ? Il y a une chose que l'animal ne fait pas, il ne fait pas de traces fausses pour nous faire croire qu'elles sont fausses. Il ne fait pas de traces faussement fausses, ce qui est un comportement, je ne dirai pas essentiellement humain, mais justement essentiellement signifiant. C'est là qu'est là limite. Vous m'enten­dez bien, des traces faites pour qu'on les croie fausses et qui sont néanmoins les traces de mon vrai passage, et c'est ce que je veux dire en disant que là se présentifie un sujet, quand une trace a été faite pour qu'on là prenne pour une fausse trace, là nous savons qu'il y a, comme tel, un sujet parlant, et là 76

nous savons qu'il y a un sujet comme cause et là notion même de là cause n'a aucun autre support que celui-là.

Nous essayons après de l'étendre à l'univers, mais là cause originelle c'est là cause comme telle d'une trace qui se présente comme vide, qui veut se faire prendre pour une fausse trace. Et qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire indissolublement que le sujet, là où il naît, s'adresse à quoi ? Il s'adres­se à ce que brièvement j'appellerai là forme là plus radicale de là rationalité de l'Autre. Car ce comportement n'a aucune autre portée possible que de prendre rang au lieu de l'Autre dans une chaîne de signifiants, de signifiants qui ont ou n'ont pas là même origine, mais qui constituent le seul terme de référence possible à là trace devenue signifiante. De sorte que vous saisissez là, qu'à l'origine, ce qui nourrit l'émergence du signifiant c'est une visée de ce que l'Autre, l'Autre réel ne sache pas. Le il ne savait pas s'enracine dans un il ne doit pas savoir. Le signifiant sans doute révèle le sujet, mais en effa­çant sa trace.

Il y a donc d'abord un a, l'objet de là chasse, et un A dans l'intervalle desquels le sujet S apparaît, avec là naissance du signifiant, mais comme barré, comme non-su comme tel. Tout le repérage ultérieur du sujet repose sur là nécessité d'une reconquête sur ce non-su originel.

Entendez donc là ce quelque chose qui déjà vous fait apparaître le rap­port vraiment radical concernant l'être à reconquérir de ce sujet à ce grou­pement du a, de l'objet de là chasse, avec cette première apparition du sujet comme non-su, ce que veut dire inconscient, unbewußt justifié par là tradi­tion philosophique qui a confondu le bewußt de là conscience avec le savoir absolu et qui ne peut pas, à nous, suffire pour autant que nous savons que ce savoir et là conscience ne se confondent pas, mais que Freud laisse ouver­te là question de savoir d'où peut bien provenir l'existence de ce champ défini comme champ de là conscience. Et ici, après tout, je peux revendi­quer que le stade du miroir articulé comme il l'est apporte là-dessus un commencement de solution. Car je sais bien en quelle insatisfaction il peut laisser tels esprits formés à là méditation cartésienne. Je pense que cette année nous pourrons faire un pas de plus qui vous fasse saisir où est de ce système dit de là conscience l'origine réelle, l'objet originel. Car nous ne serons satisfaits de voir réfutées les perspectives de là conscience que quand -77-  enfin nous saurons qu'elle s'attache elle-même à un objet isolable, à un objet spécifié dans là structure.

Je vous ai tout à l'heure indiqué là position de là névrose dans cette dia­lectique. Je n'ai pas l'intention de vous laisser tellement en suspens. Tout de suite à y revenir, si vous avez su saisir le nerf de ce dont il s'agit concernant l'émergence du signifiant comme tel, ceci nous permettra de comprendre immédiatement à quelle pente glissante nous sommes offerts, concernant ce qui se passe dans là névrose. Je veux dire que là demande du névrosé, tous les pièges dans lesquels s'est engagée là dialectique analytique relèvent de ceci qu'y a été méconnue là part foncière de faux qu'il y a dans cette deman­de.

L'existence de l'angoisse est liée à ceci que toute demande, fût-ce là plus archaïque et là plus primitive, a toujours quelque chose de leurrant, par rap­port à ce qui préserve là place du désir, et que c'est ce qui explique aussi le contexte angoissant de ce qui à cette fausse demande donne une réponse comblante. C'est ce qui fait que là mère qui, comme je le voyais surgir, il n'y a pas si longtemps, dans le discours d'un de mes patients, n'a pas quitté jus­qu'à tel âge son enfant d'une semelle - peut-on dire mieux - n'a donné à cette demande qu'une fausse réponse, qu'une réponse vraiment à côté, puisque, si là demande est ce quelque chose qui est structuré, ainsi que je vous l'ai dit, parce que le signifiant est ce qu'il est, elle n'est pas à prendre, cette demande, au pied de là lettre; ce que l'enfant demande à sa mère de sa demande, c'est quelque chose qui pour lui est destiné à structurer cette rela­tion présence-absence que le jeu originel du fort-da structure et qui est un premier exercice de maîtrise. C'est le comblement total d'un certain vide à préserver qui n'a rien à faire avec le contenu ni positif, ni négatif de là demande, c'est là que surgit là perturbation où se manifeste l'angoisse.

Mais pour le saisir, pour en bien voir les conséquences, il me semble que notre algèbre nous apporte là un instrument tout trouvé. Si là demande ici vient indûment à là place de ce qui est escamoté, a l'objet, ceci vous explique, à condition que vous vous serviez de mon algèbre - qu'est-ce que c'est qu'une algèbre si ce n'est pas quelque chose de très simple desti­né à nous faire passer dans le maniement à l'état mécanique, sans que vous ayez à le comprendre, quelque chose de très compliqué, et ça vaut beau­coup mieux ainsi, on me l'a toujours dit en mathématiques, il suffit que l'algèbre soit correctement construite - si je vous ai appris à écrire la pulsion, $ à - nous reviendrons sur cette coupure et vous avez tout de même commencé d'en prendre une certaine idée tout à l'heure, ce qu'il s'agit de couper, c'est l'élan du chasseur - $ coupure de D, de là deman­de, si c'est comme ça que je vous ai appris à écrire là pulsion, ça vous explique pourquoi c'est d'abord chez les névrosés qu'on a décrit les pul­sions. C'est dans toute là mesure où le fantasme $ à se présente d'une façon privilégiée chez le névrosé comme $ à D, en d'autres termes que c'est un leurre de là structure fantasmatique chez le névrosé qui a permis de faire ce premier pas qui s'appelle là pulsion et que Freud a toujours et parfaite­ment sans aucune espèce de flottement désigné comme Trieb, c'est-à-dire comme quelque chose qui a une histoire dans là pensée philosophique alle­mande, qu'il est absolument impossible de confondre avec le terme d'ins­tinct. Moyennant quoi, même dans là Standard Edition, encore récemment et, si mon souvenir est bon, dans le texte d'Inhibition, symptôme, angoisse, je trouve traduit par instinctual need, quelque chose qui dans le texte alle­mand se dit Bedürfnis. Pourquoi ne pas traduire simplement, si on veut, Bedürfnis par need, ce qui est une bonne traduction du germain à l'anglais ? Pourquoi ajouter cet instinctual qui n'est absolument pas dans le texte et qui suffit à fausser tout le sens de là phrase ?

Tout ce qui fait tout de suite saisir qu'une pulsion n'a rien à faire avec un instinct - je n'ai pas d'objection à faire à là définition de quelque chose qu'on peut appeler l'instinct et même comme on l'appelle d'une façon cou­tumière, pourquoi ne pas appeler ainsi les besoins qu'ont les êtres vivants de se nourrir, par exemple. Eh bien! oui, puisqu'il s'agit de pulsion orale, est ce qu'il ne vous apparaît pas que le terme d'érogénéité appliqué à ce qu'on appelle là pulsion orale est quelque chose qui nous porte tout de suite sur ce problème, pourquoi est-ce qu'il ne s'agit que de là bouche ? Et pourquoi pas aussi de là sécrétion gastrique, puisque tout à l'heure nous parlions des chiens de Pavlov ? Et même pourquoi plus spécialement si nous y regardons de près, jusqu'à un certain âge, seulement les lèvres et, passé ce temps, ce qu'Homère appelle l'enclos des dents?

Est-ce que nous ne trouvons pas là tout de suite, dès le premier abord analytique à proprement parler de l'instinct, cette ligne de cassure dont je vous parle comme essentielle à cette dialectique instaurée par cette référen­ce à l'Autre en miroir dont j'avais cru vous avoir apporté tout à l'heure - je ne l'ai pas retrouvée dans mes papiers - là référence que je vous donnerai là prochaine fois, dans Hegel, dans là Phénoménologie de l'Esprit, où il est formellement dit que le langage est travail; c'est là que le sujet fait passer son intérieur dans l'extérieur. Et là phrase même est telle qu'il est bien clair que cet inside-out, comme on dit en anglais, est vraiment là métaphore du gant retourné.

Mais si j'ai mis à cette référence l'idée d'une perte, c'est pour autant que quelque chose n'y subit pas cette inversion, qu'à chaque étape un résidu reste qui n'est pas inversable, ni non plus signifiable dans ce registre articu­lé. Et ces formes de l'objet, nous ne serons pas étonnés qu'elles nous appa­raissent sous là forme qu'on appelle partielle; ça nous a assez frappés pour que nous l'ânonnions comme tel sous là forme sectionnée, sous laquelle nous sommes amenés à faire intervenir un objet par exemple corrélatif de cette pulsion orale. Ce mamelon maternel, dont il ne faut tout de même pas admettre là première phénoménologie qui est celle d'un tamis, sein coupé, je veux dire de quelque chose qui se présente avec un caractère artificiel. C'est d'ailleurs bien ce qui permet qu'on le remplace par n'importe quel biberon qui fonctionne exactement de là même façon dans l'économie de là pulsion orale.

Si on veut faire les références biologiques - les références au besoin, bien sûr, c'est essentiel, il ne s'agit pas de s'y refuser - mais c'est pour s'apercevoir que là toute primitive différence structurale y introduit de fait des ruptures, des coupures, y introduit tout de suite là dialectique signi­fiante. Est-ce qu'il y a là quelque chose qui soit impénétrable à une concep­tion que j'appellerai tout ce qu'il y a de plus naturelle? La dimension du signifiant, qu'est-ce que c'est, si ce n'est, si vous voulez, un animal qui à là poursuite de son objet est pris dans quelque chose de tel que là poursuite de cet objet doive le conduire sur un autre champ de traces où cette poursuite elle-même comme telle ne prend plus dès lors que là valeur introductrice ?

Le fantasme, le $ par rapport au a prend ici valeur signifiante de l'entrée du sujet dans ce quelque chose qui va le mener à cette chaîne indéfinie des significations qui s'appelle le destin. On peut lui échapper indéfiniment, à savoir que ce qu'il s'agirait de retrouver, c'est justement le départ, comment il est entré dans cette affaire de signifiant.

Alors il est tout de même clair que ça vaut bien là peine de reconnaître comment les premiers objets, ceux qui ont été repérés dans là structure de là pulsion, à savoir celui déjà que j'ai nommé tout à l'heure, ce sein coupé, puis, plus tard, là demande à là mère s'inversant en une demande de là mère, à cet objet, dont on ne voit pas autrement quel pourrait être le privilège, cet objet qui s'appelle le scybale, à savoir quelque chose qui a aussi rapport avec une zone qu'on appelle érogène et dont il faut tout de même bien voir que là aussi c'est en tant que séparée par une limite de tout le système fonction­nel auquel elle atteint, et qui est infiniment plus vaste parmi les fonctions excrétoires - pourquoi l'anus, si ce n'est dans sa fonction déterminée de sphincter, de quelque chose qui contribue à couper un objet, et l'objet dont il s'agit est le scybale avec tout ce qu'il peut arriver à représenter, non pas simplement, comme on dit, de don, mais d'identité avec cet objet dont nous cherchons là nature - c'est cela qui lui donne sa valeur, son accent. Et qu'est-ce que je dis là contre, si ce n'est justement de justifier là fonction éventuelle qu'on lui donne sous le titre de là relation d'objet dans l'évolu­tion, je ne veux pas dire d'hier, mais d'avant-hier, de là théorie analytique, à ceci près que c'est tout y fausser que d'y voir une sorte de modèle du monde de l'analysé dans lequel un processus de maturation permettrait là restitu­tion progressive d'une réaction présumée totale, authentique; alors qu'il ne s'agit que d'un déchet désignant là seule chose qui est importante, à savoir là place, là place d'un vide où viendront, je vous le montrerai, se situer d'autres objets combien plus intéressants que vous connaissez d'ailleurs déjà, mais que vous ne savez pas placer.

Pour aujourd'hui seulement et pour réserver là place de ce vide, puis­que aussi bien quelque chose dans notre projet ne manquera pas d'évoquer là théorie existentielle et même existentialiste de l'angoisse, dites-vous que ce n'est pas un hasard que l'un de ceux que l'on peut considérer comme l'un des pères, au moins à l'époque moderne, de là perspective existentielle, ce Pascal dont on ne sait pas tellement pourquoi il nous fascine parce que, à en croire les théoriciens des sciences, il a tout loupé, le calcul infinitésimal qu'il était, paraît-il, à deux doigts de découvrir, je crois plutôt qu'il s'en foutait, car il y a quelque chose qui l'intéressait et c'est pour ça que Pascal nous touche encore, même ceux d'entre nous qui sont absolument incroyants, c'est que Pascal, comme un bon janséniste qu'il était, s'intéressait au désir. Et c'est pourquoi, je vous le dis en confidence, il a fait les expériences du Puy de dôme sur le vide. Que là nature ait ou non horreur du vide, c'était pour lui capital, parce que cela signifiait l'horreur de tous les savants de son temps pour le désir. Ce vide, ça ne nous intéresse absolument plus théoriquement. Ça n'a presque pour nous plus de sens. Nous savons que dans le vide, il peut se produire encore des nœuds, des pleins, des paquets d'ondes, et tout ce que vous voudrez. Et pour Pascal justement, parce que, sinon là nature, toute là pensée jusque là avait eu horreur de ceci qu'il puis­se y avoir quelque part du vide, c'est cela qui se propose à notre attention, et de savoir si, nous aussi, nous ne cédons pas de temps en temps à cette horreur.

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Séminaire l' Angoisse. Psychanalyste Nice, études et lectures, suite leçon V

Leçon V 12 décembre 1962

On a vu, on a lu, on verra, on lira encore qu'une certaine forme d'un seg­ment de là psychanalyse, nommément celui qui se poursuit ici, a un carac­tère prétendument plus philosophique que tel autre qui essaierait de se rac­corder à une expérience plus concrète, plus scientifique, plus expérimenta­le. Peu importe quel mot on emploie. Ce n'est pas ma faute, comme on dit, si là Psychanalyse sur le plan théorique met en cause le désir de connaître; elle se place donc d'elle-même dans son discours déjà dans cet en deçà, dans ce qui précède le moment de là connaissance qui à soi tout seul justifierait cette sorte de mise en question qui donne à notre discours une certaine tein­te, disons, philosophique. Aussi bien d'ailleurs, j'étais en cela précédé par l'inventeur même de l'analyse qui était bien, que je sache, quelqu'un qui était au niveau d'une expérience directe, celle des malades, des malades mentaux, de ceux-là spécialement qu'on a appelés avec une plus grande rigueur depuis Freud les névrosés.

Mais après tout ce ne serait pas une raison de rester plus de temps qu'il ne convient dans une mise en cause épistémologique si là place du désir, là façon dont il se creuse n'était pas à tout instant, à tout instant dans notre position thérapeutique, présentifiée pour nous par un problème, le plus concret de tous, celui de ne pas nous laisser nous engager dans une fausse voie, de ne pas y répondre à tort, de ne pas y répondre à côté, au moins considérer reconnu un certain but que nous poursuivons et qui n'est pas si clair. Je me souviens avoir provoqué l'indignation chez cette sorte de confrères qui savent à l'oc­casion se remparder derrière je ne sais qu'elle enflure de bons sentiments destinée à rassurer je ne sais qui, d'avoir provoqué l'indignation en disant que dans l'analyse, là guérison venait en quelque sorte par surcroît. On y a vu je ne sais quel dédain de celui dont nous avons là charge, de celui qui souffre. Je parlais d'un point de vue méthodologique. Il est bien certain que notre justi­fication comme notre devoir est d'améliorer là position du sujet. Et je pré­tends que rien n'est plus vacillant dans le champ où nous sommes que le concept de guérison. Est-ce qu'une analyse qui se termine par l'entrée du patient ou de là patiente dans le tiers-ordre est une guérison, même si son sujet s'en trouve mieux quant à ses symptômes? Et une certaine voie, un cer­tain ordre qu'il a reconquis énonce les réserves les plus expresses sur les voies dès lors à ses yeux, perverses, par où nous l'avons fait passer pour le faire entrer au royaume du ciel. Ça arrive. C'est pourquoi je ne pense pas un seul instant m'écarter de notre expérience. Mon discours, bien loin de s'en écarter, consiste justement à rappeler qu'à l'intérieur de notre expérience toutes les questions peuvent se poser et qu'il faut justement que nous y conservions là possibilité d'un certain fil qui, à nous tout au moins, nous garantisse que nous ne trichons pas avec ce qui est notre instrument même, c'est-à-dire le plan de là vérité. Cela nécessite bien sûr une exploration qui n'a pas seulement à être sérieuse. Je dirai, jusqu'à un certain point, à être, oui, encyclopédique.

Il n'est pas facile sur un sujet comme l'angoisse de rassembler dans un discours comme le mien, cette année, ce qui, disons, pour des analystes doit être fonctionnel, ce qu'ils ne doivent pas oublier à aucun instant concernant ce qui nous importe. Nous avons désigné sur ce petit schéma là place qu'oc­cupe actuellement le - φ comme là place de l'angoisse, comme cette place que j'ai déjà désignée comme constituant un certain vide, l'angoisse y appa­raissant. Tout ce qui peut se manifester à cette place, peut nous dérouter, si je puis dire, quant à là fonction structurante de ce vide.

Les signes si je puis dire, les indices pour être plus exact, là portée de cette tautologie, n'auront de valeur que si vous pouvez les retrouver confirmés par quelque abord que ce soit qui ait été donné par toute étude sérieuse du phénomène de l'angoisse, quels qu'en soient les présupposés. Même si ces présupposés nous paraissent à nous trop étroits, à devoir être situés à l'in­térieur de cette expérience radicale qui est là nôtre, il reste que quelque chose a bien été saisi à certain niveau et que, même si le phénomène de l'an­goisse nous apparaît comme limité, distordu, insuffisant au regard de notre expérience, il est au moins à savoir pourquoi il en est ainsi. 

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Or il n'en est pas toujours ainsi. Nous avons à recueillir, à quelque niveau que ce soit, où a été formulée jusqu'à présent l'interrogation au sujet de l'angoisse.

C'est mon propos d'aujourd'hui de l'indiquer, faute de pouvoir, bien sûr, faire là somme qui nécessiterait toute une année de séminaire, faire là somme de ce qui a été apporté dans un certain nombre de types d'interro­gation qu'on appelle, à tort ou à raison, par exemple, l'abord objectif du problème de l'angoisse, l'abord expérimental du problème de l'angoisse.

Et bien sûr, nous ne saurions dans ces réponses que nous perdre, si je ne vous avais donné au départ les lignes de mire, les points de maintien que nous ne pouvons abandonner un seul instant pour garantir, rétrécir notre objet, enfin de nous apercevoir de ce qui le conditionne de là façon là plus radicale, là plus fondamentale. Et c'est pour ça que là dernière fois, mon dis­cours aboutissait à les cerner, si l'on peut dire, de trois points de repère que je n'avais bien sûr qu'amorcés, introduire trois points où assurément, là dimension de l'Autre restait dominante, à savoir là demande de l'Autre, la jouissance de l'Autre et, sous une forme tout à fait modalisée et restée d'ailleurs à titre de point d'interrogation, le désir de l'Autre, pour autant que c'est ce désir qui correspond à notre interrogation, j'entends celle de l'analyste, de l'analyste en tant qu'il intervient comme terme.

Nous n'allons pas faire ce que nous reprochons à tous les autres, à savoir de nous élider du texte de l'expérien­ce que nous interrogeons. L'angoisse à laquelle nous avons ici à apporter une formule c'est une angoisse qui nous répond, c'est une angoisse que nous provoquons, c'est une angoisse avec laquelle nous avons à l'occasion un rapport déterminant.

Cette dimension de l'Autre où nous trouvons notre place, notre place efficace pour autant justement que nous savons ne pas là rétrécir, ce qui est le motif de là question que je pose, à savoir dans quelle mesure notre désir ne doit pas là rétrécir, cette dimension de l'Autre, je voudrais bien vous faire sentir qu'elle n'est absen­te d'aucun des modes sous lequel jusqu'à ce jour on a pu tenter de cerner, de serrer ce phénomène de l'angoisse.

69- Et je dirai qu'au point d'exercice mental où je vous ai formés, habitués, peut-être bien, ne peut plus que vous paraître vaine cette sorte d'emphase, de vain succès, de faux triomphe que certains trouvent à prendre dans le fait que, par exemple, soi-disant au contraire de là pensée analytique, - et encore ce serait-il, enfin... - les névroses sont réalisées chez l'animal dans le laboratoire, sur là table d'expérience. Ces névroses, celles sur lesquelles le laboratoire pavlovien, je veux dire Pavlov lui-même et ceux qui l'on suivi, ont pu mettre à l'occasion l'accent, qu'est-ce qu'elles nous montrent ? On nous dit que dans le texte et là suite de ses expériences par où on condi­tionne ce qu'on appelle tel réflexe de l'animal, à savoir telle réaction natu­relle d'un de ces appareils qu'on associe à une stimulation, à une excitation qui fait partie d'un registre présumé complètement différent de celui qui est intéressé dans là réaction, par un certain mode de faire converger ces réac­tions conditionnées, nous allons tenir compte de l'effet de contrariété. Là que nous avons déjà obtenu, conditionné, dressé une des réponses de l'or­ganisme, nous allons le mettre en posture de répondre de deux manières opposées à là fois, engendrant si l'on peut dire une sorte de perplexité orga­nique.

Pour aller plus loin, nous dirons même que dans certains cas, nous pou­vons, nous avons l'idée que ce que nous obtenons est une sorte d'épuise­ment des possibilités de réponse, une sorte de désordre plus fondamental engendré par leur détournement, quelque chose qui intéresse de façon plus radicale ce qu'on peut appeler le champ ordinaire de là réaction impliquée qui est là traduction objective de ce qui pourra s'interpréter dans une pers­pective plus générale comme définie par certains modes de réaction qu'on appellera instinctuels. Bref, d'en arriver au point où là demande faite à là fonction - c'est quelque chose qu'on a théorisé plus récemment et en d'autres aires culturelles, du terme de stress - peut aboutir, déboucher sur cette sorte de déficit qui dépasse là fonction elle-même, qui intéresse l'ap­pareil de façon qui le modifie, au-delà du registre de là réponse fonction­nelle, qui plus ou moins confine, dans les traces durables qu'il engendre, au déficit lésionnel.

Il sera important sans doute de pointer dans cet éventail de l'interrogation expérimentale où, à proprement parler, se manifeste quelque chose qui nous rappelle sous des réactions névrotiques là forme dite angoissée. Il y a pour­tant quelque chose qui paraît, dans une telle façon de poser le problème de -70 - l'expérience, toujours éludé. Éludé d'une façon qu'il est sans doute impos­sible de reprocher au rapporteur de ces expériences de l'éluder, puisque cette élision est constitutive de l'expérience elle-même. Mais pour quiconque a à rapprocher cette expérience de celle qui est là nôtre, à savoir de celle qui se passe avec un sujet parlant - c'est là l'importance de cette dimension pour autant que je vous là rappelle - il est impossible de ne pas faire état de ceci, que si primitif par rapport à celui d'un sujet parlant que soit l'organisme ani­mal interrogé - et il est très loin d'être primitif, d'être éloigné du nôtre, cet organisme, dans les expériences pavloviennes puisque ce sont des chiens - là dimension de l'Autre est présente dans l'expérience.

Ce n'est pas d'hier qu'intervenant par exemple au cours d'une de nos séances scientifiques sur quelques phénomènes qui nous étaient rapportés, je ne peux pas les redire aujourd'hui, concernant là création de là névrose expérimentale, je faisais remarquer à celui qui communiquait ses recherches, que sa présence à lui, dans l'expérience, comme personnage humain, manipulateur d'un certain nombre de choses autour de l'animal devait être à tel et tel moment de l'expérience, mise en cause, comptée. Quand on sait comment se comporte un chien vis-à-vis de celui qui s'ap­pelle ou qui ne s'appelle pas son maître, on sait que là dimension de l'Autre compte, en tout cas pour un chien. Mais ne serait-il pas un chien, serait-il une sauterelle ou une sangsue, de ce fait qu'il y a un montage d'appareils, là dimension de l'Autre est présente. Vous me direz, une sauterelle ou une sangsue, organisme patient de l'expérience, n'en sait rien de cette dimension de l'Autre. Je suis absolument d'accord, c'est pour ça que tout mon effort pendant un certain temps a été de vous démontrer l'ampleur au niveau où chez nous, sujets, tels que nous apprenons à le manier, à le déterminer, ce sujet que nous sommes, il y a aussi tout un champ où de ce qui nous consti­tue comme champ nous n'en savons rien. Et que le Selbstbewusstsein que je vous ai appris à nommer le sujet supposé savoir, est une illusion trompeuse. Le Selbstbewusstsein considéré comme constitutif du sujet connaissant est une illusion, est une source d'erreur. Car là dimension du sujet supposé transparent dans son propre acte de connaissance, ne commence qu'à partir de l'entrée en jeu d'un objet spécifié qui est celui qu'essaie de cerner le stade du miroir, : à savoir de l'image du corps propre pour autant que le sujet d'une façon jubilatoire a le sentiment, en effet, d'être devant un objet qui le rend, lui sujet, à lui-même transparent.

L'extension de cette illusion, qui constitue radicalement en elle-même l'illusion de là conscience, à toute espèce de connaissance est motivée par ceci que l'objet de là connaissance sera désormais construit, modelé à l'ima­ge de ce rapport à l'image spéculaire, et c'est précisément en quoi cet objet de là connaissance est insuffisant. Et n'y aurait-il pas là psychanalyse, on le saurait à ceci, c'est qu'il existe des moments d'apparition de l'objet qui nous jettent dans une toute autre dimension, dimension qui mérite, parce qu'elle est donnée dans l'expérience, d'être détachée comme telle, comme primiti­ve dans l'expérience, qui est justement là dimension de l'étrange, de quelque chose qui d'aucune façon ne saurait se laisser saisir, comme laissant en face de lui le sujet transparent à sa connaissance. Devant ce nouveau, le sujet lit­téralement vacille et tout est remis en question de ce rapport soi-disant pri­mordial du sujet à tout effet de connaissance.

Ce surgissement de quelque chose dans le champ de l'objet, qui pose son problème comme celui d'une structuration irréductible, comme surgisse­ment d'un inconnu comme éprouvé, n'est pas une question qui se pose aux analystes, parce que comme c'est donné dans l'expérience, il faut tout de même bien tâcher d'expliquer pourquoi les enfants ont peur de l'obscurité, et on s'aperçoit en même temps qu'ils n'ont pas toujours peur de l'obscuri­té, et alors on fait de là psychologie, on s'engage justement, les soi-disant expérimentateurs, dans des théories sous l'effet d'une réaction héritée, ancestrale, primordiale d'une pensée, puisque pensée il semble qu'il faille toujours qu'on conserve le terme, d'une pensée structurée autrement que là pensée logique, rationnelle. Et on construit et on invente,: c'est là qu'on fait de là philosophie. Ici nous attendons ceux avec qui nous avons à l'occasion à poursuivre le dialogue, sur le terrain même où ce dialogue a à se juger, c'est à savoir si nous pouvons en rendre compte, nous, d'une façon moins hypo­thétique.

Cette forme que je vous livre, qui est concevable, consiste à s'apercevoir que si, dans là constitution d'un objet qui est l'objet corrélatif d'un premier mode d'abord, celui qui part de là reconnaissance de notre propre forme, et si cette connaissance, en elle-même limitée, laisse échapper quelque chose de cet investissement primitif à notre être qui est donné par le fait d'exister comme corps, est-ce que ce n'est pas dire quelque chose, non seulement de raisonnable mais de contrôlable que de dire que c'est ce reste, c'est ce rési­du non imaginé du corps qui vient par quelque détour, et ici nous savons,-72-

ce détour, le désigner, ici se manifester à cette place prévue pour le manque, se manifester de cette façon qui nous intéresse et d'une façon qui, pour n'être pas spéculaire, devient dès lors inrepérable, c'est une dimension de l'angoisse, effectivement, que ce défaut de certains repères.

Nous ne serons pas là en désaccord avec là façon dont abordera ce phé­nomène un Kurt Goldstein par exemple. Quand il nous parle de l'angoisse, il en parle avec beaucoup de pertinence. Toute là phénoménologie des phé­nomènes lésionnels où Goldstein suit cette expérience qui nous intéresse, à là trace, comment s'articule-t-elle, sinon de là remarque préalable que l'or­ganisme dans tous ses effets relationnels fonctionne comme totalité. Il n'est pas un seul de nos muscles qui ne soit intéressé dans son inclinaison de notre tête, que toute réaction à une situation implique là totalité de là réponse organismique et si nous le suivons, nous voyons surgir deux termes étroitement tressés l'un avec l'autre, le terme de réaction catastrophique, et dans son phénomène, à l'intérieur du champ de cette réaction catastro­phique, le repérage comme tel des phénomènes d'angoisse.

Je vous prie de vous référer aux textes très accessibles, puisqu'ils ont été traduits en français, des analyses goldsteiniennes pour y repérer à là fois combien ces formulations s'approchent des nôtres et combien de clarté elles tireraient à s'en appuyer plus expressément. Car à tout instant si avec cette clé que vous apporte [Goldstein] vous en suivez le texte, vous verrez là dif­férence qu'il y a de là réaction de désordre par où le sujet répond à son inopérance, au fait d'être devant une situation comme telle insurmontable, sans doute à cause de son déficit dans l'occasion. C'est après tout une façon qui n'a rien d'étranger avec ce qui peut se produire, même pour un sujet non déficitaire devant une situation, situation de danger insurmontable Hilflosigkeit. Pour que là réaction d'angoisse se produise comme telle, il faut toujours deux conditions; vous pourriez le voir dans les cas concrets évoqués : (1), que l'effet déficitaire soit assez limité pour que le sujet puisse le cerner dans l'épreuve où il est mis et que du fait de cette limite là lacune apparaisse comme telle dans le champ objectif. C'est ce surgissement du manque, sous une forme positive, qui est source d'angoisse, à ceci près, (2) qu'il ne faut, là encore, pas omettre, que c'est sous l'effet d'une demande, d'une épreuve organisée dans le fait que le sujet a en face de lui Goldstein ou telle autre personne de son laboratoire qui le soumet à un test organisé que se produit ce champ du manque et là question posée dans ce champ,--73-

dans ces termes, qu'il y a si peu lieu d'omettre que quand vous savez où et quand les rechercher, vous les trouvez immanquablement, s'il en est besoin. Pour sauter à un tout autre ordre, j'évoquerai ici l'expérience là plus mas­sive, non pas reconstituée, ancestrale, rejetée dans une obscurité des âges anciens auxquels nous aurions prétendument échappés, d'une nécessité qui nous unit à ces âges qui est toujours actuelle et dont très curieusement nous ne parlons plus que très rarement, c'est celle du cauchemar. On se deman­de pourquoi les analystes depuis un certain temps s'intéressent si peu au cauchemar.

Je l'introduis ici parce qu'il faudra tout de même bien que nous y restions cette année un certain temps et je vous dirai pourquoi. Je vous dirai pour­quoi et où en trouver là matière, car s'il y a là-dessus une littérature déjà constituée et des plus remarquables, à laquelle il convient que vous vous reportiez, c'est, si oubliée qu'elle soit sur ce point-là, c'est à savoir le livre de Jones sur le cauchemar, livre d'une richesse incomparable. Je vous rap­pelle là phénoménologie fondamentale. Je ne songe pas un instant à en élu­der là dimension principale, l'angoisse de cauchemar est éprouvée à propre­ment parler comme celle de là jouissance de l'Autre. Le corrélatif du cau­chemar, c'est l'incube ou le succube, c'est cet être qui pèse de tout son poids opaque de jouissance étrangère sur votre poitrine, qui vous écrase sous sa jouissance.

Eh bien! pour nous introduire par ce biais majeur dans ce que nous livre­ra là thématique du cauchemar, là première chose en tout cas qui apparaît, qui apparaît dans le mythe, mais aussi dans là phénoménologie du cauche­mar, du cauchemar du vécu, c'est que cet être qui pèse par sa jouissance est aussi un être questionneur et même à proprement parler qui se manifeste, se déploie dans cette dimension complète, développée de là question comme telle qui s'appelle l'énigme. Le sphinx, dont, ne l'oubliez pas, l'entrée en jeu précède tout le drame d'Oedipe est une figure de cauchemar et une figure questionneuse en même temps. Nous aurons à y revenir.

Cette question donnant là forme là plus primordiale de ce que j'ai appe­lé là dimension de là demande, celle, vous allez le voir, que nous nommons d'habitude là demande au sens d'exigence prétendument instinctuelle n'en est donc qu'une forme réduite. Nous voici donc ramenés nous-mêmes à une question qui s'articule dans le sens d'interroger une fois de plus, de revenir, sur le rapport d'une expérience qui, au sens courant du terme sujet, peut-74-

être appelée présubjective avec le terme de là question, de là question sous sa forme là plus formée, sous là forme d'un signifiant qui se propose lui-même comme opaque, ce qui est là position de l'énigme comme telle.

Ceci nous ramène aux termes que je crois parfaitement articulés, je veux dire qui vous mettent en mesure, à chaque instant, de me ramener au pied de mon propre mur, de faire état de définitions déjà proposées et de les mettre à l'épreuve de leur usage. Ce signifiant, vous ai-je dit à tel tournant, c'est une trace, mais une trace effacée. Le signifiant, vous ai-je dit à tel autre tournant, se distingue du signe en ceci que le signe est ce qui représente quelque chose pour quelqu'un et le signifiant, vous ai-je dit, c'est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant.




Seminaire l'angoisse , psychanalyse nice, suite IV

Leçon IV 5 décembre 1962

Je vous repose donc au tableau cette figure, ce schéma où je me suis enga­gé avec vous la dernière fois dans l'articulation de ce qui est notre objet, à savoir l'angoisse, je dis son phénomène, mais aussi par la place que je vais vous apprendre à désigner comme étant la sienne, à approfondir la fonction de l'objet dans l'expérience analytique.

Brièvement je veux vous signaler que va bientôt paraître quelque chose que j'ai pris 1a peine de rédiger d'une intervention, d'une communication que j'ai faite, il y a maintenant plus de deux ans, c'était le 21 Septembre 1960, à une réunion hégélienne de Royaumont, sur laquelle j'avais choisi de traiter le sujet suivant: Subversion du sujet et dialectique du désir dans l'in­conscient freudien. Je signale à ceux qui sont déjà familiarisés avec mon enseignement qu'en somme je pense qu'ils y trouveront toute satisfaction concernant les temps de construction et l'utilisation, le fonctionnement de ce que nous avons appelé ensemble le graphe. Ceci est publié à un centre qui est 173 boulevard Saint Germain et qui se charge de publier tous les travaux de Royaumont. Je pense que ce travail viendra bientôt au jour dans un volu­me qui comprendra également les autres interventions, qui ne sont pas toutes spécialement analytiques, qui ont été faites au cours de cette réunion, je le répète, centrée sur l'hégélianisme. Ceci vient à sa place aujourd'hui dans la mesure où subversion du sujet, comme dialectique du désir, c'est ce qui encadre pour nous cette fonction de l'objet dans laquelle nous allons avoir maintenant à nous avancer plus profondément.

Α cet égard, spécialement pour ceux qui viennent ici en novices, je ne pense pas que je puisse rencontrer d'aucune façon la réaction je dois dire fort antipathique dont je me souviens encore qu'elle fut celle qui accueillit ce travail ainsi intitulé, je vous l'ai dit, au Congrès de Royaumont de la part, à mon étonnement, de philosophes que je croyais plus endurcis à l'accueil de l'inhabituel et qui assurément dans quelque chose qui était justement fait pour remettre très profondément devant eux 1a fonction de l'objet, et l'objet du désir nommément, aboutit de leur part à une impression que je ne peux pas qualifier autrement que comme ils l'ont qualifiée eux-mêmes, celle d'une sorte de cauchemar, voire d'élucubration sortie d'un certain diabolisme.

Est-ce qu'il ne semble pas pourtant que tout dans une expérience que j'appellerai moderne, une expérience au niveau de ce qu'apporte de modifi­cations profondes dans l'appréhension de l'objet, l'ère, que je ne suis pas le premier à qualifier comme l'ère de la technique, est-ce que déjà ça ne doit pas vous apporter l'idée qu'un discours sur l'objet doit obligatoirement passer par des rapports complexes qui ne nous en permettent l'accès qu'à travers de profondes chicanes ? Est-ce qu'on ne peut pas dire que par exemple ce module d'objet si caractéristique de ce qui nous est donné, je parle dans l'expérience la plus externe, il ne s'agit pas d'expérience analy­tique, ce module d'objet qu'on appelle la pièce détachée, est-ce que ce n'est pas quelque chose qui mérite qu'on s'y arrête et qui apporte une dimension profondément nouvelle à toute interrogation noétique concernant notre rapport à l'objet? Car enfin qu'est-ce que c'est qu'une pièce détachée? Quelle est sa subsistance en dehors de son emploi éventuel par rapport à certain modèle qui est en fonction, mais qui peut aussi bien devenir désuet, n'être plus renouvelé comme on dit? Α 1a suite de quoi, qu'est-ce que devient, quel sens a la pièce détachée ?

Pourquoi ce profil d'un certain rapport énigmatique à l'objet ne nous servirait-il pas aujourd'hui d'introduction, de rappel à ceci que ce n'est pas vaine complication qu'il n'y a ni à nous étonner, ni à nous raidir devant un schéma, devant un schéma du type de celui que je vous ai rappelé et déjà introduit la dernière fois, et qu'il résulte que c'est à cette place, à la place où dans l'Autre, au lieu de l'Autre, authentifiée par l'Autre se profile une image seulement réfléchie déjà problématique, voire fallacieuse, de nous-mêmes, que c'est à une place qui se situe par rapport à une image qui se caractérise par un manque, par le fait que ce qui est appelé ne saurait y apparaître, que profondément est orientée et polarisée 1a fonction de cette image même, que le désir est là, non pas seulement voilé, mais essentiellement mis en rapport à une absence, à une possibilité d'apparition commandée d'une présence qui est ailleurs et commande ça plus près, mais, là où elle est, pour le sujet insai­sissable, c'est-à-dire ici, je l'ai indiqué, le a de l'objet, de l'objet qui fait notre question, de l'objet dans la fonction qu'il remplit dans le fantasme à 1a place où quelque chose peut apparaître. J'ai mis la dernière fois et entre parenthèses ce signe - φ vous indiquant qu'ici doit se profiler un rapport avec la réserve libidinale, avec ce quelque chose qui ne se projette pas, avec ce quelque chose qui ne s'investit pas au niveau de l'image spéculaire pour la raison qu'il reste investi profondément, irréductible au niveau du corps propre, au niveau du narcissisme primaire, au niveau de ce qu'on appelle auto-érotisme, au niveau d'une jouissance autiste, aliment en somme restant là pour éventuellement ce qui interviendra comme instrument dans le rap­port à l'Autre, à l'Autre constitué à partir de cette image de mon semblable, cet Autre qui profilera avec sa forme et ses normes l'image du corps dans sa fonction séductrice sur celui qui est le partenaire sexuel.

Donc, vous voyez s'instituer un rapport, ce qui, vous ai-je dit 1a dernière fois, peut venir se signaler à cette place ici désignée par le - φ, c'est l'angoisse, et l'angoisse de castration dans son rapport à l'Autre. La question de ce rap­port à l'Autre, c'est celle dans laquelle nous allons nous avancer aujourd'hui, Disons tout de suite que, comme vous le voyez, je vais droit au point nodal, tout ce que nous savons sur cette structure du sujet, sur cette dialectique du désir qui est celle que nous avons à articuler, nous analystes, ce quelque chose d'absolument nouveau, d'original, nous l'avons appris par quoi, par quelle voie? Par la voie de l'expérience du névrosé. Et qu'est-ce que nous a dit Freud ? C'est que le dernier terme où il soit arrivé en élaborant cette expé­rience, le terme sur lequel il nous indique qu'à lui son point d'arrivé, sa butée, le terme pour lui indépassable, c'est l'angoisse de castration.

Qu'est-ce à dire ? Ce terme est-il indépassable? Que signifie cet arrêt de la dialectique analytique sur l'angoisse de castration ? Est-ce que vous ne voyez pas déjà, dans le seul usage du schématisme que j'emploie, se dessi­ner 1a voie où j'entends vous conduire? Elle part d'une meilleure articula­tion de ce fait de l'expérience, désigné par Freud dans la butée du névrosé sur l'angoisse de castration. L'ouverture que je vous propose consiste en ceci que 1a dialectique qu'ici je vous démontre permet d'articuler, c'est que ce n'est point l'angoisse de castration en elle-même qui constitue l'impasse

dernière du névrosé, car la forme de la castration, dans sa structure imagi­naire, elle est déjà faite ici dans l'approche de l'image libidinalisée du sem­blable en a et - φ, elle est faite au niveau de la cassure qui se produit à quelque temps d'un certain dramatisme imaginaire et c'est ce qui fait, cela on le sait, l'importance des accidents de la scène qu'on appelle pour cela traumatique; il y a toutes sortes de variations, d'anomalies possibles, dans cette cassure imaginaire, qui déjà indiquent quelque chose dans le matériel, utilisable pour quoi? pour une autre fonction qui, elle, donne son plein sens au terme de castration.

Ce devant quoi le névrosé recule, ce n'est pas devant la castration, c'est de faire de sa castration, la sienne, ce qui manque à l'Autre, Α, c'est de faire de sa castration quelque chose de positif qui est la garantie de cette fonction de l'Autre. Cet Autre qui se dérobe dans le renvoi indéfini des significa­tions, cet Autre où le sujet ne se voit plus que destin, mais destin qui n'a pas de terme, destin qui se perd dans l'océan des histoires, - et qu'est-ce que les histoires, sinon une immense fiction ? - qu'est-ce qui peut assurer un rapport du sujet à cet univers des significations sinon que quelque part il y ait jouissance? Ceci il ne peut l'assurer qu'au moyen d'un signifiant, et ce signifiant manque forcément. C'est l'appoint à cette place manquante que le sujet est appelé à faire, par un signe, que nous appelons de sa propre castra­tion. Vouer sa castration à cette garantie de l'Autre, c'est 1à ce devant quoi le névrosé s'arrête; il s'y arrête pour une raison en quelque sorte interne à l'analyse, c'est que c'est l'analyse qui l'amène à ce rendez-vous. La castra­tion n'est en fin de compte rien d'autre que le moment de l'interprétation de la castration.

J'ai peut-être été plus vite que je n'avais l'intention de le faire moi-même dans mon discours de ce matin. Aussi bien voyez-vous là indiqué que peut-être il y a possibilité de passage, mais bien sûr nous ne pouvons, cette pos­sibilité, l'explorer qu'à revenir en arrière à cette place même où la castration imaginaire fonctionne, comme je viens de vous l'indiquer, pour constituer à proprement parler dans son plein droit ce qu'on appelle le complexe de cas­tration. C'est donc au niveau de la mise en question de ce complexe de cas­tration que toute notre exploration concrète de l'angoisse, cette année va nous permettre d'étudier ce passage possible, d'autant plus possible qu'il est déjà dans maintes occasions franchi. C'est l'étude de la phénoménologie de l'angoisse qui va nous permettre de dire comment et pourquoi.

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L'angoisse, que nous prenons dans sa définition à minima comme signal, définition qui pour être au terme des progrès de la pensée de Freud n'est pas ce qu'on croit, à savoir le résultat d'un abandon des premières positions de Freud qui en faisait le fruit d'un métabolisme énergétique, ni d'un abandon, ni même d'une conquête nouvelle, car il y a déjà au moment où Freud fai­sait de l'angoisse la transformation de la libido, l'indication qu'elle pouvait fonctionner comme signal. Ceci, il me sera facile de vous le montrer au pas­sage en nous référant au texte. J'ai trop à faire, à soulever cette année avec vous concernant l'angoisse pour stagner trop longtemps au niveau de cette explication de texte.

L'angoisse, vous ai-je dit, est liée à tout ce qui peut apparaître à cette place, et ce qui nous l'assure, c'est un phénomène dont c'est parce qu'on y a accordé trop peu d'attention qu'on n'est pas arrivé à une formulation satisfaisante, unitaire de toutes les fonctions de l'angoisse dans le champ de notre expérience. Ce phénomène, c'est 1' Unheimlichkeit. Je vous ai priés de vous reporter au texte de Freud la dernière fois, ceci pour les mêmes rai­sons, c'est que je n'ai pas le temps de ré-épeler avec vous ce texte. Beaucoup d'entre vous, je le sais, s'y sont tout de suite portés, ce dont je les remercie. La première chose qui vous y sautera aux yeux même à une lecture superfi­cielle, est l'importance qu'y donne Freud à une analyse linguistique. Si ce n'était pas éclatant partout, ce texte suffirait à lui seul à justifier la préva­lence, dans mon commentaire de Freud, que je donne aux fonctions du signifiant. La chose qui vous sautera deuxièmement aux yeux, quand vous lirez ce par quoi Freud introduit la notion d'unheimlich, l'exploration des dictionnaires concernant ce mot c'est que la définition de 1'unheimlich, c'est d'être 1'unheimlichhar. C'est ce qui est heim au point qui est unheim. Puis comme il n'a que faire de nous expliquer pourquoi c'est comme ça, parce que c'est très évident à lire simplement les dictionnaires, il ne s'y arrête pas plus, il est comme moi aujourd'hui, il faut qu'il avance. Eh! bien, pour notre convention, pour 1a clarté de notre langage, pour la suite, cette place 1à désignée la dernière fois, nous allons l'appeler de son nom, c'est ça qui s'appelle heim. Si vous voulez, disons que si ce mot a un sens dans l'expé­rience humaine, c'est là la maison de l'homme. Donnez à ce mot maison toutes les résonances que vous voudrez, y compris astrologiques. L'homme trouve sa maison en un point situé dans l'Autre, au-delà de l'image dont nous sommes faits, et cette place représente l'absence où nous sommes. 

A supposer, ce qui arrive, qu'elle se révèle pour ce qu'elle est, la présence ailleurs qui fait cette place comme absence; alors elle est la reine du jeu. Elle s'empare de l'image qui la supporte et l'image spéculaire devient l'image du double avec ce qu'elle apporte d'étrangeté radicale et, pour employer des termes qui prennent leur signification de s'opposer aux termes hégéliens, en nous faisant apparaître comme objet de nous révéler la non-autonomie du sujet. Tout ce que Freud a repéré comme exemple dans les textes hoffman­niens qui sont au cœur d'une telle expérience, L'homme au sable et son atroce histoire dans laquelle on voit le sujet rebondir de captation en capta­tion devant cette forme d'image qui à proprement parler matérialise le sché­ma ultra réduit qu'ici je vous en donne, mais la poupée dont il s'agit, que le héros du conte guette derrière la fenêtre du sorcier qui autour d'elle trafique je ne sais quelle opération magique, c'est proprement cette image dans l'opération de la compléter par ce qui en est dans la forme même du conte absolument distingué, à savoir l’œil. Et l’œil dont il s'agit ne peut être que celui du héros du conte. Le thème de ce qu'on veut lui ravir cet œil est ce qui donne le fil explicatif de tout le conte.

L'angoisse, que nous prenons dans sa définition à minima comme signal, définition qui pour être au terme des progrès de la pensée de Freud n'est pas ce qu'on croit, à savoir le résultat d'un abandon des premières positions de Freud qui en faisait le fruit d'un métabolisme énergétique, ni d'un abandon, ni même d'une conquête nouvelle, car il y a déjà au moment où Freud fai­sait de l'angoisse la transformation de la libido, l'indication qu'elle pouvait fonctionner comme signal. Ceci, il me sera facile de vous le montrer au pas­sage en nous référant au texte. J'ai trop à faire, à soulever cette année avec vous concernant l'angoisse pour stagner trop longtemps au niveau de cette explication de texte.

L'angoisse, vous ai-je dit, est liée à tout ce qui peut apparaître à cette place, et ce qui nous l'assure, c'est un phénomène dont c'est parce qu'on y a accordé trop peu d'attention qu'on n'est pas arrivé à une formulation satisfaisante, unitaire de toutes les fonctions de l'angoisse dans le champ de notre expérience. Ce phénomène, c'est 1' Unheimlichkeit. Je vous ai priés de vous reporter au texte de Freud la dernière fois, ceci pour les mêmes rai­sons, c'est que je n'ai pas le temps de ré-épeler avec vous ce texte. Beaucoup d'entre vous, je le sais, s'y sont tout de suite portés, ce dont je les remercie. La première chose qui vous y sautera aux yeux même à une lecture superfi­cielle, est l'importance qu'y donne Freud à une analyse linguistique. Si ce n'était pas éclatant partout, ce texte suffirait à lui seul à justifier la préva­lence, dans mon commentaire de Freud, que je donne aux fonctions du signifiant. La chose qui vous sautera deuxièmement aux yeux, quand vous lirez ce par quoi Freud introduit la notion d'unheimlich, l'exploration des dictionnaires concernant ce mot c'est que la définition de 1'unheimlich, c'est d'être 1'unheimlichhar. C'est ce qui est heim au point qui est unheim. Puis comme il n'a que faire de nous expliquer pourquoi c'est comme ça, parce que c'est très évident à lire simplement les dictionnaires, il ne s'y arrête pas plus, il est comme moi aujourd'hui, il faut qu'il avance. Eh! bien, pour notre convention, pour 1a clarté de notre langage, pour la suite, cette place 1à désignée la dernière fois, nous allons l'appeler de son nom, c'est ça qui s'appelle heim. Si vous voulez, disons que si ce mot a un sens dans l'expé­rience humaine, c'est là la maison de l'homme. Donnez à ce mot maison toutes les résonances que vous voudrez, y compris astrologiques. L'homme trouve sa maison en un point situé dans l'Autre, au-delà de l'image dont nous sommes faits, et cette place représente l'absence où nous sommes.-57-

A supposer, ce qui arrive, qu'elle se révèle pour ce qu'elle est, la présence ailleurs qui fait cette place comme absence; alors elle est la reine du jeu. Elle s'empare de l'image qui la supporte et l'image spéculaire devient l'image du double avec ce qu'elle apporte d'étrangeté radicale et, pour employer des termes qui prennent leur signification de s'opposer aux termes hégéliens, en nous faisant apparaître comme objet de nous révéler la non-autonomie du sujet. Tout ce que Freud a repéré comme exemple dans les textes hoffman­niens qui sont au cœur d'une telle expérience, L'homme au sable et son atroce histoire dans laquelle on voit le sujet rebondir de captation en capta­tion devant cette forme d'image qui à proprement parler matérialise le sché­ma ultra réduit qu'ici je vous en donne, mais la poupée dont il s'agit, que le héros du conte guette derrière la fenêtre du sorcier qui autour d'elle trafique je ne sais quelle opération magique, c'est proprement cette image dans l'opération de la compléter par ce qui en est dans la forme même du conte absolument distingué, à savoir l’œil. Et l’œil dont il s'agit ne peut être que celui du héros du conte. Le thème de ce qu'on veut lui ravir cet oeil est ce qui donne le fil explicatif de tout le conte.

Il est significatif de je ne sais quel embarras, lié au fait que c'était la pre­mière fois que le soc entrait dans cette ligne de la révélation de la structure subjective, que Freud nous donne en quelque sorte cette référence en vrac. Il dit « lisez Les élixir du Diable ». Je ne peux même pas vous dire à quel point c'est complet, à quel point il y a toutes les formes possibles du même méca­nisme où s'explicitent toutes les incidences où peut se produire cette fonc­tion, où peut se produire cette réaction, l'Unheimlich. Manifestement il ne s'y avance pas, il est comme en quelque sorte débordé par la luxuriance que présente effectivement ce court et petit roman dont il n'est pas tellement facile de se procurer un exemplaire, encore que par la bonté de toujours de je ne sais qui des personnes présentes, je me trouve en avoir trouvé un, et je vous en remercie ou bien j'en remercie la personne en question, sur ce pupitre. Il est bien utile d'en avoir à sa disposition plus d'un exemplaire.

En ce point heim ne se manifeste pas simplement, ce que vous savez depuis toujours, à savoir que le désir se révèle comme désir de l'Autre, ici désir dans l'Autre, mais je dirai que mon désir entre dans l'autre où il est attendu de toute éternité sous la forme de l'objet que je suis, en tant qu'il m'exile de ma subjectivité en résolvant par lui-même tous les signifiants à quoi cette subjectivité est attachée. Bien sûr ça n'arrive pas tous les jours, peut-être même que ça n'arrive que dans les contes d'Hoffmann. Dans Les élixir du Diable c'est tout à fait clair. A chaque détour, de cette longue et si tortueuse vérité, on conçoit, à là note que donne Freud qui laisse entendre que quelque peu l'on s'y perd et même ce s'y perdre fait partie de là fonc­tion du labyrinthe qu'il s'agit d'animer. Mais il est clair que, pour prendre chacun ce détour, le sujet n'arrive, n'accède à son désir qu'à se substituer toujours à un de ses propres doubles.

Ce n'est pas pour rien que Freud insiste sur là dimension essentielle que donne à notre expérience de l'Unheimlich le champ de là fiction. Dans là réalité, elle est trop fugitive et là fiction là démontre bien mieux, là produit même d'une façon plus stable parce que mieux articulée. C'est une sorte de point idéal, mais combien précieux pour nous, puisque, à partir de ce point, nous allons pouvoir voir là fonction du fantasme. Cette possibilité articulée jusqu'au ressassement dans une couvre comme Les élixirs du diable, mais repérable dans tant d'autres de l'effet majeur de là fiction, cet effet dans le courant efficace de l'existence, nous pouvons dire que c'est lui qui reste à l'état de fantasme. Et le fantasme pris ainsi, qu'est-ce que c'est, sinon, ce dont nous nous doutions un peu, ein Wunsh, un vœu et même, comme tous les vœux, assez naïf. Pour l'exprimer assez humoristiquement, je dirai que $ désir de a, formule du fantasme, ça peut se traduire, dans cette perspecti­ve, que l'Autre s'évanouisse, se pâme, dirais-je, devant cet objet que je suis, déduction faite de ce que je me vois.

Alors là, parce qu'il faut bien que je pose les choses d'une façon comme ça apodictique, et puis après vous verrez comment ça fonctionne je vous dirai tout de suite pour éclairer ma lanterne que les deux phases dont j'ai écrit les rapports du $ avec le en le situant différemment par rapport à là fonction réflective du A, par rapport à ce miroir A, ces deux façons corres­pondent exactement, à là façon, à là répartition des termes du fantasme chez le pervers et chez le névrosé; les choses sont, si je puis dire pour m'expri­mer grossièrement, me faire entendre, à leur place, le est là où il est, là où le sujet ne peut pas le voir, comme vous le savez, et le $ est à sa place. C'est pourquoi l'on peut dire que le sujet pervers, tout en restant inconscient de là façon dont ça fonctionne, s'offre loyalement à là jouissance de l'Autre. Seulement, nous. n'en aurions jamais rien su, s'il n'y avait pas les névrosés pour qui le fantasme n'a absolument pas le même fonctionnement. De sorte que c'est à là fois lui qui vous le révèle dans sa structure à cause de ce qu'il en fait, mais avec ce qu'il en fait, par ce qu'il en fait, il vous couillonne comme il couillonne tout le monde. Car comme je vais vous l'expliquer, il se sert de ce fantasme à des fins parti­culières. C'est ce que j'ai déjà expri­mé devant vous d'autres fois, en disant que ce qu'on a cru percevoir comme étant sous la névrose, perver­sion, c'est simplement ceci que je suis en train de vous expliquer, à savoir un fantasme tout entier situé au lieu de l'Autre, l'appui pris sur quelque chose qui, si on le rencontre, va se présen­ter comme perversion.

Les névrosés ont des fantasmes pervers, et c'est bien pourquoi les ana­lystes se cassent la tête depuis fort longtemps à s'interroger sur ce que ça veut dire. On voit tout de même bien que ce n'est pas la même chose, que ça ne fonctionne pas de là même façon. D'où là question qui s'engendre et les confusions qui se multiplient sur le fait de savoir, par exemple, si une perversion est bien vraiment une perversion, c'est-à-dire si elle ne fonction­ne pas comme question qui redouble celle-ci, c'est à savoir à quoi le fantas­me pervers peut bien servir au névrosé ? Car il y a tout de même une chose qu'à partir de la position de la fonction que je viens devant vous de dresser du fantasme, il faut bien commencer par dire, c'est que ce fantasme dont le névrosé se sert, qu'il organise au moment où il en use - il y a bien en effet quelque chose de l'ordre du a qui apparaît à la place du heim, au-dessus de l'image que je vous désigne le lieu d'apparition de l'angoisse - eh! bien, il y a une chose tout à fait frappante, c'est que justement, c'est ce qui lui sert le mieux, à lui, à se défendre contre l'angoisse, à recouvrir l'angoisse.

Il y a donc - ça ne peut se concevoir naturellement qu'à partir des pré­supposés que j'ai bien dû dans leur extrême poser d'abord, mais comme tout discours nouveau, il faudra bien que vous le jugiez sur le moment où il se forme et voir s'il recouvre, comme je pense vous n'en aurez pas de doute, le fonctionnement de l'expérience - cet objet a qu'il se fait être dans son fantasme, le névrosé, eh! bien je dirai qu'il lui va à peu près comme des guêtres à un lapin. C'est bien pourquoi le névrosé de son fantasme n'en fait jamais grand-chose. Ça réussit à le défendre contre l'angoisse justement dans là mesure où c'est un a postiche. C'est là fonction que dès longtemps je vous ai illustrée du rêve de la belle bouchère. La belle bouchère aime le caviar; seulement elle n'en veut pas parce que ça pourrait bien faire trop plaisir à sa grosse brute de mari qui est capable de bouffer ça avec le reste, c'est même pas ça qui l'arrêtera. Or ce qui intéresse là belle bouchère, ce n'est pas du tout bien entendu de nourrir son mari de caviar parce que, comme je vous l'ai dit, il y ajoutera tout un menu, qu'il a gros appétit, le boucher. La seule chose qui intéresse là belle bouchère, c'est que son mari ait envie du petit rien qu'elle tient en réserve.

Cette formule tout à fait claire quand il s'agit de l'hystérique, faites-moi aujourd'hui confiance, elle s'applique à tous les névrosés. Cet objet a en fonctionnant dans leur fantasme, et qui leur sert de défense pour eux contre leur angoisse, est aussi, contre toute apparence, l'appât avec lequel ils tien­nent l'autre, et Dieu merci, c'est à cela que nous devons là psychanalyse.

Il y a une nommée Anna O. qui en connaissait un bout comme manœuvre du jeu hystérique et qui a présenté toute sa petite histoire, tous ses fantasmes, à Messieurs Breuer et Freud qui s'y sont précipités comme des petits poissons dans l'eau. Freud à là page je ne sais plus quoi, 271 des Studien über Hystérie s'émerveille du fait que chez Anna O. quand même il n'y avait pas là moindre défense. Elle donnait tout son truc comme ça. Pas besoin de s'acharner pour avoir tout le paquet. Évidemment il se trouvait devant une forme généreuse du fonctionnement hystérique. Et c'est pour ça que Breuer, comme vous le savez, l'a rudement bien senti passer, car lui, avec le formidable appât il a avalé, le petit rien aussi et il a mis un certain temps à le régurgiter. Il ne s'y est plus frotté dans là suite.

Heureusement Freud était névrosé. Et comme il était à là fois intelligent et courageux, il a su se servir de sa propre angoisse devant son désir, laquel­le était au principe de son attachement ridicule à cette impossible bonne . femme qui d'ailleurs l'a enterré et qui s'appelait Madame Freud. Il a su s'en

servir pour projeter sur l'écran radiographique de sa fidélité à cet objet fan­tasmatique, pour y reconnaître sans ciller même un instant ce qu'il s'agissait de faire, à savoir dé comprendre à quoi tout ça servait et à admettre bel et bien qu'Anna O. le visait parfaitement, lui Freud; mais il était évidemment un petit peu plus dur à avoir que l'autre, Breuer. C'est bien à ceci que nous devons d'être entrés par le fantasme dans le mécanisme de l'analyse et dans un usage rationnel du transfert

.61- C'est peut-être aussi ce qui va nous permettre de faire le pas suivant et de nous apercevoir que ce qui fait là limite du névrosé et des autres - nouveau saut dont je vous prie de repérer le passage, puisque comme pour les autres nous aurons à le justifier par là suite - ce qui fonctionne effectivement chez le névrosé, c'est qu'à ce niveau déjà, chez lui, déplacer a de l'objet, c'est quelque chose qui s'explique déjà suffisamment du fait qu'il a pu faire ce transport de là fonction du a dans l'autre. La réalité qu'il y a derrière cet usage de fallace de l'objet dans le fantasme du névrosé a un nom très simple, c'est là demande.

Le vrai objet que cherche le névrosé, c'est une demande, il veut qu'on lui demande, il veut qu'on le supplie. La seule chose qu'il ne veut pas c'est payer le prix. Ça, c'est une expérience grossière dont les analystes ne sont sans doute pas assez écartés, éclairés par les explications de Freud pour qu'ils n'aient pas cru devoir là-dessus revenir à là pente savonnée du mora­lisme et en déduire un fantasme qui traîne dans les plus vieilles prédications moralistico-religieuses, celles de l'oblativité.

Ils se sont évidemment aperçus que, comme il ne veut rien donner, ça a une certaine relation aussi avec le fait que sa difficulté est de l'ordre du rece­voir. Il veut qu'on le supplie, vous disais-je, et ne veut pas payer le prix. Alors que, s'il voulait bien donner quelque chose, peut-être ça marcherait. Seulement, est-ce que les analystes en question, les beaux parleurs de là maturité génitale, comme si c'était là le lieu du don, ne s'aperçoivent pas que ce qu'il faudrait lui apprendre à donner au névrosé, c'est cette chose qu'il n'imagine pas, c'est rien, c'est justement son angoisse. C'est cela qui nous mène à notre point de départ d'aujourd'hui désignant là butée sur l'angois­se de castration. Le névrosé ne donnera pas son angoisse. Nous en saurons plus, nous saurons pourquoi. C'est tellement vrai que c'est de ça qu'il s'agit, que tout de même tout le procès, toute là chaîne de l'analyse consiste en ceci qu'au moins, il en donne l'équivalent; qu'il commence par donner un peu son symptôme. Et c'est pour ça qu'une analyse, comme disait Freud, ça commence par une mise en forme des symptômes. Nous sommes bien à là place dont il s'agit et on s'efforce de le prendre, mon Dieu, à son propre piège. On ne peut faire jamais autrement avec personne. Il vous fait une offre en somme fallacieuse, eh! bien on l'accepte. De ce fait, on entre dans le jeu par où il fait appel à là demande. Il veut que vous lui demandiez quelque chose; comme vous ne lui demandez rien - c'est comme ça là première entrée dans l’analyse - lui, u commence a moduler les siennes, ses demandes qui viennent là à la place heim. Et je vous le dis en passant, je vois mal, en dehors de ce qui s'articule presque de soi-même sur ce schéma, comment on a pu justifier jusqu'ici, sinon par une espèce de fausse com­préhensibilité grossière,  la dialectique frustration-agression-régression. C'est dans la mesure où vous laissez sans réponse la demande qui vient ici s'articuler, que se produit quoi? L'agression dont il s'agit, où avez-vous jamais vu, si ce n'est hors de l'analyse, dans des pratiques dites de psycho­thérapie de groupe dont nous avons entendu parler quelque part, qu'aucu­ne agression ne se produit? Mais par contre la dimension de l'agressivité entre en jeu pour remettre en question ce qu'elle vise par sa nature, à savoir la relation à l'image spéculaire. C'est dans la mesure où le sujet épuise contre cette image ses rages, que se produit cette succession des demandes qui va toujours à une demande plus originelle historiquement parlant, et que se module la régression comme telle.

Le point auquel nous arrivons maintenant et qui, lui aussi, n'a jamais été expliqué d'une façon satisfaisante jusqu'ici, c'est comment il se fait que ce soit par cette voie régressive que le sujet soit amené à un temps que nous sommes bien forcés de situer historiquement comme progressif. Il y en a qui, placés devant ce paradoxe de savoir comment c'est en remontant jus­qu'à la phase orale qu'on dégage la relation phallique, ont essayé de nous faire croire qu'après la régression il fallait remonter la voie en sens contrai­re, ce qui est absolument contraire à l'expérience. Jamais on n'a vu une ana­lyse, si réussie qu'on la suppose dans le procès de la régression repasser par les étapes contraires, comme il serait nécessaire s'il s'agissait de quelque chose comme d'une reconstruction génétique. Au contraire c'est dans la mesure où sont épuisées jusqu'à leur terme, jusqu'au fond du bol, toutes les formes de la demande, jusqu'à la demande zéro, que nous voyons au fond apparaître la relation de la castration. La castration se trouve inscrite comme rapport à la limite de ce cycle régressif de la demande. Elle apparaît là tout de suite après et dans la mesure où le registre de la demande est épui­sé. C'est cela qu'il s'agit de comprendre topologiquement.

Je ne veux pas aujourd'hui pousser les choses beaucoup plus loin. Mais tout de même, je terminerai sur une remarque qui, pour converger avec celle par laquelle j'ai terminé mon dernier discours, portera votre réflexion dans un sens qui peut vous faciliter le pas suivant, tel que je viens maintenant de

le pointer. ri là encore je ne vais pas m attarder a de vains détours; je vais prendre les choses en plein milieu du bassin. Dans Inhibition, symptôme, angoisse, Freud nous dit, ou a l'air de nous dire que l'angoisse est là réac­tion, réaction-signal à là perte d'un objet; il énumère celle, qui se fait à là naissance, du milieu utérin enveloppant, celle éventuelle de là mère consi­dérée comme objet, celle du pénis, celle de l'amour de l'objet et celle de l'amour du super ego.

Or qu'est-ce que je vous ai dit là dernière fois pour déjà vous mettre sur une certaine voie essentielle à saisir ? C'est que l'angoisse n'est pas le signal d'un manque, mais de quelque chose qu'il faut que vous arriviez à conce­voir à ce niveau redoublé d'être le défaut de cet appui du manque. Eh! bien reprenez là liste même de Freud que je prends ici arrêtée à son terme, en plein vol, si je puis dire, est-ce que vous ne savez pas que ça n'est pas là nos­talgie de ce qu'on appelle le sein maternel qui engendre l'angoisse, c'est son imminence, c'est tout ce qui annonce quelque chose qui nous permettrait d'entrevoir qu'on va y rentrer. Qu'est-ce qui provoque l'angoisse ? Ce n'est pas contrairement à ce qu'on dit, le rythme ni l'alternance de là présence­ absence de là mère et ce qui le prouve, c'est que ce jeu, présence-absence, l'enfant se complait à le renouveler; cette possibilité de l'absence, c'est ça là sécurité de là présence. Ce qu'il y a de plus angoissant pour l'enfant, c'est que justement ce rapport sur lequel il s'institue du manque qui le fait désir, ce rapport est le plus perturbé quand il n'y a pas de possibilité de manque, quand là mère est tout le temps sur son dos et spécialement à lui torcher le cul, modèle de là demande, de là demande qui ne saurait défaillir. Et à un niveau plus élevé au temps suivant; celui de là prétendue perte du pénis, de quoi s'agit-il? Qu'est ce que nous voyons au début de là phobie du petit Hans ? Ceci, que ce sur quoi on met un accent qui n'est pas bien centré, à savoir que soi-disant l'angoisse serait liée à l'interdiction par là mère des pratiques masturbatoires, est vécu, perçu par l'enfant comme présence du désir de là mère s'exerçant à son endroit. Qu'est-ce que l'angoisse en géné­ral dans le rapport avec l'objet du désir qui est ce que nous apprend ici l'ex­périence, si ce n'est qu'elle est tentation, non pas perte de l'objet, mais jus­tement présence de ceci que les objets ça ne manque pas ? Et pour passer à l'étape suivante, celle de l'amour du Surmoi avec tout ce qu'il est censé poser dans là voie dite de l'échec, qu'est-ce que ça veut dire, sinon que ce qui est craint, c'est là réussite, c'est toujours le ça ne manque pas ?

64- Je vous laisserai aujourd'hui sur ce point destiné pour vous à faire tour­ner une confusion qui repose justement toute entière sur là difficulté d'identifier l'objet du désir. Et ce n'est pas parce qu'il est difficile à identi­fier qu'il n'est pas là; il est là et sa fonction est décisive pour ce qui est de l'angoisse. Considérez que ce que je vous ai dit aujourd'hui n'est encore qu'accès préliminaire, que le mode précis de sa situation où nous entrerons dès là prochaine fois est donc à situer entre trois thèmes que vous avez vu dessiner dans mon discours d'aujourd'hui: l'un est là jouissance de l'Autre, l'autre là demande de l'Autre, le troisième n'a pu être entendu que par les oreilles les plus fines. C'est celui-ci, cette sorte de désir qui se manifeste dans l'interprétation, dont l'incidence même de l'analyste dans là cure est là forme là plus exemplaire et là plus énigmatique, celle qui me fait depuis longtemps poser pour vous là question : que représente, dans cette écono­mie essentielle du désir, cette sorte privilégiée du désir que j'appelle le désir de l'analyste ? -65-




Lecon 3 du seminaire l'angoisse. Psychanalyste Nice

Leçon III 28 novembre 1962

Vous remarquerez que je suis toujours content de m'accrocher à quelque actualité dans notre dialogue. Somme toute, il n'y a rien que ce qui est actuel, c'est bien pour ça qu'il est si difficile de vivre dans le monde, disons, de la réflexion. C'est qu'à la vérité, il ne s'y passe pas grand chose. Ι1 m'ar­rive comme ça de me déranger pour voir si quelque part il ne se montrerait pas une petite pointe de point d'interrogation. Je suis rarement récompen­sé. C'est pour ça qu'il arrive qu'on me pose des questions, et sérieuses; eh bien, vous ne m'en voudrez pas d'en profiter.

Je continue donc mon dialogue avec la personne à qui j'ai déjà fait allu­sion deux fois dans les précédents séminaires, à propos de la façon dont J'ai, la dernière fois, ponctué 1a différence qu'il y a entre la conception de l'arti­culation hégélienne du désir et la mienne. On me presse d'en dire plus sur tout ce qu'on désigne textuellement comme un dépassement à accomplir dans mon propre discours, une articulation plus précise entre le stade du miroir et, comme s'exprime le rapport de Rome, entre l'image spéculaire et le signifiant. Ajoutons qu'il semble rester 1à quelque hiatus, non sans que mon interlocuteur s'aperçoive que peut-être ici l'emploi du mot hiatus, coupure ou scission, n'est pas autre chose que 1a réponse attendue. Néanmoins sous cette forme, elle pourrait paraître, ce qu'elle serait en effet, une élusion ou une élision. Et c'est pourquoi bien volontiers j'essaierai aujourd'hui de lui répondre, et ceci d'autant plus que nous nous trouvons 1à strictement sur la voie de ce que j'ai à vous décrire cette année concernant l'angoisse; l'angoisse, c'est ce qui va nous permettre de repasser, je dis 

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repasser, par l'articulation ainsi requise de moi. Je dis repasser parce que ceux qui m'ont suivi ces dernières années et même sans forcément avoir été ici en tous points assidus, ceux qui ont lu ce que j'écris, ont d'ores et déjà plus que des éléments pour remplir, pour faire fonctionner cette coupure, ce hiatus, comme vous allez le voir aux quelques rappels par quoi je vais com­mencer.

Α la vérité, je ne crois pas qu'il y ait dans ce que j'ai jamais enseigné deux temps, un temps qui serait centré sur le stade du miroir, sur quelque chose de pointé sur l'imaginaire, et puis après, avec ce moment de notre histoire qu'on repère sur le rapport de Rome, 1a découverte que J'aurais faite tout d'un coup du signifiant. Dans un texte qui je crois n'est plus facile d'accès, mais enfin qui se trouve dans toutes les bonnes bibliothèques psychia­triques, un texte paru à L'Évolution Psychiatrique qui s'appelle Propos sur 1a causalité psychique, discours qui nous fait remonter, si mon souvenir est bon, juste après la guerre en 1946, ceux qui s'intéressent à 1a question qui m'est ainsi posée, je les prie de s'y reporter, ils y verront des choses qui leur prouveront que ça n'est pas de maintenant que cet entre jeu de ces deux registres a été par moi intimement tressé.

Α la vérité, si ce discours a été suivi d'un assez long silence, disons qu'il ne faut pas trop vous en étonner. Ι1 y a eu du chemin de parcouru depuis pour ouvrir à ce discours un certain nombre d'oreilles, et ne croyez pas qu'au moment où - si ça vous intéresse, relisez ces Propos sur la causalité psychique - au moment où je les ai tenus, ces propos, les oreilles pour l'en­tendre fussent si faciles.

Α la vérité, puisque c'est à Bonneval que ces propos ont été tenus et qu'un rendez-vous plus récent à Bonneval a pu pour certains manifester le chemin parcouru, sachez bien que les réactions à ces premiers Propos furent assez étonnantes. Le terme pudique d'ambivalence dont nous nous servons dans le milieu analytique, caractérise au mieux les réactions que j'ai enre­gistrées à ces Propos. Même, puisqu'on va me chercher sur ce sujet, je ne trouve pas absolument inutile de marquer qu'à un moment, dont un certain nombre d'entre vous étaient déjà assez formés pour s'en souvenir, qu'à un moment qui était d'après-guerre et de je ne sais quel mouvement de renou­veau qu'on pouvait en espérer et, je ne peux pas ne pas me souvenir tout d'un coup de ceci, ceux qui n'étaient certainement pas individuellement les moins disposés à entendre un discours qui était très nouveau alors, qui

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étaient des gens situés quelque part, enfin qu'on appelle politiquement 1a gauche et même l'extrême gauche, enfin les communistes pour les appeler par leur nom, firent preuve tout spécialement à cette occasion de cette sorte de chose, de réaction, de mode, de style qu'il me faut bien épingler par un terme qui est d'usage courant, encore qu'il faudrait s'arrêter un instant avant d'en avancer l'emploi, c'est un terme très injuste à l'égard de ceux qu'ils invoquent à l'origine, mais c'est un terme qui a fini par prendre un sens qui est non ambigu, nous aurons peut-être dans la suite à y revenir, je l'emploie ici au sens courtois, c'est le terme de pharisaïsme.

Je dirai qu'en cette occasion, dans ce petit verre d'eau qu'est notre milieu psychiatrique, le pharisaïsme communiste fit vraiment fonction à plein de ce à quoi nous l'avons vu s'employer pour au moins notre génération dans l'actuel ici en France, à savoir à assurer la permanence de cette somme d'ha­bitudes, bonnes ou mauvaises, où un certain ordre établi trouve son confort et sa sécurité. Bref, je ne peux pas ne pas témoigner que c'est à leurs toutes spéciales réserves que je dois d'avoir compris à ce moment-là que mon dis­cours mettrait encore longtemps à se faire entendre. D'où le silence en ques­tion et l'application que j'ai mise à me consacrer à seulement le faire pénétrer dans le milieu que son expérience rendait le plus apte à l'entendre, à savoir le milieu analytique. Je vous passe les aventures de la suite.

Mais ceci peut vous faire relire les Propos sur 1a causalité psychique, vous verrez, surtout après ce que je vous aurai dit aujourd'hui, que d'ores et déjà la trame existait dans laquelle chacune des deux perspectives s'inscrit et que mon interlocuteur distingue, non pas sans raison. Ces deux perspectives, elles sont ici ponctuées par ces deux lignes colorées, celle en bleu verticale, en rouge, horizontale, que le signe (Ι) de l'imaginaire et (S) du symbolique ici désignent respectivement.

Ι1 y a bien des façons de vous rappeler que l'articulation du sujet au petit autre et l'articulation du sujet au grand Autre ne vivent pas séparées dans ce que je vous démontre. Ι1 y aurait plus d'une façon de vous le rappeler. Je vais vous le rappeler dans un certain nombre de moments qui ont déjà été éclai­rés, ponctués comme essentiels dans mon discours. Je vous fais remarquer que ce que vous voyez 1à dans mon tableau, ce n'est rien d'autre qu'un schéma déjà publié, dans les remarques que j'ai cru devoir faire sur le rap­port à Royaumont de Daniel Lagache. Et ce dessin où s'articule quelque chose qui a le rapport le plus étroit avec notre sujet, c'est-à-dire 1a fonction

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de dépendance de ce que j'appelais respectivement le moi-idéal, et l'idéal du moi, le reprenant de ce rapport de Daniel Lagache, mais aussi d'un discours antérieur que j'avais fait ici, dès 1a deuxième année de mon séminaire. Rappelons donc comment le rapport spéculaire se trouve inséré, se trouve donc prendre sa place, se trouve dépendre du fait que le sujet se constitue au lieu de l'Autre. Il se constitue de sa marque dans le rapport au signifiant. Déjà rien que dans la petite image exemplaire d'où part la démonstration du stade du miroir, dans ce moment dit jubilatoire où l'enfant s'assume comme totalité fonctionnant comme telle dans son image spéculaire, est-ce que, depuis toujours, je n'ai pas rappelé le rapport essentiel à ce moment, de ce mouvement qui fait que le petit enfant qui vient se saisir dans cette expé­rience inaugurale de 1a reconnaissance dans le miroir se retourne vers celui qui le porte, qui le supporte, qui le soutient, qui est 1à derrière lui, l'adulte, l'enfant se retourne en un mouvement vraiment tellement fréquent, je dirais constant que tout un chacun je pense peut avoir le souvenir de ce mouve­ment; il se retourne vers celui qui le porte, vers l'adulte, vers celui qui, là, représente le grand Autre comme pour appeler en quelque sorte son assen­timent, vers ce qu'à ce moment l'enfant dont nous nous efforçons d'assu­mer le contenu de l'expérience, dont nous reconstruisons dans le stade du miroir quel est le sens de ce moment en le faisant se reporter à ce mouve­ment de rotation de 1a tête qui se retourne et qui revient vers l'image, semble lui demander d'entériner 1a valeur de cette image. Bien sûr, ce n'est là qu'un indice que je vous rappelle, compte tenu de 1a liaison inaugurale de ce rap­port au grand Autre avec cet avènement de la fonction de l'image spéculai­re ainsi notée comme toujours par i (a).

Mais faut-il nous en tenir là? Et, puisque c'est à l'intérieur d'un travail que j'avais demandé à mon interlocuteur concernant les doutes qui lui venaient à propos nommément de ce qu'a avancé Claude Lévi-Strauss dans son livre La pensée sauvage, dont, vous le verrez, le rapport est vraiment étroit avec ce que nous avons à dire cette année car, je crois, ce que nous avons à aborder ici pour marquer cette sorte de progrès que constitue l'usa­ge de 1a raison psychanalytique, c'est quelque chose qui vient répondre pré­cisément à cette béance où plus d'un d'entre vous pour l'instant demeure arrêté celle que montre tout au long de son développement Claude Lévi-Strauss dans cette sorte d'opposition de ce qu'il appelle raison analytique avec la raison dialectique.

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Et c'est bien en effet autour de cette opposition que je voudrais enfin ins­tituer, dans ce temps présent, 1a remarque introductive suivante que j'ai à vous faire dans mon chemin d'aujourd'hui, qu'est-ce que j'ai relevé, extrait, du pas inaugural constitué dans 1a pensée de Freud par La Science des Rêves, sinon ceci, que je vous rappelle et sur lequel j'ai mis l'accent, que Freud introduit d'abord l'inconscient, à propos du rêve précisément, comme un lieu qu'il appelle ein anderer Schauplatz, une autre scène ? Dès l'abord, dès l'entrée en jeu de 1a fonction de l'inconscient, ce terme et cette fonction s'y introduisent comme essentiels.

Eh! bien, je crois en effet que c'est là un mode constituant de ce qu'est disons notre raison, de ce chemin que nous cherchons pour en discerner les structures, pour vous faire entendre ce que je vais vous dire. Disons sans plus - il faudra bien y revenir, car nous ne savons pas encore ce que ça veut dire - le premier temps. Le premier temps, c'est: il y a le monde. Et disons que la raison analytique, à laquelle le discours de Claude Lévi-Strauss tend à donner 1a primauté, concerne ce mondé tel qu'il est et lui accorde avec cette primauté une homogénéité en fin de compte singulière, qui est bien ce qui heurte et trouble les plus lucides d'entre vous, qui ne peuvent pas man­quer de pointer, de discerner ce que ceci comporte de retour à ce qu'on pourrait appeler une sorte de matérialisme primaire dans toute la mesure où à la limite, dans ce discours, le jeu même de 1a structure, de la combinatoi­re, tellement puissamment articulée par le discours de Claude Lévi-Strauss ne ferait que rejoindre par exemple 1a structure elle-même du cerveau, voire la structure de 1a matière; n'en représenterait, selon 1a forme dite matéria­lisme au XVIIIe siècle, que le doublet, même pas la doublure. Je sais bien que ce n'est là qu'une perspective à la limite que nous pouvons saisir, mais qu'il est valable de saisir puisqu'elle est en quelque sorte articulée expressément.

Or 1a dimension de la scène, sa division d'avec le lieu, mondain ou pas, cosmique ou pas, où est le spectateur, est bien là pour imager à nos yeux la distinction radicale de ce lieu; de ce lieu où les choses, fût-ce les choses du monde, où toutes les choses du monde viennent à se dire, à se mettre en scène selon les lois du signifiant dont nous ne saurions d'aucune façon les tenir d'emblée pour homogènes aux lois du monde. L'existence du discours et ce qui fait que nous y sommes comme sujets impliqués, n'est que trop évidemment bien antérieure à l'avènement de la science et l'effort enfin

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merveilleux par son côté désespéré que fait Claude Lévi-Strauss pour homogénéiser le discours qu'il appelle de 1a magie avec le discours de la science, est bien quelque chose qui est admirablement instructif, mais qu'il peut pas, un seul instant, pousser jusqu'à l'illusion qu'il n'y a pas là un temps, une coupure, une différence, et je vais accentuer tout à l'heure ce que je veux dire là et ce que nous avons là à dire.

Donc, premier temps dans le monde. Deuxième temps, la scène sur laquelle nous faisons monter ce monde. Et ceci, c'est la dimension de l'his­toire. L'histoire a toujours ce caractère de mise en scène. C'est bien à cet égard que le discours de Claude Lévi-Strauss, nommément au chapitre où il répond à Jean-Paul Sartre, le dernier développement que Jean-Paul Sartre institue pour réaliser cette opération que j'appelais 1a dernière fois remettre l'histoire dans ses brancards. La limitation de la portée du jeu historique, le rappel que le temps de l'histoire se distingue du temps cosmique, que les dates elles-mêmes prennent tout d'un coup une autre valeur, qu'elles s'ap­pellent 21 décembre ou 18 brumaire, et que ce n'est pas du même calendrier qu'il s'agit que celui dont vous arrachez les pages tous les jours. La preu­ve c'est que ces dates ont pour vous un autre sens, qu'elles sont réévoquees, quand il le faut, n'importe quel autre jour du calendrier comme leur don­nant leur marque, leur caractéristique, leur style de différence ou de repentir. Alors, une fois que 1a scène a pris le dessus, ce qui se passe, c'est que le monde y est tout entier monté, qu'avec Descartes, on peut dire : « Sur 1a scène du monde, je m'avance » comme il le fait « masqué », et qu'à partir de là la question peut être posée de savoir ce que doit le monde, ce que nous avons appelé au départ tout à fait innocemment le monde, ce que le monde doit à ce qui lui est redescendu de cette scène, et tout ce que nous avons appelé le monde au cours de l'histoire et dont les résidus se sont superpo­sés, accumulés sans d'ailleurs le moindre souci des contradictions et ce que la culture nous véhicule comme étant le monde qui est un empilement, un magasin d'épaves, de mondes qui se sont succédés et qui pour être incom­patibles n'en font pas moins excessivement bon ménage à l'intérieur de tout un chacun, structure dont le champ particulier de notre expérience nous permet de mesurer 1a prégnance, la profondeur spécialement chez le névro­sé obsessionnel dont Freud lui-même a dès longtemps remarqué combien ces mondes cosmiques pouvaient coexister de 1a façon qui fait apparem­ment pour lui le moins d'objections, tout en manifestant la plus parfaite

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hétérogénéité dès le premier abord, le premier examen, bref, la mise en question de ce qui est le monde du cosmique dans le réel est, à partir du moment où nous avons fait référence à la scène, tout ce qu'il y a de plus légi­time. Est-ce que ce à quoi nous croyons avoir à faire comme monde, est-ce que ce n'est pas tout simplement les restes accumulés de ce qui venait de 1a scène quand, je peux dire, la scène était en tournée ? Eh! bien, ce rappel, ce rappel va nous introduire une troisième remarque, un troisième temps que je devais vous rappeler comme discours antérieur; et d'autant plus, peut-être cette fois-ci d'une façon insistante que ce n'est pas un temps, que je n'ai pas eu assez à l'époque le temps d'accentuer. Puisque nous parlons de scène, nous savons quelle fonction justement le théâtre tient dans le fonctionne­ment des mythes qui nous permettent, à nous analystes, de penser. Je vous ramène à Hamlet et à ce point crucial qui a déjà fait question pour nombre d'auteurs et plus particulièrement pour Rank qui a fait sur ce point un article qui, vu le moment précoce où il a été par lui poussé, un article en tous points admirable, c'est l'attention qu'il a attirée sur la fonction de 1a scène sur la scène.

Qu'est-ce qu'Hamlet, Hamlet de Shakespeare, Hamlet, le personnage de la scène, qu'est-ce qu'Hamlet fait venir sur la scène avec les comédiens ? Sans doute le mouse-trap, 1a souricière, avec laquelle, nous dit-il, il va saisir, attraper, 1a conscience du roi. Mais outre qu'il s'y passe des choses bien étranges et en particulier ceci dans lequel à l'époque, au temps où je vous ai déjà si longuement parlé d'Hamlet, je n'ai pas voulu vous introduire parce que cela nous eût orienté dans une littérature dans le fond plus hamlétique - vous savez qu'elle existe, qu'elle existe au point où il y a de quoi couvrir ces murs - plus hamlétique que psychanalytique et qu'il s'y passe des choses bien étranges, y compris ceci, c'est que, quand 1a scène est mimée en manière de prologue avant que les acteurs ne commencent leur discours, eh! bien, ça ne semble pas beaucoup agiter le roi, alors que pourtant les gestes présumés de son crime sont 1à devant lui, pantomimées. Par contre, il y a quelque chose de bien étrange, c'est le véritable débordement, la crise d'agitation qui saisit Hamlet à partir d'un certain moment où vient sur 1a scène après quelques discours, où vient le moment crucial, celui où le per­sonnage dénommé Lucianus ou Luciano accomplit, accomplit son crime sur celui des deux personnages qui représente le roi, le roi de comédie, bien que celui-ci se soit dans son discours affirmé, assuré comme étant le roi

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d'une certaine dimension, ainsi que celle qui représente sa conjointe, son épouse. Après que la situation ait été bien établie, tous les auteurs qui se sont arrêtés à cette scène ont remarqué que l'accoutrement du personnage est exactement, non pas celui du roi qu'il s'agit d'attraper, mais celui d'Hamlet lui-même et qu'aussi bien il est indiqué que ce personnage n'est pas frère du roi de comédie, n'est pas avec lui dans un rapport qui serait homologue à celui de l'usurpateur qui est dans la tragédie en possession de 1a reine Gertrud, après son meurtre accompli, mais dans une position homologue à celle qu'Hamlet a à ce personnage, que c'est le neveu du roi de comédie.

Ce qu'Hamlet fait représenter sur la scène, c'est donc en fin de compte quoi? C'est lui-même, accomplissant le crime dont il s'agit. Ce personnage dont, pour les raisons que j'ai essayé d'articuler pour vous, le désir ne peut s'animer pour accomplir la volonté du ghost, du fantôme de son père, ce personnage tente de donner corps à quelque chose, et ce à quoi il s'agit de donner corps passe par son image véritablement là, spéculaire, son image non pas dans la situation, le mode d'accomplir sa vengeance, mais d'assu­mer d'abord le crime qu'il s'agira de venger. Or, qu'est-ce que nous voyons ? C'est que c'est insuffisant, qu'il a beau être saisi, après cette sorte d'effet de lanterne magique, de ce qu'on peut vraiment dans ses propos, dans son style, dans la façon toute ordinaire d'ailleurs dont les acteurs ani­ment ce moment, par une véritable petite crise d'agitation maniaque, quand il se trouve, l'instant d'après, avoir son ennemi à sa portée, il ne sait qu'ar­ticuler ce que pour tout auditeur et pour toujours enfin, ce qui n'a pu être senti que comme une dérobade derrière un prétexte, c'est qu'assurément, il saisit son ennemi à un moment trop saint - le roi est en train de prier -­pour qu'il puisse se résoudre, en le frappant à ce moment, à le faire accéder directement au ciel.

Je ne vais pas m'attarder à traduire tout ce que ceci veut dire, car il me faut ici aller plus loin. Je veux assez avancer aujourd'hui et vous faire remar­quer qu'à côté de cet échec-1à, j'ai puissamment articulé alors ce second moment. Je vous en ai montré toute 1a portée. C'est dans la mesure où une identification d'une nature tout à fait différente que j'ai appelée identifica­tion avec Ophélie, c'est dans 1a mesure où l'âme furieuse que nous pouvons inférer légitimement être celle de 1a victime, de la suicidée, manifestement offerte en sacrifice aux mânes de son père, car c'est à la suite du meurtre de

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son père à elle qu'elle fléchit, qu'elle succombe, et cela nous montre les croyances de toujours concernant les suites de certains modes de trépas du fait même que les cérémonies funéraires en son cas, ne peuvent pas être plei­nement remplies, que rien n'est apaisé de la vengeance qu'elle crie, elle; c'est au moment de la révélation de ce qu'a été pour lui cet objet négligé, mécon­nu que nous voyons là jouer dans Shakespeare à nu cette identification à l'objet que Freud nous désigne comme étant le ressort majeur de la fonction du deuil, cette définition implacable, je dirais, que Freud a su donner du deuil, cette sorte d'envers qu'il a désigné aux pleurs qui lui sont consacrés, ce fond de reproche qu'il y a dans le fait qu'on ne veuille de 1a réalité de celui qu'on a perdu, ne vouloir se souvenir que de ce qu'il a laissé de regrets. Quelle étonnante cruauté, bien faite pour nous rappeler 1a légitimité de modes de célébrations plus primitives que des pratiques collectives savent encore faire vivre! Pourquoi ne se réjouirait-on pas qu'il ait existé ? Les paysans dont nous croyons qu'ils noient dans des banquets une insensibili­té préjudicielle, c'est bien autre chose qu'ils font, c'est l'avènement de celui qui a été, à la sorte de gloire simple qu'il mérite, comme ayant été parmi nous simplement un vivant. Cette identification à l'objet du deuil que Freud a désigné ainsi sous ses modes négatifs, n'oublions pas qu'il a, s'il existe, aussi sa phase positive, et que l'entrée, dans Hamlet, de ce que j'ai appelé ici la fureur de l'âme féminine, c'est ce qui lui donne la force de devenir, à par­tir de 1à, ce somnambule qui accepte tout, jusques et y compris - je l'ai assez marqué - dans le combat d'être celui qui tient l'enjeu, qui tient la partie pour son ennemi, le roi lui-même, contre son image spéculaire, qui est Laërte. Les choses, à partir de là, s'arrangeront toutes seules et sans qu'il fasse en somme rien qu'exactement ce qu'il ne faut pas faire, le mener jus­qu'à ce qu'il a à faire, à savoir qu'il soit lui-même blessé à mort, et à le mener jusqu'à ce qu'il a à faire : auparavant à tuer le roi. Nous avons ici, la distan­ce, 1a différence qu'il y a entre deux sortes d'identifications imaginaires : 1) celle au a, i (a), image spéculaire telle qu'elle nous est donnée au moment de la scène sur la scène; 2) celle plus mystérieuse dont l'énigme commence d'être là développée, à quelque chose d'autre, l'objet, l'objet du désir comme tel, sans aucune ambiguïté désigné dans l'articulation shakespea­rienne comme tel puisque c'est justement comme objet de désir qu'il a été jusqu'à un certain moment négligé, qu'il est réintégré sur 1a scène par la voie de l'identification justement dans 1a mesure où comme objet il vient à dis-

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paraître, que 1a dimension, si l'on peut dire, rétroactive, cette dimension de l'imparfait sous la forme ambiguë où il est employé en français, qui est celle qui donne sa force à la façon dont je répète devant vous le il ne savait pas, ce qui veut dire, au dernier moment n'a-t-il pas su, un peu plus, il allait savoir. Cet objet du désir dont ce n'est pas pour rien que désir en latin se dit desiderium, à savoir cette reconnaissance rétroactive, cet objet qui était là, c'est par cette vole que le place le retour d'Hamlet, ce qui est 1a pointe de sa destinée, de sa fonction d'Hamlet, si je puis m'exprimer ainsi, de son achè­vement hamlétique, c'est ici que ce troisième temps de référence à mon dis­cours précédent nous montre où il convient de porter l'interrogation comme déjà vous le savez depuis longtemps, parce que c'est la même sous des angles multiples que je renouvelle toujours, le statut de l'objet en tant qu'objet du désir. Tout ce que dit Claude Lévi-Strauss de la fonction de la magie, de 1a fonction du mythe a sa valeur, à condition que nous sachions qu'il s'agit du rapport à cet objet qui a le statut d'objet du désir, statut qui, j'en conviens, n'est pas encore établi. C'est notre objet de cette année par 1a vole de l'abord de l'angoisse de faire avancer et qu'il convient tout de même de ne pas confondre cet objet du désir avec l'objet défini par l'épistémolo­gie, comme avènement d'un certain objet scientifiquement défini, comme avènement de l'objet qui est l'objet de notre science, objet très spécifique­ment défini par une certaine découverte de l'efficacité de l'opération signi­fiante comme telle, le propre de notre science - je dis de 1a science qui exis­te depuis deux siècles parmi nous - laisse ouverte 1a question que j'ai appe­lée tout à l'heure le cosmisme de l'objet.

Ι1 n'est pas sûr qu'il y ait un cosmos et notre science avance dans la mesu­re où elle a renoncé à préserver toute présupposition cosmique ou cosmici­sante. Nous retrouvons ce point essentiel de référence, tellement essentiel qu'on ne peut manquer de s'étonner qu'en restituant sous une forme moderne une espèce de permanence, de perpétuité, d'éternité du cosmisme de la réalité de l'objet, Claude Lévi-Strauss, dans La Pensée Sauvage, n'ap­porte pas à tout le monde l'espèce de sécurité, de sérénité, d'apaisement épi­curien qui devrait résulter. La question se pose de savoir si c'est uniquement les psychanalystes qui ne sont pas contents ou si c'est tout le monde. Or je prétends, quoique je n'en aie pas encore de preuves, que ce doit être tout le monde. Ι1 s'agit de rendre raison pourquoi, pourquoi on n'est pas content de voir tout d'un coup le totémisme, si l'on peut dire, vidé de son contenu

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que j'appellerai grossièrement pour me faire entendre passionnel, pourquoi on n'est pas content que le monde soit depuis l'ère néolithique - parce qu'on ne peut pas remonter plus loin, déjà si tellement en ordre que tout ne soit que vaguelettes insignifiantes à la surface de cet ordre., en d'autres termes, pourquoi nous voulons tellement préserver la dimension de l'an­goisse. Il doit bien y avoir une raison pour ça; car le biais, la voie de passa­ge qui est ici désignée pour nous, entre ce retour à un cosmisme assuré et d'autre part le maintien d'un pathétisme historique auquel nous ne tenons pas non plus tellement que ça, encore qu'il ait justement toute sa fonction, c'est bien dans l'étude de la fonction de l'angoisse que ce chemin que nous cherchons doit passer. Et c'est pourquoi je suis amené à vous rappeler les termes où se montre comment se noue précisément la relation spéculaire avec la relation au grand Autre. Dans cet article auquel je vous demande de vous référer, parce que je ne vais pas entièrement ici le refaire, ce que l'ap­pareil, là petite image que j'ai fomentée pour faire comprendre ce dont il s'agit, ce à quoi cet appareil est destiné, est ceci, c'est à nous rappeler ceci, qu'à la fin de mon séminaire sur le désir j'ai accentué, c'est que la fonction de l'investissement spéculaire se conçoit située à l'intérieur de là dialectique du narcissisme telle que Freud l'a introduite.

Cet investissement de l'image spé­culaire est un temps fondamental de là relation imaginaire, fondamental en ceci qu'il a une limite et c'est que tout l'investissement libidinal ne passe pas par l'image spéculaire. Il y a un reste. Ce reste, j'ai déjà tenté et, j'espère, assez réussi à vous faire concevoir comment et pourquoi nous pouvons le caractériser sous un mode central, pivot, dans toute cette dialectique, et c'est là que je repren­drai la prochaine fois et que je vous montrerai en quoi cette fonction est pri­vilégiée plus que je n'ai pu encore le faire jusqu'ici, sous le mode, dis-je, du phallus. Et ceci veut dire que, dès lors, dans tout ce qui est repérage imagi­naire, le phallus viendra sous la forme d'un manque, d'un - φ. Dans toute la mesure où se réalise en i (a) ceci que j'ai appelé l'image réelle, la constitu-

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tion dans le matériel du sujet de l'image du corps fonctionnant comme pro­prement imaginaire, c'est-à-dire libidinalisée, le phallus apparaît en moins, apparaît comme un blanc. Le phallus sans doute est une réserve opératoire, mais non seulement qui n'est pas représentée au niveau de l'imaginaire mais qui est cernée et, pour dire le mot, coupée de l'image spéculaire.

Tout ce que j'ai, l'année dernière, essayé de vous articuler autour du cross-cap est, pour ajouter à cette dialectique une cheville, quelque chose qui, sur le plan de ce domaine ambigu de la topologie, pour ce qu'elle amin­cit à l'extrême les données de l'imaginaire, qu'elle joue sur une sorte de trans-espace dont en fin de compte tout laisse à penser qu'il est fait de la pure articulation signifiante, tout en laissant encore à notre portée quelques éléments intuitifs, justement ceux supportés par cette image biscornue et pourtant combien expressive du cross-cap que j'ai manipulé devant vous pendant plus d'un mois, pour vous faire concevoir comment, dans une sur­face ainsi définie qui était celle-là, je ne le rappelle pas ici, la coupure peut instituer deux morceaux, deux pièces différentes, l'une qui peut avoir une image spéculaire et l'autre qui littéralement n'en a pas. Le rapport de cette réserve, de cette réserve insaisissable imaginairement, encore qu'elle soit liée à un organe, Dieu merci, encore parfaitement saisissable, c'est-à-dire celui de l'instrument qui devra tout de même de temps en temps entrer en action pour la satisfaction du désir, le phallus, le rapport de ce - φ avec 1a consti­tution du a qui est ce reste, ce résidu, cet objet dont le statut échappe au sta­tut de l'objet dérivé de l'image spéculaire, échappe aux lois de l'esthétique transcendantale, cet objet dont le statut est si difficile pour nous à articuler que c'est par là que sont entrées toutes les confusions dans 1a théorie analy­tique, cet objet a dont nous n'avons fait qu'amorcer les caractéristiques constituantes et que nous amenons ici à l'ordre du jour, cet objet a, c'est lui dont il s'agit partout où Freud parle de l'objet quand il s'agit de l'angoisse. L'ambiguïté tient à la façon dont nous ne pouvons faire que d'imaginer cet objet dans le registre spéculaire. Ι1 s'agit précisément d'instituer ici - et nous le ferons, nous pouvons le faire - d'instituer un autre mode d'imagi­narisation, si je puis m'exprimer ainsi, où se définisse cet objet. C'est ce que nous allons arriver à faire, si vous voulez bien me suivre, c'est-à-dire pas à pas. D'où, dans cet article dont je vous parle, fais-je partir 1a dialectique ? D'un S, le sujet comme possible, le sujet parce qu'il faut bien en parler si l'on parle, le sujet dont le modèle nous est donné par 1a conception classique

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du sujet à cette seule condition que nous le limitions au fait qu'il parle et, dès qu'il parle, il se produit quelque chose. Dès qu'il commence à parler, le trait unaire entre en jeu. L'identification primaire à ce point de départ que constitue le fait de pouvoir dire un et un, et encore un, et encore un et que c'est toujours d'un un qu'il faut qu'on parte, c'est à partir de là - le sché­ma de l'article en question le dessine - à partir de là que s'institue la pos­sibilité de la reconnaissance comme telle de l'unité appelée i (a). Cet 1 (a) est donné dans l'expérience spéculaire, mais, comme je vous l'ai dit, cette expé­rience spéculaire est authentifiée par l'Autre et comme telle, au niveau du signe i (a). Rappelez-vous mon schéma, je ne peux pas là-dessus vous redonner les termes de 1a petite expérience de physique amusante qui m'a servi à pouvoir vous l'imager, i'(a) qui est l'image virtuelle d'une image réel­le; au niveau de cette image virtuelle, il n'apparaît ici rien.

J'ai écrit - φ parce que nous aurons à l'y amener la prochaine fois. - φ West pas plus visible, n'est pas plus sensible, n'est pas plus présentifiable là qu'il ne l'est ici, - φ n'est pas entré dans l'imaginaire. Le sort principal, inau­gural, le temps, j'insiste, dont nous parlons tient ici en ceci, qu'il faudra attendre la prochaine fois pour que je vous l'articule, que le désir tient dans 1a relation que je vous ai donnée pour être celle du fantasme $, le poinçon, avec son sens que nous saurons lire encore différemment bientôt, a : $0 a.

Ceci veut dire que ce serait dans 1a mesure où le sujet pourrait être réel­lement, et non pas par l'intermédiaire de l'Autre, à la place de Ι qu'il aurait relation avec ce qu'il s'agit de prendre dans le corps de l'image spéculaire originelle i (a), à savoir l'objet de son désir, a; ceci, ces deux piliers, sont le support de la fonction du désir, et si le désir existe et soutient l'homme dans son existence d'homme, c'est dans 1a mesure où cette relation, par quelque détour, est accessible, où des artifices nous donnent accès à la relation ima­ginaire que constitue le fantasme. Mais ceci n'est nullement possible d'une façon effective. Ce que l'homme a en face de lui, ce n'est jamais que l'ima­ge de ce que dans mon schéma je représentais, vous le savez ou vous ne le savez pas, par l'i'(a). Ce que l'illusion du miroir sphérique produit ici, à l'état réel, sous une forme d'image réelle, il en a l'image virtuelle avec rien dans son corps. Le a, support du désir dans le fantasme, n'est pas visible dans ce qui constitue, pour l'homme, l'image de son désir.

Cette présence donc ailleurs, en deçà et, comme vous le voyez ici, trop près de lui pour être vue, si l'on peut dire, du a, c'est ceci l'initium du désir;

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et c'est de 1à que l'image i'(a) prend son prestige. Mais plus l'homme s'ap­proche, cerne, caresse ce qu'il croit être l'objet de son désir, plus en fait il en est détourné, dérouté en ceci justement que tout ce qu'il fait sur cette vole pour s'en approcher, donne toujours plus corps à ce qui dans l'objet de ce désir représente l'image spéculaire. Plus il va, plus il veut dans l'objet de son désir préserver, maintenir, - écoutez bien ce que je vous dis - protéger, c'est le intact de ce vase primordial qu'est l'image spéculaire, plus il s'enga­ge dans cette voie qu'on appelle souvent improprement la voie de 1a perfec­tion de la relation d'objet, plus il est leurré. Ce qui constitue l'angoisse, c'est quand quelque chose, un mécanisme, fait apparaître ici à sa place que J'ap­pellerai pour me faire entendre simplement naturelle, à la place qui corres­pond à celle qu'occupe le a de l'objet du désir, quelque chose, et quand je dis quelque chose, entendez n'importe quoi, je vous prie, d'ici la prochaine .fois, de vous donner 1a peine, avec cette introduction que je vous y donne, de relire l'article sur 1'Unheimlich. C'est un article que je n'ai jamais enten­du commenter, jamais, jamais entendu commenter, et dont personne ne semble même s'apercevoir qu'il est la cheville absolument indispensable, pour aborder la question de l'angoisse.

De même que j'ai abordé l'inconscient par le mot d'esprit, j'aborderai cette année l'angoisse par 1'Unheimlich, c'est ce qui apparaît à cette place, au dessus de i'(a). C'est pourquoi je vous l'ai écrit dès aujourd'hui, c'est le - φ, le quelque chose qui nous rappelle que ce dont tout part c'est ce - φ de la castration imaginaire, qu'il n'y a pas, et pour cause, d'image du manque. Quand il apparaît quelque chose là, c'est donc, si je puis m'exprimer ainsi, que le manque vient à manquer. Or ceci pourra vous apparaître une pointe, un mot d'esprit bien à sa place, dans mon style dont chacun sait qu'il est gongorique. Eh! bien, je m'en fous. Je vous ferai simplement observer qu'il peut se produire bien des choses dans le sens de l'anomalie, ce n'est pas ça qui nous angoisse. Mais si tout d'un coup vient à manquer toute norme, c'est-à-dire ce qui fait le manque, car 1a norme est corrélative de l'idée de manque, si tout d'un coup ça ne manque pas, et croyez-moi, essayez d'ap­pliquer ça à bien des choses, c'est à ce moment-là que commence l'angois­se.

De sorte que d'ores et déjà je vous autorise à reprendre 1a lecture de ce que dit Freud dans son dernier grand article sur l'angoisse, celui d'Inhibition, symptôme, angoisse, dont déjà pour une première délinéation

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nous sommes partis. Alors avec cette clé, vous pourrez voir le véritable sens à donner, sous sa plume, au terme de perte de l'objet. C'est là la prochaine fois que je reprendrai et où j'espère donner son véritable sens à notre recherche de cette année.

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L'angoisse. Suite du séminaire, psycananyste à Nice.

Leçon II 21 novembre 1962

Au moment de continuer aujourd'hui d'engager un peu plus mon dis­cours sur l'angoisse, je peux légitimement poser devant vous la question de ce que c'est qu'un enseignement. La notion que nous pouvons nous en faire doit tout de même subir quelque effet - si ici nous sommes en principe, disons, pour la plupart des analystes, si l'expérience analytique est suppo­sée être ma référence essentielle quand je m'adresse à l'audience que vous composez - de ce que nous ne pouvons pas oublier que l'analyste est, si je puis dire, un interprétant. Ι1 joue sur ce temps si essentiel que j'ai déjà accentué pour vous à plusieurs reprises à partir de plusieurs sujets de « il ne savait pas », «j e ne savais » et auquel nous laisserons donc un sujet indéter­miné en le rassemblant dans un « on ne savait pas ».

Par rapport à cet « on ne savait pas », l'analyste est censé savoir quelque chose. Pourquoi ne pas même admettre qu'il en sait un bout? La question n'est pas de savoir, elle serait tout au moins prématurée, s'il peut l'enseigner. Nous pouvons dire que jusqu'à un certain point, la seule existence d'un endroit comme ici et du rôle que j'y joue depuis un certain temps, est une façon de trancher la question bien ou mal, mais de la trancher. La question est de savoir « qu'est-ce que l'enseigner? ».

Qu'est-ce que d'enseigner quand il s'agit justement de ce qu'il s'agit d'enseigner, de l'enseigner non seulement à qui ne sait pas, mais - il faut admettre que jusqu'à un certain point nous sommes tous ici logés à la même enseigne - à qui, étant donné ce dont il s'agit, à qui ne peut pas savoir. Observez bien où porte, si je puis dire, le porte-à-faux. Un enseignement

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analytique s'il n'y avait pas ce porte-à-faux, ce séminaire lui-même pourrait se concevoir dans 1a ligne, dans le prolongement de ce qui se passe par exemple dans un contrôle. Contrôle où c'est ce que vous savez, ce que vous sauriez, qui serait apporté, et où je n'interviendrais que pour donner l'ana­logue de ce qui est l'interprétation, à savoir cette addition moyennant quoi quelque chose apparaît qui donne le sens à ce que vous croyez savoir, qui fait apparaître en un éclair ce qu'il est possible de saisir au-delà des limites du savoir.

C'est tout de même dans la mesure où un savoir est dans ce travail d'éla­boration communautaire plus que collective de l'analyse où ce savoir est constitué et parmi ceux qui ont son expérience, les analystes, qu'un travail de rassemblement est concevable, qui justifie 1a place que peut prendre un enseignement comme celui qui est fait ici. C'est parce que si vous voulez, il y a déjà, sécrétée par l'expérience analytique, toute une littérature qui s'ap­pelle théorie analytique, que je suis forcé - souvent bien contre mon gré - de lui faire ici autant de part; c'est elle qui nécessite que je fasse quelque chose qui doit aller au-delà de ce rassemblement, et justement dans le sens de nous rapprocher, à travers ce rassemblement de 1a théorie analytique, de ce qui constitue sa source, à savoir l'expérience.

Ici se présente une ambiguïté qui tient non seulement à ce qu'ici se mélangent à nous quelques non-analystes. Ι1 n'y a pas à ça grand inconvé­nient puisque aussi bien même les analystes arrivent ici avec des positions, des postures, des attentes qui ne sont pas forcément analytiques, et déjà très suffisamment conditionnés par le fait que dans la théorie analytique s'in­troduisent des références de toute espèce, et beaucoup plus qu'il n'apparaît au premier abord et qu'on peut qualifier d'extra analytiques, de psycholo­gisantes par exemple. Par le seul fait donc que j'aie affaire à cette matière, matière de mon audience, matière de mon objet d'enseignement, je serai amené à me référer à cette expérience commune qui est celle grâce à quoi s'établit toute communication enseignante, à savoir à ne pas pouvoir rester dans la pure position que j'ai appelée tout à l'heure interprétante, mais de passer à une position communicante plus large : m'engager sur le terrain du « faire comprendre », faire appel en vous à une expérience qui va bien au-delà de la stricte expérience analytique.

Ceci est important à rappeler parce que le « faire comprendre » est de tout temps ce qui, en psychologie au sens le plus large, est vraiment la pierre

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d'achoppement. Non pas tellement que l'accent doive être mis sur ce qui à un moment par exemple a paru la grande originalité d'un ouvrage comme celui de Bloindel sur la Conscience morbide, à savoir qu'il y a des limites de la compréhension. Ne nous imaginons pas, par exemple, que nous compre­nons le vécu, comme on dit, authentique, réel, des malades. Mais ce n'est pas 1a question de cette limite qui est pour nous importante. Au moment de vous parler de l'angoisse, il importe de vous faire remarquer que c'est une des questions que nous suspendons, car 1a question est bien plutôt d'expli­quer pourquoi, à quel titre pouvons-nous parler de l'angoisse, quand nous subsumons sous cette rubrique l'angoisse dans laquelle nous pouvons nous introduire à la suite de telle méditation guidée par Kierkegaard ? Cette angoisse qui peut nous saisir à tel moment, paranormale ou même franche­ment pathologique, comme étant nous-mêmes sujets d'une expérience plus ou moins psycho-pathologiquement situable; l'angoisse qui est celle à laquelle nous avons affaire avec nos névrosés, matériel ordinaire de notre expérience, et aussi bien l'angoisse que nous pouvons décrire et localiser au principe d'une expérience plus périphérique pour nous, celle du pervers par exemple, voire du psychotique.

Si cette homologie se trouve justifiée d'une parenté de structure, ce ne peut être qu'aux dépens de la compréhension originelle qui pourtant va s'accroître nécessairement, avec le danger de nous faire oublier que cette compréhension n'est pas celle d'un vécu mais d'un ressort et de trop présu­mer de ce que nous pouvons assumer des expériences auxquelles elle se réfè­re, celles nommément du pervers ou du psychotique. Ι1 est dans cette pers­pective préférable d'avertir quiconque qu'il n'a pas trop à en croire sur ce qu'il peut comprendre. C'est bien là que prennent leur importance les élé­ments signifiants. Mais, aussi dénués que je m'efforce de le faire par leur notation de contenu compréhensible et dont le rapport structural est le moyen par où j'essaie de maintenir le niveau nécessaire pour que la com­préhension ne soit pas trompeuse, tout en laissant repérables les termes diversement significatifs dans lesquels nous nous avançons, et spécialement ceci, au moment où il s'agit d'un affect. Car je ne me suis pas refusé à cet élément de classement :l'angoisse est un affect. Nous voyons que le mode d'abord d'un tel thème : «l'angoisse est un affect», se propose à nous du point de vue de l'enseignant, selon des voies différentes qu'on pourrait, je crois, assez sommairement, c'est-à-dire en en faisant bien effectivement la

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somme, définir sous trois rubriques: celle du catalogue, à savoir concernant l'affect, épuiser non seulement ce que ça veut dire, mais ce qu'on a voulu dire, en en constituant la catégorie, terme qui assurément nous met en pos­ture d'enseigner, au sujet de l'enseignement, sous son mode le plus large, et forcément ici raccorder ce qui s'est enseigné à l'intérieur de l'analyse, à ce qui nous est apporté du dehors au sens le plus vaste comme catégorie, et pourquoi pas ? si tant est que cet objet central, je l'ai dit, de l'angoisse je suis loin de me refuser à l'insérer dans le catalogue des affects, dans les diverses théories qui ont été produites de l'affect. Ι1 nous est arrivé là de très larges apports et, vous le verrez, pour prendre une référence médiane qui viendra dans le champ de notre attention, il y a concernant ce qui nous occupe cette année, eh bien, pour prendre les choses, je vous l'ai dit en une espèce de point médian de la coupure, au niveau de Saint Thomas d'Aquin pour l'ap­peler par son nom, il y a de très très bonnes choses concernant une division qu'il n'a pas inventée concernant l'affect entre le concupiscible et l'irascible; longue discussion par laquelle il met en balance, selon la formule du débat scolastique, proposition, objection, réponse, à savoir laquelle des deux caté­gories est première par rapport à l'autre, et comment il tranche et pourquoi. Que malgré certaines apparences, certaines références, l'irascible s'insère quelque part dans 1a chaîne du concupiscible toujours déjà 1à, lequel concu­piscible donc est par rapport à lui premier, ceci ne sera pas sans nous servir; car à la vérité cette théorie ne serait-elle pas au dernier terme toute entière suspendue à une supposition d'un Souverain Bien auquel, vous le savez, nous avons d'ores et déjà de grandes objections à faire, elle serait pour nous fort recevable; nous verrons ce que nous pouvons en garder, ce que pour nous elle éclaire, du seul fait que nous puissions assurément y trouver gran­de matière à alimenter notre propre réflexion; plus paradoxalement, que ce que nous pouvons trouver dans les élaborations modernes, récentes - appelons les choses par leur nom, dix-neuvième siècle - dans cette psy­chologie qui s'est prétendue, sans doute pas tout à fait à bon droit, plus expérimentale. Encore ceci, cette voie, a-t-elle l'inconvénient de nous pous­ser dans le sens, dans 1a catégorie du classement des affects, et l'expérience nous prouve que tout abandon trop grand dans cette direction n'aboutit pour nous qu'à des impasses manifestes dont un très beau témoignage par exemple est donné par cet article qui est celui du tome 34, troisième partie de 1953 de l'International Journal où Monsieur David Rapaport tente une

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théorie psychanalytique de l'affect. Cet article est véritablement exemplaire pour le bilan proprement consternant, auquel d'ailleurs, sans que la plume de l'auteur songe à le dissimuler, il aboutit; c'est à savoir le résultat étonnant qu'un auteur, qui annonce de ce titre un article qui après tout ne pourrait nous laisser espérer que quelque chose de nouveau, d'original, concernant ce que l'analyste peut penser de l'affect, n'aboutisse qu'à faire en fin de compte lui aussi à l'intérieur strictement de 1a théorie analytique, le cata­logue des acceptions dans lesquelles ce terme a été employé, de s'apercevoir qu'à l'intérieur même de la théorie ces acceptions sont les unes et les autres irréductibles, 1a première étant celle de l'affect conçu comme constituant substantiellement 1a décharge de 1a pulsion, 1a seconde, à l'intérieur de la même théorie et même pour aller plus loin prétendument du texte freudien lui-même, l'affect n'étant rien que la connotation d'une tension à ses diffé­rentes phases conflictuelles ordinairement, l'affect constituant la connota­tion de cette tension en tant qu'elle varie, et troisième temps également mar­qué comme irréductible dans la théorie freudienne elle-même, l'affect constituant, dans une référence proprement topique, le signal au niveau de l'ego concernant quelque chose qui se passe ailleurs, le danger venu d'ailleurs.

L'important est qu'il constate que subsiste encore dans les débats des auteurs les plus récemment venus dans la discussion analytique, la revendi­cation divergente de la primauté pour chacun de ces trois sens, en sorte que rien là-dessus ne soit résolu. Et que l'auteur dont il s'agit ne puisse pas nous en dire plus, est tout de même bien le signe qu'ici la méthode dite du « cata­logue» n'aboutit qu'à des impasses, voire à une très spéciale infécondité.

Ι1 y a, se différenciant de cette méthode - je m'excuse de m'étendre aujourd'hui si longtemps sur une question qui a pourtant un grand intérêt de préalable, concernant l'opportunité de ce qu'ici nous faisons, et ce n'est pas pour rien que je l'introduis, vous le verrez, concernant l'angoisse - c'est la méthode que j'appellerai, en me servant pour les besoins de la conso­nance, du précédent terme, la méthode de « l'analogue » qui nous mènerait à discerner ce qu'on peut appeler des niveaux.

J'ai vu dans un ouvrage anglais que je ne citerai pas autrement aujour­d'hui une tentative de rassemblement de cette espèce, où l'on voit, en cha­pitres séparés, l'angoisse conçue comme on s'exprime, biologiquement, puis socialement, sociologiquement, puis que sais-je culturally, culturellement,

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comme s'il suffisait ainsi de révéler, à des niveaux prétendus indépendants, des positions analogiques pour arriver à faire quelque chose d'autre qu'à dégager, non plus ce que j'ai appelé tout à l'heure un classement mais ici une sorte de type.

On sait à quoi aboutit une telle méthode, à ce qu'on appelle une anthro­pologie. L'anthropologie, à nos yeux, est ce qui comporte le plus grand nombre des présupposés les plus hasardeux de toutes les voies dans les­quelles nous puissions nous engager. Ce à quoi une telle méthode aboutit, de quelque éclectisme qu'elle se marque, c'est toujours et nécessairement ce que nous, dans notre vocabulaire familier et sans faire de ce nom ni de ce titre l'indice de quelqu'un qui aurait même occupé une position si éminen­te, c'est ce que nous appelons le jungisme.

Sur le sujet de l'anxiété, ceci nous conduira nécessairement au thème de ce noyau central qui est la thématique absolument nécessaire à laquelle aboutit une telle voie. C'est dire qu'elle est fort loin de ce dont il s'agit dans l'expérience. L'expérience nous conduit à ce que j'appellerai ici la troisième voie que je mettrai sous l'indice, sous la rubrique de 1a fonction que j'ap­pellerai celle de 1a clé.

La clé, c'est ce qui ouvre, et ce qui pour ouvrir fonctionne. La clé, c'est 1a forme selon laquelle doit opérer ou ne pas opérer 1a fonction signifiante comme telle, et ce qui rend légitime que je l'annonce et la distingue et ose l'introduire comme quelque chose à quoi nous puissions nous confier. La clé n'a rien qui soit ici marqué de présomption pour la raison qu'elle vous sera, et à ceux qui sont ici de profession enseignante, une référence suffi­samment convaincante; c'est que cette dimension est absolument connaturelle à tout enseignement, analytique ou pas, pour la raison qu'il n'y a pas d'enseignement, dirais-je - et dirais-je, moi, quelque étonnement qui puis­se en résulter chez certains concernant ce que j'enseigne, et pourtant je le dirai - il n'y a pas d'enseignement qui ne se réfère à ce que j'appellerai un idéal de simplicité.

Si quelque chose tout à l'heure fit pour nous suffisamment objection dans le fait qu'une chatte littéralement ne peut retrouver ses petits concer­nant ce que nous pensons, nous analystes, à aller aux textes sur l'affect, c'est qu'il y a quelque chose là de profondément insatisfaisant et qu'il est exigible que, concernant quelque titre que ce soit, nous satisfaisions à certain idéal de réduction simple. Qu'est-ce que ça veut dire et pourquoi ? Pourquoi,

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pourquoi, depuis le temps qu'on fait de la science - car ces réflexions por­tent sur bien autre chose et sur des champs plus vastes que celui de notre expérience - exige-t-on la plus grande simplicité possible ? Pourquoi le réel serait-il simple ? Qu'est-ce qui peut même nous permettre un seul ins­tant de le supposer?

Eh bien, rien, mais rien d'autre que cet initium subjectif sur lequel j'ai mis l'accent ici pendant toute 1a première partie de mon enseignement de l'année dernière, à savoir, qu'il n'y a d'apparition concevable d'un sujet comme tel, qu'à partir de l'introduction première d'un signifiant, et du signifiant le plus simple qui s'appelle le trait unaire.

Le trait unaire est d'avant le sujet. « Au commencement était le verbe », ça veut dire, au commencement est le trait unaire. Tout ce qui est enseignable doit conserver ce stigmate de cet initium ultra-simple qui est la seule chose qui puisse à nos yeux justifier l'idéal de simplicité. Simplicité, singu­larité du trait, c'est cela que nous faisons entrer dans le réel, que le réel le veuille ou ne le veuille pas. Mais il y a une chose certaine, c'est que ça entre, que ça y est déjà entré avant nous parce que d'ores et déjà c'est par cette vole que tous ces sujets qui depuis tout de même quelques siècles, dialoguent et ont à s'arranger comme ils peuvent avec cette condition justement qu'il y ait entre eux et le réel ce champ du signifiant, c'est d'ores et déjà par cet appa­reil du trait unaire qu'ils se sont constitués comme sujets. Comment serions-nous, nous, étonnés que nous en retrouvions la marque dans ce qui est notre champ, si notre champ est celui du sujet?

Dans l'analyse, il y a quelque chose qui est antérieur à tout ce que nous pouvons élaborer ou comprendre, et ceci je l'appellerai présence de l'Autre (Α). Ι1 n'y a pas d'auto-analyse même quand on se l'imagine, l'Autre, A, est 1à. Je le rappelle parce que c'est déjà sur cette voie et dans la même vole de simplicité que j'ai placé ce que je vous ai dit, ce que je vous ai indiqué, ce que j'ai commencé à vous indiquer sur quelque chose qui va beaucoup plus loin, à savoir que l'angoisse soit ce certain rapport que je n'ai fait jusqu'ici qu'imager. Je vous en ai rappelé la dernière fois l'image, avec le dessin réévo­qué de ma présence, ma présence fort modeste et embarrassée en présence de la mante religieuse géante, je vous en ai déjà dit donc plus long en vous disant : ceci a rapport avec le désir de l'Autre.

Cet Autre, avant de savoir ce que ça veut dire, mon rapport avec son désir quand je suis dans l'angoisse, cet Autre je le mets d'abord 1à. Pour me

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rapprocher de son désir, je prendrai, mon dieu, les voies que j'ai déjà frayées. Je vous ai dit : le désir de l'homme est le désir de l'Autre. Je m'ex­cuse de ne pas pouvoir ici revenir, par exemple, sur une analyse grammati­cale que j'ai faite lors des dernières journées provinciales - c'est pour ça que je tiens tellement à ce que ce texte m'arrive enfin intact, pour qu'on puisse à l'occasion le diffuser - l'analyse grammaticale de ce que ça veut dire le désir de l'Autre et le sens de ce génitif (objectif); mais enfin ceux qui ont été jusqu'ici à mon séminaire, ont assez d'éléments pour suffisamment se situer.

Sous la plume de quelqu'un, qui est justement l'auteur de ce petit travail auquel j'ai fait allusion 1a dernière fois et qui m'avait été remis le matin même sur un sujet qui n'était rien d'autre que celui qu'aborde Lévi-Strauss, celui de la mise en suspension de ce qu'on peut appeler 1a raison dialectique au niveau structuraliste où se place Lévi-Strauss, quelqu'un se servant pour débrouiller ce débat, entrer dans ses détours, démêler son écheveau du point de vue analytique, et faisant bien entendu référence à ce que j'ai pu dire du fantasme comme support du désir, ne fait pas à mon gré de suffisantes remarques de ce que je dis quand je parle du désir de l'homme comme désir de l'Autre.

Ce qui le prouve, c'est qu'il croit pouvoir se contenter de rappeler que c'est 1à une formule hégélienne. Or s'il y a, je pense, quelqu'un qui ne fait pas tort à ce que nous a apporté la Phénoménologie de l'esprit, c'est moi-même. S'il est un point pourtant où il est important de marquer que c'est là que je marque la différence et, si vous voulez, pour employer ce terme, le progrès, j'aimerais mieux encore le saut, qui est le nôtre par rapport à Hegel, c'est justement celui concernant cette fonction du désir. Je ne suis pas en posture, vu le champ que j'ai à couvrir cette année, de reprendre avec vous pas à pas le texte hégélien. Je fais ici allusion à un auteur qui, j'espère, verra cet article publié et qui manifeste une tout à fait sensible connaissance de ce que dit là-dessus Hegel.

Je ne vais quand même pas le suivre sur le plan du passage tout à fait, en effet, originel qu'il s'est très bien rappelé à cette occasion. Mais pour l'en­semble de ceux qui m'entendent et avec ce qui est déjà passé, je pense, au niveau du commun de cet auditoire concernant la référence hégélienne, je dirai tout de suite, pour faire sentir ce dont il s'agit, que dans Hegel, concer­nant cette dépendance de mon désir par rapport au désirant qu'est l'Autre,

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j'ai affaire, de 1a façon la plus certaine et la plus articulée à l'Autre comme conscience. L'Autre est celui qui me voit. En quoi cela intéresse mon désir, vous le savez, vous l'entrevoyez déjà assez, mais j'y reviendrai tout à l'heu­re, pour l'instant je fais des oppositions massives. L'Autre est celui qui me voit et c'est sur ce plan dont vous voyez qu'à lui tout seul il engage, selon les bases où Hegel inaugure la Phénoménologie de l'Esprit, la lutte qu'il appelle de « pur prestige », et mon désir y est intéressé.

Pour Lacan, parce que Lacan est analyste, l'Autre est là comme incons­cience constituée comme telle, et il intéresse mon désir dans la mesure de ce qui lui manque et qu'il ne sait pas. C'est au niveau de ce qui lui manque et qu'il ne sait pas que je suis intéressé de la façon la plus prégnante, parce qu'il n'y a pas pour moi d'autre détour, à trouver ce qui me manque comme objet de mon désir.

C'est pourquoi il n'y a pas pour moi, non seulement d'accès, mais même de sustentation possible de mon désir qui soit pure référence à un objet quel qu'il soit, si ce n'est en le couplant, en le nouant avec ceci qui s'exprime par le $0 a, qui est cette nécessaire dépendance par rapport à l'Autre comme tel, lequel Autre est bien entendu celui qu'au cours de ces années, je pense vous avoir rompus à distinguer, à chaque instant, de l'autre, mon semblable. C'est l'Autre comme lieu du signifiant. C'est mon semblable entre autres bien sûr, mais pas seulement, en ceci que c'est aussi le lieu comme tel où s'institue l'ordre de la différence singulière dont je vous parlais au départ.

Vais-je introduire maintenant les formules que je vous ai ici marquées à droite dont je ne prétends pas -1οin de là, étant donné ce que je vous ai dit tout d'abord - qu'elles vous livrent immédiatement leur malice. Je vous prie aujourd'hui, comme 1a dernière fois - c'est pour cela que cette année j'écris des choses au tableau - de les transcrire. Vous en verrez après le fonctionnement.

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pourquoi en a-t-i1 besoin? C'est, sous quelque angle que vous vous placiez, mais de la façon la plus articulée dans Hegel, qu'il en a besoin pour que l'Autre le reconnaisse, pour recevoir de lui la reconnaissance. Ça veut dire quoi? Que l'Autre comme tel va instituer quelque chose, a, qui est juste­ment ce dont il s'agit au niveau de ce qui désire - c'est là qu'est toute l'im­passe - en exigeant d'être reconnu par lui. Là où je suis reconnu comme objet puisque cet objet dans son essence est une conscience, une Selbst­bewusstsein, il n'y a plus d'autre médiation que celle de la violence. J'obtiens ce que je désire, je suis objet et je ne puis me supporter comme objet, je ne puis me supporter reconnu, que dans le monde. Le seul mode de reconnaissance que je puisse obtenir, il faut donc à tout prix qu'on en tranche entre nos deux consciences. Tel est le sort du désir dans Hegel. Le désir de désir au sens lacanien ou analytique, est le désir de l'Autre d'une façon beaucoup plus principiellement ouverte à une sorte de médiation. Du moins le semble-t-il, au premier abord. Vous verrez dans 1a formule même, le signifiant que je mets 1à au tableau 2, que je vais assez loin dans le sens de traverser, je veux dire de contrarier ce que vous pourrez attendre mainte­nant. Le désir ici est désir en tant qu'image support de ce désir, rapport donc de d (a) à ce que j'écris, à ce que je n'hésite pas à écrire i (a), même et juste­ment parce que cela fait ambiguïté avec la notation que je désigne d'habitu­de de l'image spéculaire. Là nous ne savons pas encore quand, comment et pourquoi ça peut l'être, l'image spéculaire, mais c'est une image assurément; ça n'est pas l'image spéculaire, c'est de l'ordre de l'image, c'est le fan­tasme que je n'hésite pas à l'occasion à recouvrir par cette notation de l'ima­ge spéculaire. Je dis donc que ce désir est désir en tant que son image sup­port est l'équivalent - c'est pour ça que les deux points (:) qui étaient ici sont là - est l'équivalent du désir de l'Autre. Mais là l'Autre est connoté AΑ parce que c'est l'Autre au point où il se caractérise comme manque. Les deux autres formules 3 et 4 car il n'y en a que deux, celle-ci et puis la secon­de, vous voyez englobées dans une accolade, pour la seconde, deux for­mules qui ne sont que deux façons d'écrire la même, dans un sens, puis dans le sens palindromique en revenant après avoir été comme ça, en revenant ainsi, c'est tout ce qu'écrit la troisième ligne. Je ne sais donc pas si j'aurai le temps d'arriver aujourd'hui jusqu'à la traduction de ces deux dernières for­mules. Sachez pourtant, d'ores et déjà, qu'elles sont faites l'une et l'autre, la première pour mettre en évidence que l'angoisse est ce qui donne la vérité

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de 1a formule hégélienne, à savoir que si la formule hégélienne est partiale et fausse et met en porte-à-faux tout le départ de 1a Phénoménologie de l'esprit comme je l'ai plusieurs fois déjà indiqué en vous montrant 1a perversion qui résulte, et très loin et jusque dans le domaine politique, de ce départ trop étroitement centré sur l'imaginaire, car c'est très joli de dire que 1a servitu­de de l'esclave est grosse de conséquences et mène au Savoir Absolu mais ça veut dire aussi que l'esclave restera esclave jusqu'à la fin des temps.

La vérité, c'est Kierkegaard qui 1a donne. C'est, non pas la vérité de Hegel, mais 1a vérité de l'angoisse qui nous mène à nos remarques concer­nant le désir au sens analytique.

Remarques : dans les deux formules, celle de Hegel et la mienne, dans le premier terme des formules, en haut, si paradoxal que ça apparaisse, c'est un objet, a, qui désire. S'il a des différences, il a quelque chose de commun entre le concept hégélien du désir et celui que je promeus. C'est à un moment le point d'une impasse inacceptable dans le procès. Selbstbewusstsein dans Hegel, c'est un objet, c'est-à-dire ce quelque chose où le sujet, l'étant cet objet, est irrémédiablement marqué de finitude, c'est cet objet qui est affecté du désir. C'est ce en quoi ce que je produis devant vous a quelque chose de commun avec la théorie hégélienne, à ceci près, qu'à notre niveau analytique qui n'exige pas 1a transparence du Selbstbewusstsein - c'est une difficulté bien sûr, mais pas de nature à nous faire rebrousser chemin, ni non plus à nous engager dans 1a lutte à mort avec l'Autre - et à cause de l'existence de l'inconscient, nous pouvons être cet objet affecté du désir. C'est même en tant que marqués ainsi de finitude que nous, sujets de l'inconscient, notre manque peut être désir, désir fini, en apparence indéfini, parce que le manque, participant toujours de quelque vide, peut être rempli de plusieurs façons; encore que nous sachions très bien, parce que nous sommes analystes, que nous ne le remplissons pas de trente-six façons. Et nous verrons pourquoi et lesquelles.

La dimension, je dirais classique, moraliste, non pas tellement théolo­gique, de l'infinitude du désir est, dans cette perspective, tout à fait à rédui­re. Car cette pseudo-infinitude ne tient qu'à une chose qu'heureusement une certaine partie de 1a théorie du signifiant, qui n'est rien d'autre que celle du nombre entier, nous permet d'imager. Cette fausse infinitude est liée à cette sorte de métonymie que, concernant 1a définition du nombre entier, on appelle la récurrence. C'est 1a loi tout simplement que nous avons, je le

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crois, puissamment accentuée l'année dernière à propos du Un répétitif. Mais ce que nous démontre notre expérience est, je vous l'articulerai, que dans les divers champs qui lui sont proposés, nommément et distinctement, le névrosé, le pervers, voire le psychotique, c'est que ce Un auquel se réduit en dernière analyse la succession des éléments signifiants, le fait qu'ils soient distincts et qu'ils se succèdent n'épuise pas 1a fonction de l'Autre. Et c'est ce que j'exprime ici à partir de cet Autre originaire comme lieu du signifiant, de cet S encore non existant qui a à se situer comme déterminé par le signi­fiant, sous la forme de ces deux colonnes qui sont celles sous lesquelles, vous le savez, on peut écrire l'opération de la division.

crois, puissamment accentuée l'année dernière à propos du Un répétitif. Mais ce que nous démontre notre expérience est, je vous l'articulerai, que dans les divers champs qui lui sont proposés, nommément et distinctement, le névrosé, le pervers, voire le psychotique, c'est que ce Un auquel se réduit en dernière analyse la succession des éléments signifiants, le fait qu'ils soient distincts et qu'ils se succèdent n'épuise pas la fonction de l'Autre. Et c'est ce que j'exprime ici à partir de cet Autre originaire comme lieu du signifiant, de cet S encore non existant qui a à se situer comme déterminé par le signi­fiant, sous la forme de ces deux colonnes qui sont celles sous lesquelles, vous le savez, on peut écrire l'opération de la division.

Par rapport à cet Autre, dépendant de cet Autre, le sujet s'inscrit comme un quotient, il est marqué du trait unaire du signifiant dans le champ de l'Autre. Eh! bien, ce n'est pas pour autant, si je puis dire, qu'il mette l'Autre en rondelles. Il y a un reste, au sens de la division, un résidu. Ce reste, cet autre dernier, cet irrationnel, cette preuve et seule garantie en fin de comp­te de l'altérité de l'Autre, c'est le a. Et c'est pourquoi les deux termes, $ et a, le sujet comme marqué de la barre du signifiant, le petit a objet comme résidu de la mise en condition, si je puis m'exprimer ainsi, de l'Autre, sont du même côté, tous les deux du côté objectif de là barre, tous les deux du côté de l'Autre. Le fantasme, appui de mon désir, est dans sa totalité du côté de l'Autre, $ et a. Ce qui est de mon côté maintenant, c'est justement ce qui me constitue comme inconscient, à savoir 1, l'Autre en tant que je ne l'at­teins pas.

Vais-je ici vous mener plus loin? Non, car le temps me manque. Et pour ne pas vous quitter sur un point aussi fermé quant à la suite de la dialectique qui va s'y insérer et qui, vous le verrez, nécessite que le prochain pas que j'ai à vous expliquer, c'est ce que j'engage dans l'affaire, à savoir que dans la subsistance du fantasme, j'imagerai le sens de ce que j'ai à produire d'un rappel à une expérience, qui je pense vous sera - mon dieu, ce qui vous

 

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intéresse le plus, ce n'est pas moi qui l'ai dit c'est Freud - dans l'expérien­ce de l'amour de quelque utilité.

Je veux vous faire remarquer, au point où nous en sommes, que dans cette théorie du désir dans son rapport à l'Autre, vous avez la clé de ceci, c'est que, contrairement à l'espoir que pourrait vous donner la perspective hégélienne, le mode de la conquête de l'autre est celui, hélas, trop souvent adopté par l'un des partenaires du «Je t'aime, même si tu ne le veux pas ». Ne croyez pas que Hegel ne se soit pas aperçu de ce prolongement de sa doctrine. Ι1 y a une très, très précieuse petite note où il indique que c'est par 1à qu'il aurait pu faire passer toute sa dialectique. C'est la même note où il dit que, s'il n'a pas pris cette vole, c'est parce qu'elle lui paraissait manquer de sérieux. Combien il a raison! Faites l'expérience. Vous me direz des nou­velles sur son succès! Ι1 y a pourtant une autre formule qui, si elle ne démontre pas mieux son efficace, cela n'est peut-être que pour n'être pas articulable, mais ça ne veut pas dire qu'elle ne soit pas articulée. C'est « Je te désire, même si je ne le sais pas ». Partout où elle réussit, toute inarticulable qu'elle soit, à se faire entendre, celle-là, je vous assure, est irrésistible. Et pourquoi ? Je ne vous laisserai pas ceci à l'état de devinette. Si ceci était dicible, qu'est-ce que je dirais par 1à ? Je dirais à l'autre que, le désirant sans le savoir sans doute, toujours sans le savoir je le prends pour l'objet à moi-même inconnu de mon désir c'est-à-dire dans notre conception à nous du désir que je l'identifie, que je t'identifie, toi à qui je parle, toi-même, à l'ob­jet qui te manque à toi-même, c'est-à-dire que par ce circuit où je suis obli­gé de passer pour atteindre l'objet de mon désir, j'accomplis justement pour lui ce qu'il cherche. C'est bien ainsi qu'innocemment ou pas, si je prends ce détour, l'autre comme tel, objet ici, observez-le, de mon amour, tombera forcément dans mes rets. Je vous quitte là-dessus, sur cette recette, et je vous dis à 1a prochaine fois.

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L'angoisse. Séminaire étudié en groupe associatif : année 2021

Leçon Ι, 14 novembre 1962

 

Je vais vous parler cette année de l'angoisse.

Quelqu'un qui n'est pas du tout à distance de moi dans notre cercle, m'a pourtant l'autre jour laissé apercevoir quelque surprise que j'aie choisi ce sujet qui ne lui semblait pas devoir être d'une tellement grande ressource. Je dois dire que je n'aurai pas de peine à lui prouver le contraire. Dans 1a masse de ce qui se propose à nous sur ce sujet de questions, il me faudra choisir et sévèrement. C'est pourquoi j'essaierai, dès aujourd'hui de vous jeter sur le tas. Mais déjà cette question m'a semblé garder la trace de je ne sais quelle naïveté jamais étanchée pour la raison que ce serait croire que c'est par un choix que chaque année, je pique un sujet, comme ça, qui me semblerait intéressant pour continuer le jeu de quelque sornette, comme on dit. Non. Vous le verrez, je pense, l'angoisse est très précisément le point de rendez-vous où vous attend tout ce qu'il était de mon discours antérieur et où s'at­tendent entre eux un certain nombre de termes qui ont pu jusqu'à présent ne pas vous apparaître suffisamment conjoints. Vous verrez sur ce terrain de l'angoisse comment, à se nouer plus étroitement, chacun prendra encore mieux sa place. Je dis encore mieux, puisque récemment il a pu m'appa­raître, à propos de ce qui s'est dit du fantasme à une des réunions dites pro­vinciales de notre Société, que quelque chose avait dans votre esprit, concer­nant cette structure si essentielle qui s'appelle le fantasme, pris effective­ment sa place. Vous verrez que celle de l'angoisse n'est pas loin de celle-là, pour la raison que c'est bel et bien la même.

Je vous ai mis sur ce tableau - pourtant, après tout, ce n'est pas grand un tableau - quelques petits signifiants repère ou aide-mémoire, peut-être pas tous ceux que j'aurais voulu, mais après tout il convient de ne pas non plus abuser quant au schématisme. Cela, vous le verrez s'éclairer tout à l'heure. Ils forment deux groupes, celui-ci et celui-là - celui-là que je compléterai (Fig.2). A droite, ce graphe (Fig.1) dont je m'excuse depuis si longtemps de vous impor­tuner, mais dont il est tout de même nécessaire - car là valeur de repère vous en apparaîtra, je pense, toujours plus efficace, que je rappelle, la struc­ture qu'il doit évoquer à vos yeux.

Aussi bien sa forme qui peut-être ne vous est jamais apparue de poire d'angoisse, n'est peut-être pas ici à évoquer par hasard; d'autre part si l'année dernière à propos de cette petite surface topologique à laquelle j'ai fait une si grande part, certains ont pu voir se suggérer à leur esprit 

certaines formes de reploiement des feuillets embryologiques, voire des couches du cortex, personne, à propos de la disposition à la fois bilatérale et nouée d'intercommunication orientée de ce graphe, personne n'a jamais évoqué à ce propos, le plexus solaire. Bien sûr je ne prétends pas là vous en livrer les secrets, mais cette curieuse petite homologie n'est peut-être pas si externe qu'on le croit et méritait d'être rappelée au début d'un discours sur l'angoisse.

L'angoisse, je dirai, jusqu'à un certain point la réflexion par laquelle j'ai introduit mon discours tout à l'heure, celle qui a été faite par un de mes proches, je veux dire dans notre Société, l'angoisse ne semble pas être ce qui vous étouffe, j'entends, comme psychanalystes. Et pourtant, ce n'est pas trop dire que ça le devrait, dans, si je puis dire, la logique des choses, c'est­-à-dire de la relation que vous avez avec votre patient. Après tout, sentir ce que le sujet peut en supporter, de l'angoisse, c'est ce qui vous met à l'épreu­ve à tout instant. Il faut donc supposer, qu'au moins pour ceux d'entre vous qui sont formés à la technique, la chose a fini par passer, dans votre régula­tion, la moins aperçue il faut bien le dire. Il n'est pas exclu, et Dieu merci, que l'analyste, pour peu qu'il y soit déjà disposé, je veux dire par de très bonnes dispositions à être un analyste, que l'analyste entrant dans sa pra­tique ressente de ses premières relations avec le malade sur le divan quelque angoisse.Encore convient-il de toucher à ce propos la question de la communica­tion de l'angoisse. Cette angoisse que vous savez, semble-t-il, si bien régler en vous, tamponner, qu'elle vous guide, est-ce la même que celle du patient ?

Pourquoi pas ? C'est une question que je laisse ouverte pour l'instant, peut-être pas pour très longtemps, mais qui vaut la peine d'être ouverte dès l'origine, si toutefois il faut recourir à nos articulations essen­tielles pour pouvoir y donner une réponse valable, donc attendre un moment au moins, dans les distances, 

dans les détours que je vais vous proposer et qui ne sont pas absolument hors de toute prévision pour ceux qui sont mes auditeurs. Car si vous vous en souvenez, déjà à propos justement d'une autre série de journées dites « provinciales » qui étaient loin de m'avoir donné autant de satisfaction, à propos desquelles dans une sorte d'inclusion, de parenthèse, d'anticipation, dans mon discours de l'année dernière j'ai cru devoir vous avertir et proje­ter à l'avance une formule vous indiquant le rapport de l'angoisse essentiel au désir de l'Autre. Pour ceux qui n'étaient pas là, je rappelle la fable, l'apo­logie, l'image amusante que j'avais cru devoir en dresser devant vous pour un instant : moi-même revêtant le masque animal dont se couvre le sorcier de la grotte des Trois Frères, je m'étais imaginé devant vous en face d'un autre animal, d'un vrai celui-là et supposé géant pour l'occasion, celui de la mante religieuse. Et aussi bien, comme le masque que moi je portais, je ne savais pas lequel c'était, vous imaginez facilement que j'avais quelques rai­sons de n'être pas rassuré, pour le cas où par hasard ce masque n'aurait pas été impropre à entraîner ma partenaire dans quelque erreur sur mon identi­té, la chose étant bien soulignée par ceci que j'y avais ajouté que dans ce miroir énigmatique du globe oculaire de l'insecte je ne voyais pas ma propre image. Cette métaphore garde aujourd'hui toute sa valeur et c'est elle qui justifie qu'au centre des signifiants que j'ai posés sur ce tableau, vous voyez la question que j'ai depuis longtemps introduite comme étant la charniè­re des deux étages du graphe pour autant qu'ils structurent ce rapport du sujet au signifiant qui sur la subjectivité me paraît devoir être 1a clé de ce qu'introduit dans la doctrine freudienne le « Che vuoi », « Que veux-tu ? ». Poussez un petit peu plus le fonctionnement, l'entrée de 1a clé, vous avez « Que me veut-il ? » avec l'ambiguïté que le français permet sur le « me », entre le complément indirect ou direct non pas seulement « que veut-il à moi ? », mais quelque chose de suspendu qui concerne directement le moi qui n'est pas « comment me veut-il ? », mais qui est « que veut-il concernant cette place du moi », qui est quelque chose en suspens, entre les deux étages, $à a-d et m-i (a), les deux points de retour qui dans chacun désignent l'ef­fet caractéristique et 1a distance si essentielle à construire au principe de tout ce dans quoi nous allons nous avancer maintenant, distance qui rend à la fois homologue et si distinct le rapport du désir et l'identification narcis­sique. C'est dans le jeu de la dialectique qui noue si étroitement ces deux étages que nous allons voir s'introduire la fonction de l'angoisse, non pas qu'elle en soit elle-même le ressort, mais qu'elle soit par les moments de son apparition ce qui nous permet de nous y orienter. Ainsi donc au moment où j'ai posé la question de votre rapport d'analyste à l'angoisse, question qui justement laisse en suspens celle-ci : qui ménagez-vous ? L'Autre, sans doute, mais aussi bien vous-même et ces deux ménagements pour se recou­vrir ne doivent pas être laissés confondus. C'est même là une des visées qui à 1a fin de ce discours vous seront proposées. Pour l'instant, j'introduis cette indication de méthode que ce que nous allons avoir à tirer d'enseignement de cette recherche sur l'angoisse, c'est à voir en quel point privilégié elle émerge. C'est à modeler sur une horographie de l'angoisse qui nous conduit directement sur un relief qui est celui des rapports de terme à terme que constitue cette tentative structurale plus que condensée dont j'ai cru devoir faire pour vous le guide de notre discours.

Si vous savez donc vous arranger avec l'angoisse, cela nous fera déjà avan­cer que d'essayer de voir comment; et aussi bien, moi-même, je ne saurais

l'introduire sans l'arranger de quelque façon - et c'est peut-être là un écueil : il ne faut pas que je l'arrange trop vite - cela ne veut pas dire non plus que d'aucune façon, par quelque jeu psychodramatique, mon but doive être de vous jeter dans l'angoisse avec le jeu de mots que j'ai déjà fait sur ce « je » du jeter. Chacun sait que cette projection du « je » dans une introduc­tion à l'angoisse est depuis quelque temps l'ambition d'une philosophie dite existentialiste pour la nommer. Les références ne manquent pas, depuis Kierkegaard, Gabriel Marcel, Chostov, Berdiaev et quelques autres; tous n'ont pas la même place ni ne sont pas aussi utilisables. Mais au début de ce discours, je tiens à dire qu'il me semble que dans cette philosophie pour autant que, de son patron nommé le premier à ceux dont j'ai pu avancer le nom, incontestablement se marque quelque dégradation. Il me semble la voir, cette philosophie, marquée, dirais-je, de quelque hâte d'elle-même méconnue; marquée, dirais-je, de quelque désarroi par rapport à une réfé­rence qui est celle à quoi, à là même époque, le mouvement de la pensée se confine, la référence à l'histoire. C'est d'un désarroi, au sens étymologique du terme, par rapport à cette référence, que naît et se précipite la réflexion existentialiste.

Le cheval de la pensée, dirais-j e, pour emprunter au petit Hans l'objet de sa phobie, le cheval de la pensée qui s'imagine, un temps, être celui qui traî­ne le coche de l'histoire, tout d'un coup se cabre, devient fou, choit et se livre à ce grand Krawallmachen pour nous référer encore au petit Hans qui donne une de ces images à sa crainte chérie. C'est bien ce que j'appelle là, le mouvement de hâte, au mauvais sens du terme, celui du désarroi. Et c'est bien pour cela que c'est loin d'être ce qui nous intéresse le plus dans la lignée, la lignée de pensée que nous avons épinglée à l'instant, avec tout le monde d'ailleurs, du terme d'existen­tialisme. Aussi bien peut-on remarquer que le dernier venu et non des moins grands, Monsieur Sartre, s'emploie tout expressément ce cheval à le remettre, non seulement sur ses pieds, mais dans les brancards de l'histoire. C'est précisément en fonction de cela que Monsieur Sartre s'est beaucoup occupé, beaucoup interrogé sur 1a fonction du sérieux. Ι1 y a aussi quelqu'un que je n'ai pas mis dans la série et donc, puisque j'aborde simplement, en y touchant à l'entrée de ce fond de tableau, les philosophes qui nous observent sur le point où nous en venons - les analystes seront-ils à 1a hauteur de ce que nous faisons de l'an­goisse - il y a Heidegger. Ι1 est bien sûr qu'avec l'emploi que j'ai fait tout à l'heure de calembour du mot « jeter », c'est bien de lui, de sa déréliction originelle que j'étais le plus près.

« L'être pour 1a mort », pour l'appeler par son nom, qui est 1a voie d'ac­cès par où Heidegger, dans son discours rompu, nous mène à son interro­gation présente et énigmatique sur l'être de l'étant, je crois, ne passe pas vraiment par l'angoisse. La référence vécue de la question heideggerienne, il l'a nommée, elle est fondamentale, elle est du « tout », elle est de « l'on », elle est de 1'omnitude du quotidien humain, elle est le souci. Bien sûr, à ce titre elle ne saurait, pas plus que le souci lui-même, nous être étrangère. Et puisque j'ai appelé ici deux témoins, Sartre et Heidegger, je ne me priverai pas d'en appeler un troisième, pour autant que je ne le crois pas indigne de représenter ceux qui sont ici, en train aussi d'observer ce qu'il va dire, et c'est moi-même. Je veux dire qu'après tout, aux témoignages que j'en ai eus dans encore les heures toutes récentes, de ce que j'appellerai l'attente - il n'y a pas que 1a nôtre dont je parle en cette occasion - donc assurément, j'ai eu ces témoignages, mais qu'il me soit arrivé hier soir un travail dont j'avais demandé à quelqu'un d'entre vous d'avoir le texte, voire de m'orien­ter à propos d'une question que lui-même m'avait posée, travail que je lui avais-dit attendre avant de commencer ici mon discours, le fait qu'il m'ait été ainsi apporté en quelque sorte à temps, même si je n'ai pas pu depuis en prendre connaissance, comme après tout aussi je viens ici répondre à temps à votre attente, est-ce là un mouvement de nature en soi-même à susciter l'angoisse? Sans avoir interrogé celui dont il s'agit, je ne le crois pas quant à moi. Ma foi, je peux répondre, devant cette attente, pourtant bien faite pour faire peser sur moi le poids de quelque chose, que ce n'est pas là, je crois pouvoir le dire par expérience, la dimension qui en elle-même fait sur­gir l'angoisse. Je dirai même au contraire et que cette dernière référence si proche qu'elle peut vous apparaître problématique, j'ai tenu à la faire pour vous indiquer comment j'entends vous mettre à ce qui est ma question depuis le début, à quelle distance la mettre pour vous en parler. Sans la mettre tout de suite dans l'armoire, sans non plus la laisser à l'état flou, à quelle distance mettre cette angoisse ?

Eh bien! mon Dieu, à la distance qui est la bonne, je veux dire celle qui ne nous met en aucun cas trop près de personne, à justement cette distance familière que je vous évoquai en prenant ces dernières références, celle à mon interlocuteur qui m'apporte in extremis mon papier et celle à moi-même qui dois ici me risquer à mon discours sur l'angoisse.

Nous allons essayer, cette angoisse, de la prendre sous le bras. Ça ne sera pas plus indiscret pour cela. Ça nous laissera vraiment à 1a distance opaque, croyez-moi, qui nous sépare de ceux qui nous sont les plus proches. Alors, entre ce souci et ce sérieux, cette attente, est-ce que vous allez croire que c'est ainsi que j'ai voulu la cerner, la coincer? Eh bien, détrompez-vous. Si j'ai tracé au milieu de ces trois termes un petit cercle avec ses flèches écar­tées, c'est pour vous dire que si c'est là que vous la cherchiez, vous verriez vite que, si jamais elle a été là, l'oiseau s'est envolé. Elle n'est pas à chercher au milieu. « Inhibition, symptôme, angoisse », tel est le titre, le slogan sous lequel à des analystes apparaît, reste marqué le dernier terme de ce que Freud a articulé sur ce sujet. Je ne vais pas aujourd'hui entrer dans le texte d'Inhibition, symptôme, angoisse pour 1a raison que, comme vous le voyez depuis le début, je suis décidé aujourd'hui à travailler sans filet, et qu'il n'y a pas de sujet où le filet du discours freudien soit plus près de nous donner une sécurité fausse en somme; car justement, quand nous entrerons dans ce texte, vous verrez, ce qui est à voir à propos de l'angoisse, qu'il n'y a pas de filet, parce que, s'agissant de l'angoisse, chaque maille, si je puis dire, n'a de sens qu'à, justement, laisser le vide dans lequel il y a l'angoisse..

Dans le discours, Dieu merci, d'Inhibition, symptôme, angoisse, on parle de tout sauf de l'angoisse. Est-ce à dire qu'on ne puisse pas en parler? Travailler sans filet évoque le funambule. Je ne prends comme corde que le titre Inhibition, symptôme, angoisse. Ι1 saute, si je puis dire, à l'entendement que ces trois termes ne sont pas du même niveau. Ça fait hétéroclite et c'est pour ça que je les ai écrits ainsi sur trois lignes et décalés. Pour que ça marche, pour qu'on puisse les entendre comme une série, il faut vraiment les voir comme je les ai mis là, en diagonale, ce qui implique qu'il faut rem­plir les blancs. Je ne vais pas m'attarder à vous démontrer, ce qui saute aux yeux, la différence entre la structure de ces trois termes qui n'ont chacun, si nous voulons les situer, absolument pas les mêmes termes comme contexte, comme entourage. L'inhibition, c'est quelque chose qui est, au sens le plus large de ce terme, dans la dimension du mouvement et d'ailleurs Freud parle de la locomotion quand il l'introduit. Je n'entrerai pas dans le texte. Tout de même vous vous en souvenez assez, pour voir qu'il ne put pas faire autre­ment que de parler de la locomotion au moment où il introduit ce terme. Plus large, ce mouvement auquel je me réfère, le mouvement existe dans toute fonction, ne fût-elle pas locomotrice. Il existe au moins métaphori­quement, et dans l'inhibition, c'est de l'arrêt du mouvement qu'il s'agit.

« Arrêt » : est-ce à dire que c'est seulement cela qu'« inhibition » est fait pour nous suggérer? Facilement, vous objecteriez aussi freinage et pour­quoi pas, je vous l'accorde. Je ne vois pas pourquoi nous ne mettrions pas, dans une matrice qui doit nous permettre de distinguer les dimensions dont il s'agit dans une notion à nous si familière, nous ne mettrions pas sur une ligne la notion de difficulté et, dans un autre axe de coordonnées, celle que j'ai appelée du mouvement. C'est même cela qui va nous permettre de voir plus clair car c'est cela aussi qui va nous permettre de redescendre au sol, au sol de ce qui n'est pas voilé par le mot savant, par la notion, voire le concept avec qui l'on s'arrange toujours.

Pourquoi est-ce qu'on ne se sert pas du mot empêcher? C'est tout de même bien de ça qu'il s'agit. Nos sujets sont inhibés quand ils nous parlent de leur inhibition et quand nous en parlons dans des congrès scientifiques, et chaque jour, ils sont empêchés. Etre empêché, c'est un symptôme; et inhibé, c'est un symptôme mis au musée; et si on regarde ce que ça veut dire, être empêché, sachez-le bien, n'implique nulle superstition. Du côte de l'étymologie, je m'en sers quand elle me sert, tout de même « impedicare » ça veut dire être pris au piège. Et ça, c'est une notion extrêmement précieu­se, car cela implique le rapport d'une dimension à quelque chose d'autre qui vient y interférer et qui empêtre ce qui nous intéresse, ce qui nous rap­proche, de ce que nous cherchons à savoir, non pas la fonction, terme de référence du mouvement difficile, mais le sujet, c'est-à-dire ce qui se passe sous 1a forme, sous le nom d'angoisse.

Si je mets ici empêchement, vous le voyez, je suis dans la colonne du symptôme; et tout de suite je vous indique ce sur quoi nous serons bien sûr amenés à en articuler beaucoup plus loin, c'est à savoir que le piège, c'est 1a capture narcissique. Je pense que vous n'en êtes plus tout à fait aux éléments concernant la capture narcissique; je veux dire que vous vous souvenez de ce que j'ai là-dessus articulé au dernier terme, à savoir de la limite, très pré­cise, qu'elle introduit quant à ce qui peut s'investir dans l'objet. Le résidu, la cassure, ce qui n'arrive pas à s'investir, va être proprement, ce qui donne son support, son matériel, à l'articulation signifiante qu'on va appeler sur l'autre plan, symbolique, la castration. L'empêchement survenu est lié à ce

cercle qui fait que du même mouvement dont le sujet s'avance vers la jouis­sance, c'est-à-dire vers ce qui est le plus loin de lui, il rencontre cette cassu­re intime toute proche, de quoi? De s'être laissé prendre en route à sa propre image, à l'image spéculaire. C'est cela le piège.

Mais essayons d'aller plus loin, car nous sommes là encore au niveau du symptôme. Concernant le sujet, quel terme amener ici dans la troisième colonne? Si nous poussons plus loin l'interrogation du sens du mot inhibi­tion (inhibition, empêchement) le troisième terme que je vous propose, tou­jours dans le sens de vous ramener au plancher du vécu, au sérieux dérisoi­re de la question, je vous propose le beau terme d'embarras. Il nous sera d'autant plus précieux qu'aujourd'hui l'étymologie me comble; manifeste­ment le vent souffle sur moi, si vous vous apercevez qu'embarras c'est très exactement le sujet S revêtu de 1a barre, que l'étymologie imbaricare fait à proprement parler l'allusion la plus directe à la barre comme telle (baya) et qu'aussi bien c'est là l'image de ce que l'on appelle le vécu le plus direct de l'embarras. Quand vous ne savez plus que faire de vous, que vous ne trou­vez pas derrière quoi vous remparder, c'est bien de l'expérience de la barre qu'il s'agit; et aussi bien cette barre peut prendre plus d'une forme. De curieuses références qu'on trouve, si je suis bien informé, dans de nombreux patois où l'embarrassé, 1'embarazada, il n'y a pas d'espagnol ici, tant pis car on m'affirme que 1'embarazada, sans recourir au patois, veut dire la femme enceinte en espagnol. Ce qui est une autre forme bien significative de 1a barre à sa place.

Et voilà pour la dimension de la difficulté. Elle aboutit à cette sorte de forme légère de l'angoisse qui s'appelle l'embarras. Dans l'autre dimension, celle du mouvement, quels sont les termes que nous allons voir se dessiner ? En descendant vers le symptôme c'est l'émotion. L'émotion - vous me pardonnerez de continuer à me fier à une étymologie qui m'a été jusqu'à maintenant si propice - l'émotion, de fait, étymologiquement, se réfère au mouvement; à ceci près que nous donnerons le petit coup de pouce en y mettant le sens goldsteinien de «jeter hors», «ex», de la ligne du mouve­ment, le mouvement qui se désagrège, de la réaction qu'on appelle catastro­phique. C'est utile que je vous indique à quelle place il faut le mettre, car après tout, il y en a eu d'aucuns pour nous dire que l'angoisse c'était ça la réaction catastrophique. Je crois que bien sûr, ce n'est pas sans rapport. Qu'est-ce qui ne serait pas en rapport avec l'angoisse ? Ι1 s'agit justement de         , savoir où c'est vraiment l'angoisse. Le fait par exemple qu'on ait eu, et qu'on le fasse d'ailleurs sans scrupules, 1a même référence à la réaction catastrophique pour désigner 1a crise hystérique en tant que telle, ou enco­re 1a colère dans d'autres cas, prouve tout de même assez que ça ne saurait suffire à distinguer, à épingler, à pointer où est l'angoisse. Faisons le pas sui­vant : nous restons toujours à même distance respectueuse à deux grands traits de l'angoisse. Mais y a-t-il dans 1a dimension du mouvement quelque chose qui plus précisément réponde à l'étage de l'angoisse ? Je vais l'appeler par son nom que je réserve depuis longtemps, dans votre intérêt, comme friandise. Peut-être y ai-je fait une allusion fugitive, mais seules des oreilles particulièrement préhensives ont pu le retenir : c'est le mot émoi. Ici l'éty­mologie me favorise d'une façon littéralement fabuleuse. Elle me comble. C'est pourquoi je n'hésiterai pas, quand je vous aurai dit d'abord tout ce qu'elle m'apporte à moi, à en abuser encore. En tout les cas, allons-y.

Le sentiment linguistique, comme s'expriment messieurs Bloch et Von Wartburg à l'article desquels je vous indique expressément de vous référer - je m'excuse si cela fait double emploi avec ce que je vais vous dire main­tenant, d'autant plus double emploi que ce que je vais vous dire en est la citation textuelle, je prends mon bien où je le trouve, n'en déplaise à qui­conque - messieurs Bloch et Von Wartburg disent donc que le sentiment linguistique a rapproché ce terme du mot juste, du mot émouvoir. Or détrompez-vous, il n'en est rien. L'émoi n'a rien à faire avec l'émotion pour qui d'ailleurs sait s'en servir. En tout cas, apprenez, j'irai vite, que le terme « esmayer »,. qu'avant lui « esmais » et même à proprement parler « esmoi-esmais », si vous voulez le savoir est déjà attesté au treizième siècle - n'ont connus, pour m'exprimer avec les auteurs, n'ont triomphé qu'au seizième. Qu'«esmayer» a le sens de troubler, effrayer, et aussi se troubler. Qu'«esmayer» est effectivement encore usité dans les patois et nous conduit au latin populaire « exmagare » qui veut dire faire perdre son pou­voir, sa force. Ceci, ce latin populaire, est lié à une greffe d'une racine ger­manique occidentale qui, reconstituée, donne « magan » et qu'on n'a d'ailleurs pas besoin de reconstituer puisqu'en haut allemand et en gothique, elle existe sous cette même forme et que, pour peu que vous soyez germanophones, vous pouvez rapporter au « mögen » allemand et au « may » anglais. En italien « smagare », j'espère, existe ? Pas tellement. D'après Bloch et Von Wartburg enfin, à les en croire, ça voudrait dire se décourager. Un doute donc subsiste. Comme il n'y a ici personne de por­tugais, je n'aurai pas d'objection à recevoir, non pas à ce que j'avance, mais à Bloch et Von Wartburg à faire venir « esmagar» qui voudrait dire écraser, ce que jusqu'à nouvel ordre je retiendrai comme ayant pour la suite un gros intérêt; je vous passe le provençal.

Quoi qu'il en soit, il est certain que 1a traduction qui a été admise, de Triebregung par émoi pulsionnel est une traduction tout à fait impropre et justement de toute la distance qu'il y a entre l'émotion et l'émoi. L'émoi est trouble, chute de puissance, la Regung est stimulation, l'appel au désordre, voire à l'émeute. Je me remparderai aussi de cette enquête étymologique pour vous dire que jusqu'à une certaine époque, à peu près la même que ce qu'on appelle dans Bloch et Von Wartburg le triomphe de l'émoi, émeute justement a eu le sens d'émotion et n'a pris le sens de mouvement populaire qu'à peu près à partir du dix-septième siècle.

Tout ceci, pour bien vous faire sentir qu'ici les nuances, voire les versions linguistiques évoquées, sont faites pour nous guider sur quelque chose, à savoir que si nous voulons définir par émoi une tierce place dans le sens de ce que veut dire l'inhibition, si nous cherchons à 1a faire rejoindre l'angois­se, l'émoi, le trouble, le « se troubler » en tant que tel, nous indique l'autre référence qui, pour correspondre à un niveau disons égal à celui d'embar­ras, ne regarde pas le même versant. L'émoi, c'est le « se troubler» le plus profond dans la dimension du mouvement. L'embarras, c'est le maximum de la difficulté atteinte. Est-ce à dire que pour autant nous ayons rejoint l'angoisse ? Les cases de ce petit tableau sont là pour vous montrer que pré­cisément nous ne le prétendons pas. Nous avons rempli ici, émotion, émoi, ces deux cases ici, empêchement, embarras celles-là. Ι1 reste que celle-ci est vide et celle-là aussi. Comment les remplir? C'est un sujet qui nous inté­resse beaucoup et je vais le laisser pour vous pour un temps à l'état de devi­nette. Que mettre dans ces deux cases ? Ceci a le plus grand intérêt quant à ce qui est du maniement de l'angoisse.

Ce petit préambule étant posé de 1a référence à la triade freudienne de l'inhibition, du symptôme et de l'angoisse, voici le terrain déblayé à parler d'elle. Je dirai, doctrinalement ramené par ces évocations au niveau même de l'expérience, essayons de 1a situer dans un cadre conceptuel. L'angoisse, qu'est-elle ? Nous avons écarté que ce soit une émotion. Et pour l'introdui­re, le dirai : c'est un affect.

Ceux qui suivent les mouvements d'affinité ou d'aversion de mon dis­cours se laissant prendre souvent à des apparences, pensent sans doute que je m'intéresse moins aux affects qu'à autre chose. C'est tout à fait absurde. Α l'occasion, j'ai essayé de dire ce que l'affect n'est pas : il n'est pas l'être donné dans son immédiateté ni non plus le sujet sous une forme en quelque sorte brute. Ι1 n'est, pour le dire, en aucun cas protopathique. Mes remarques occasionnelles sur l'affect ne veulent pas dire autre chose. Et c'est même justement pour ça qu'il a un rapport étroit de structure avec ce qu'est, même traditionnellement, un sujet; et j'espère vous l'articuler d'une façon indélébile, la prochaine fois. Ce que j'ai dit par contre de l'affect, c'est qu'il n'est pas refoulé; et ça, Freud le dit comme moi. Ι1 est désarrimé, il s'en va à 1a dérive. On le retrouve déplacé, fou, inversé, métabolisé, mais il n'est pas refoulé. Ce qui est refoulé, ce sont les signifiants qui l'amarrent. Ce rap­port de l'affect au signifiant nécessiterait toute une année de théorie des affects. J'ai déjà une fois laissé paraître comment je l'entends. Je vous l'ai dit à propos de la colère. La colère, vous ai-je dit, c'est ce qui se passe chez les sujets quand les petites chevilles ne rentrent pas dans les petits trous. Ça veut dire quoi? Quand, au niveau de l'Autre, du signifiant, c'est-à-dire tou­jours plus ou moins de la foi et de la bonne foi, on ne joue pas le jeu. C'est ça qui suscite la colère. Et aussi bien, pour vous laisser aujourd'hui sur quelque chose qui vous occupe, je vais vous faire une simple remarque. Où est-ce qu'Aristote traite le mieux des passions ? Je pense que tout de même il y en a un certain nombre qui le savent déjà : c'est au livre Il de sa Rhétorique. Ce qu'il y a de meilleur sur les passions est pris dans la réfé­rence, dans le filet, dans le réseau de la Rhétorique. Ce n'est pas un hasard. Ça, c'est le filet. C'est bien pour ça que je vous ai parlé du filet à propos des premiers repérages linguistiques que j'ai tenté de vous donner. Je n'ai pas pris cette voie dogmatique de faire précéder d'une théorie générale des affects ce que j'ai à vous dire de l'angoisse. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas ici des psychologues, nous sommes des psychanalystes. Je ne vous développe pas une psychologie directe, logique, un discours de cette réalité irréelle qu'on appelle psyché, mais une praxis qui mérite un nom érotologie. Ι1 s'agit du désir, et l'affect par où nous sommes sollicités, peut-être, à faire surgir tout ce qu'il comporte comme conséquence universelle, non pas générale sur la théorie des affects, c'est l'angoisse. C'est sur le tran­chant de l'angoisse que nous avons à nous tenir et c'est sur ce tranchant que j'espère vous mener plus loin la prochaine fois.
 

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